Quel pays vit de ses rentes et qui achète le monde ?

Quel pays est le plus grand créancier du monde et vit des loyers payés par les autres ? Qui accapare le plus d’actifs à l’étranger et vit comme un propriétaire du reste de l’économie mondiale ? La réponse n’est pas la même…

Pour bien comprendre les subtilités des rapports de force financiers mondiaux, il faut faire un détour par les « positions extérieures » des pays, c’est-à-dire les prétentions qu’un pays détient sur le reste de la planète et celles que le reste de la planète détient. tient sur lui.

La différence entre les deux réside dans ce que les économistes appellent « la position extérieure nette ». S’il est positif, cela signifie que le pays accumule plus d’épargne à l’étranger qu’il n’en reçoit du reste du monde. Il fait partie des créanciers à qui le reste du monde doit de l’argent. A l’inverse, dans le cas où la position extérieure nette est négative, cela signifie que le pays vit grâce à l’épargne des autres.

Selon ce critère, fin 2023, le premier créancier mondial est le Japon avec plus de 3 300 milliards de dollars de dette nette. Elle est suivie de près par l’Allemagne et la Chine. Dans la liste des premiers rentiers de la planète figurent également la Norvège (dont le fonds souverain dispose de 1 500 milliards d’euros d’investissements à l’étranger), la Corée du Sud (qui prépare son avenir au vu du taux de fécondité le plus bas du monde), l’Arabie Saoudite qui bénéficie de ses pétrodollars et certains centres financiers en mer (Hong Kong, Suisse, Singapour) qui gèrent les actifs de non-résidents.

Si l’on prend le même critère à l’autre bout, on obtient la liste des pays dont la position extérieure nette est négative, c’est-à-dire les États qui survivent grâce à l’épargne du reste du monde. Et là, il y a les Etats-Unis et les autres.

Avec près de 20 000 milliards de dollars de solde négatif, le pays est une véritable pompe d’aspiration de l’épargne mondiale. Depuis les années 1980, elle connaît une série de déficits extérieurs croissants, qu’elle finance sans problème avec le travail et l’épargne des autres. Viennent ensuite, à un niveau vingt fois inférieur, le Royaume-Uni et un groupe de pays européens dont la .

Qu’en est-il du niveau des créances et des dettes ?

Il ne suffit pas d’examiner simplement la position extérieure nette d’un pays pour comprendre ce qui se passe dans la finance mondiale. L’Italie a une position légèrement positive (161 milliards) et son économie ne se porte pas bien, l’Espagne a une position nette négative (853 milliards) et son économie est l’une des plus dynamiques de la zone euro.

Nous devons examiner de près les niveaux des créances et des dettes vis-à-vis de l’étranger afin d’en dégager une image plus précise. Par exemple, l’Espagne reçoit un peu plus d’épargne étrangère que l’Italie mais la différence entre les deux pays est principalement due au fait que les acteurs économiques italiens ont accumulé beaucoup plus d’actifs au fil des années que le reste du monde. que les acteurs espagnols.

Si les Etats-Unis vivent de l’épargne étrangère, ils sont aussi le principal détenteur de dettes sur le reste du monde.

En prenant cette perspective, on voit que si les États-Unis vivent de l’épargne étrangère, ils sont aussi les principaux détenteurs de dettes envers le reste du monde. Économies qui accumulent des excédents extérieurs (Allemagne, Japon, Chine) et places financières en mer Les Européens (Luxembourg, Pays-Bas, Irlande) qui placent l’argent des étrangers figurent également dans la liste des grands propriétaires.

Tout cela est basé sur les statistiques officielles de balance des paiements fournies par chaque pays et compilées par le Fonds monétaire international (FMI). Toutefois, ces statistiques ne sont pas sans poser de problèmes.

Un simple test permet de s’en rendre compte. Chaque fois qu’un pays devient créancier d’un autre, par définition, ce dernier devient son débiteur. Ainsi la somme des crédits et la somme des débits devraient donner le même résultat et celle des positions nettes devrait être égale à zéro au niveau global. Ce qui n’est pas du tout le cas. La somme des crédits et des débits produit un résultat systématiquement négatif.

Près de 10 000 milliards de dollars errent dans la nature, sans savoir à qui ils appartiennent

Il est donc possible de tirer une conclusion : alors que les pays reçoivent de l’argent du reste du monde, certains de ceux qui en sont les créanciers ne l’ont pas déclaré… Et la tendance n’a fait qu’empirer ces dernières années.

En 2023, cet écart représentait pratiquement 10 000 milliards de dollars (soit un peu plus de 9 % du PIB mondial), qui errent dans la nature sans que personne ne sache à qui il appartient.

Comment se porte la France dans ces vastes mouvements d’échanges financiers ? Elle a eu de plus en plus recours à l’épargne étrangère au cours des vingt-cinq dernières années. Ses créances sur le reste du monde ont continué à augmenter, mais celles du reste du monde sur la France ont fait aussi et beaucoup plus rapidement, notamment à partir de 2016.

Une stratégie plus coûteuse

L’appel aux capitaux internationaux est principalement l’œuvre de deux acteurs économiques. C’est d’abord le cas de l’Etat, pour les besoins de financement de sa dette : la part des non-résidents dans nos créanciers n’a fait qu’augmenter depuis 2022 mais le volume important de la dette joue un rôle.

Viennent ensuite les banques qui, depuis 2016, ont de plus en plus recours à l’épargne étrangère pour se financer. A la fin du premier trimestre 2024, les non-résidents finançaient 70% de leurs émissions obligataires contre 58% début 2016.

Comme les États-Unis, la France parvient à se financer durablement grâce au travail et à l’épargne des autres.

La France bénéficie du même avantage que les États-Unis : elle parvient à se financer durablement grâce au travail et à l’épargne des autres. Et elle bénéficie du même privilège. S’il doit plus d’argent aux étrangers qu’il ne leur en prête, il en tire néanmoins un solde de revenus de placements positif.

C’est encore plus facile lorsque les taux d’intérêt sont proches de zéro. Maintenant qu’ils sont plus élevés, cette stratégie devient plus coûteuse : le solde mensuel positif des revenus de placements est passé de 4,6 milliards en décembre 2022 à 1,3 milliard en août dernier.

Ce privilège est donc en train de s’éroder. D’un pays fort, vivant de l’épargne des autres, la France pourrait tomber dans le camp des économies dépendantes de la bonne volonté de ses créanciers internationaux. Ce qui, dans le climat actuel de fragilité de ses institutions politiques, n’augure rien de bon.

 
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