Non, il n’est pas nécessaire d’avoir les cheveux blancs et une carte vermillon pour aimer la généalogie. Séléna Comte, 25 ans, et sa sœur Malvina, 27 ans, ont dessiné un arbre généalogique de 10 000 références. Tous deux ont suivi le DU « généalogie et histoire familiale » à Nîmes et travaillent aujourd’hui dans un service d’archives. Émilie Dutilleul vient d’être recrutée au sein du cabinet de généalogiste successoral des Remoulins. Elle n’est pas encore partie chercher des héritiers en Nouvelle-Zélande comme la responsable de son agence, mais elle a réussi à retrouver les enfants oubliés d’une personne décédée. Loïc Duchamp, généalogiste familial, propose différentes options pour découvrir ses ancêtres : un arbre, une forêt ancestrale et même un guide personnalisé de tourisme généalogique… Il s’est également formé à l’interprétation des résultats ADN. Ces tests sont réservés en France à la Justice ou à la recherche médicale encadrée. Mais Gardois parvient à les commander et à les faire voyager à l’étranger.
« De plus en plus de jeunes souhaitent faire de la généalogie leur métier »
Traquer les héritiers en tant que généalogiste successoral, faire découvrir ses ancêtres en tant que généalogiste familial… 350 personnes ont postulé pour la version à distance du diplôme « généalogie et histoire familiale » d’Unîmes.
Séléna Comte collectionne les albums photos de familles inconnues et réalise leur généalogie, “juste pour le plaisir”. Ce natif de Bordezac n’a que 25 ans et pratique la généalogie depuis déjà 10 ans. Avec sa soeur Malvina, elle a même passé le diplôme universitaire en 2018-2019 « généalogie et histoire familiale » d’Unimes. Malvina, 27 ans, est également formatrice pour ce DU.
Coffrets de photos et objets d’enfants abandonnés
Tout a commencé à cause d’un carton, une boite oubliée dans le grenier de la maison familiale. Les deux sœurs l’ont découverte lorsqu’elles avaient 17 et 15 ans. Il contient une multitude de photos anciennes. Personne ne sait de qui il s’agit. L’enquête commence. Malvina et Séléna décortiquent tout dans les images : les vêtements portés, le nom du photographe, le grammage du papier. Ils effectuent des recherches à l’état civil dans les mairies voisines, visitent les cimetières, interrogent famille et voisins, et fouillent dans les archives numérisées. « On sort toujours cette boîte, sourit Malvina. Nous avons identifié au moins la moitié des photos”. En parallèle, les deux sœurs construisent leur arbre généalogique. Il contient 10 000 personnes et est consultable sur le site Généanet.
Ce carton est devenu une vocation. Après une première année d’école d’ingénieur en chimie, Malvina reprend des études littéraires. Elle finit par se retrouver avec sa sœur Séléna en troisième année de licence d’histoire à Unîmes. Ils passent ensemble le DU de généalogie. Séléna poursuit un master en archivistique. Malvina a obtenu deux maîtrises : une en histoire médiévale et une en archivistique. Aujourd’hui, les sœurs travaillent dans le même service d’archives de la région. « De plus en plus de jeunes souhaitent faire de la généalogie leur métier »note Malvina. Lorsqu’elle est en permanence dans la salle de lecture des archives, elle vérifie les cartes des généalogistes du domaine et voit de plus en plus d’années de naissance récentes.
Recherche d’héritiers
“Je n’ai pas l’impression que je vais travailler le matin”. Sourire contagieux, chignon blond flouté, Émilie Dutilleul a quitté Bordeaux en janvier 2024 pour se former en généalogie à Nîmes. Celui qui possède également une licence dans les professions de notaire, travaille depuis cet été pour l’agence Remoulins du cabinet de généalogistes successoraux Veyron et Perrin. Pour son premier dossier, elle a réussi, grâce aux recensements de population, à retrouver la descendance d’un gentleman. Marié deux fois, il avait coupé les ponts avec ses enfants nés de sa première union. Boucles rousses, lunettes carrées, Charlotte Bergen est sa voisine de bureau. Elle poursuit une formation en droit en alternance. Elle ouvre et ferme des dossiers mais participe également aux recherches. Elle consulte les registres militaires, fait des enquêtes de voisinage par téléphone : une infirmière ou des proches se sont-ils rendus au domicile du défunt ? Quel est le numéro d’amis ? “On rentre dans la moindre brèche”dit-elle avec avidité.
Un engouement dopé par le confinement
Pourquoi un tel engouement pour la généalogie ? « Pendant le confinement, les gens étaient chez eux. C’était une période de tension, croquis Malvina Comte. Il y avait des gens qui s’interrogeaient sur leur passé et, comme l’avenir était incertain, ils en profitaient pour chercher des réponses”. La numérisation des archives leur a permis de faire leurs recherches dans le confort de leur foyer. « La fréquentation sur tous les sites d’archives départementales a augmenté pendant le confinement »confirme Corinne Porte qui dirige les archives départementales du Gard depuis janvier. L’association des chercheurs et généalogistes des Cévennes avait mis ses archives en ligne bien avant le Covid. « Le site a été très fréquenté pendant le confinement »se souvient Simone Meissonier, présidente. L’association a même enregistré une trentaine d’adhésions. Mais cette dame de 87 ans, qui cherche en vain un successeur, estime que ces nouveaux membres ont « inondé » avant de s’envoler. Bernard Février, organisateur des rencontres généalogiques du Gard, nuance : « Le Covid n’a fait qu’accroître l’attrait de consulter les archives depuis chez soi ». L’intérêt pour la généalogie a-t-il diminué ou non avec la pandémie ?
Corinne Porte rappelle les chiffres de fréquentation entre le 1er janvier et début novembre 2024 : sur le plan physique, il y a eu 880 nouvelles personnes inscrites aux archives départementales. Même si l’année n’est pas terminée, le chiffre de 2023 est déjà atteint. « Cette année, plus de 52 % des lecteurs sont des généalogistes »ajoute-t-elle. Sur Internet, les choses flambent. 196 194 visiteurs ont visité la salle de lecture virtuelle des archives depuis début 2024 et téléchargé 414 000 documents. Certains utilisent des sites collaboratifs. Romain, 43 ans, a réussi à retracer son arbre généalogique jusqu’en 1522 sans quitter son canapé. Ce Nîmes utilise le site MyHeritage. Il répertorie les ancêtres avec leurs dates de naissance et de décès et peut établir une « correspondance » avec d’autres personnes partageant les mêmes ancêtres. Les arbres se complètent en collaboration.
Formation très demandée
Les formations se multiplient autour de la généalogie. La prestigieuse école à charte qui forme les conservateurs du patrimoine a lancé un DU spécialisé en 2023-2024. L’Université du Mans propose deux formations. Unîmes en compte trois. L’UD « généalogie et histoire familiale » se déroule sur un semestre. Même si la version à distance coûte 1 300 €, l’université a reçu 350 candidatures pour 60 places. Pour la version présentielle, 50 personnes ont postulé pour 20 places. Ce DU a été créé en 2010. « Nous avons remarqué que dans les salles d’archives, il y avait beaucoup de passionnés de généalogie qui rencontraient de nombreux obstacles comme la paléographie »se souvient Isabelle Ortega, responsable pédagogique. En 2015, deux sessions à distance supplémentaires de 30 places chacune ont été ajoutées. « Pour la première promotion, nous avions un militaire qui était à Abu Dhabi. Ensuite, nous avons eu des étudiants aux Antilles, au Danemark, à Maurice… » crie-t-elle. En janvier 2020, pour répondre à l’appétit grandissant des étudiants, l’université a lancé un DU approfondi. Il comprend le droit des successions, des cours de “psychogénéalogie” et de « généalogie et génétique ». Il existe également un DU d’installation d’une semaine en tant que généalogiste professionnel.
« Dans les premières années, il y avait beaucoup de cheveux blancs, avoue Stéphane Cosson, qui enseigne à Unîmes depuis 2010. Aujourd’hui, nous avons des personnes entre 21 et 75 ans. Mais la catégorie la plus représentée est celle des 20-40 ans. ». Dans la pile de candidatures, Isabelle Ortega trouve de nombreuses personnes souhaitant se reconvertir. Elle observe un “épidémie” pour la généalogie successorale. Certains candidats lui écrivent qu’ils souhaitent faire ce métier qu’ils ont vu à la télé. France 3 puis TF1 ont consacré chacune une série d’émissions à ce métier.
Est-ce un effet de mode ? Non, répondent Corinne Porte et Stéphane Cosson. Ils voient l’intérêt pour la généalogie croître depuis au moins vingt ans et pensent qu’il ne va pas se tarir. « Les gens sont très incertains quant à l’avenir avec le changement climatique et les guerres partout. Se recentrer sur les familles et la généalogie peut être rassurant »souligne Corinne Porte. « La généalogie nous permet de mettre en perspective nos vies actuelles »ajoute Bernard Février. Lorsque vous consultez les états de service d’un ancêtre militaire, vous trouvez soudain votre vie plus confortable.
Généalogiste : une profession non réglementée
Ceux qui ont étudié l’histoire se tournent généralement vers le métier de généalogiste familial. En gros, ils fabriquent des arbres à la place des autres. Ceux qui ont suivi une formation en droit visent la généalogie successorale. Ils recherchent des héritiers pour les notaires. Ce n’est pas une profession réglementée. Il n’existe pas d’« ordre » des généalogistes successoraux mais plus de 95 % des cabinets sont rattachés à l’organisation professionnelle « généalogistes de France ». « Nous avons adopté un code éthique. Nous avons l’obligation d’avoir une responsabilité civile professionnelle. Un audit est réalisé chaque année »précise Ludovic Thomas du cabinet Veyron et Perrin.