Votre livre prend pour point de départ l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023. Où est ce conflit ?
Israël a remporté une double victoire militaire tactique. Ils ont détruit la capacité de frappe du Hamas et tué ses trois principaux dirigeants (Yayah Sinouar, Ismaël Haniyeh, Mohammed Deif). D’une certaine manière, ils ont effacé l’insulte de l’attaque du 7 octobre, qui a pris par surprise les services de renseignement israéliens et a fait honte au Premier ministre Netanyahu. Puis, en décapitant le Hezbollah et en tuant son secrétaire général Hassan Nasrallah, Israël a privé l’Iran de son bouclier et de son épée dans la région. Grâce au Hezbollah, la République islamique pourrait menacer l’État juif, tout en l’utilisant pour sa protection. Pour quoi ? Car si les États-Unis avaient un jour voulu tirer sur les sites nucléaires iraniens, le Hezbollah aurait d’abord tiré sur Israël, à titre préventif. Aujourd’hui, l’Iran ne dispose plus de l’arme de dissuasion ultime que représentait le Hezbollah. Et le Hamas n’est plus opérationnel.
Israël a-t-il réellement neutralisé ses capacités militaires ?
Oui, même si le Hezbollah a encore la capacité, depuis le sud du Liban, de tirer des roquettes sur Israël et de tuer de nombreux Israéliens, militaires ou civils. Le revers de la médaille, c’est que l’armée israélienne a probablement tué près de 45 000 Palestiniens à Gaza et plusieurs milliers de Libanais. Il y a également deux millions de réfugiés dans la bande de Gaza et 1,5 million au Liban. Beaucoup de gens, y compris en Israël et en Europe, estiment que cela va trop loin, que le Premier ministre israélien suit son propre programme pour prolonger le conflit, même si les objectifs militaires ont été atteints, afin d’assurer sa survie politique. et judiciaire. Et ne pas avoir à rendre de comptes pour le 7 octobre.
Ce conflit meurtrier a-t-il une chance de trouver une solution ?
Il y a deux questions très importantes liées à cette question. Tout d’abord concernant l’Iran. Ce pays a-t-il encore la capacité de frapper Israël ? Dans quel état se trouve réellement son système de défense anti-aérienne, après la réponse israélienne du 25 octobre ? Certains disent qu’elle est complètement détruite… Enfin, après la mort suspecte de l’ancien président radical Ebrahim Raïssi, n’y a-t-il pas une partie de l’élite militaire iranienne prête à changer de régime et à trouver un accord avec Israël ? Une démarche similaire a été lancée pour d’autres pays du Golfe, notamment l’Arabie Saoudite. Reste enfin le facteur Trump. S’il apparaît comme le soutien inconditionnel d’Israël, il ne veut pas avoir une guerre entre les mains au Moyen-Orient. Il a dit à Netanyahu : « Je veux la paix. » Or, cette dernière n’en veut pas. Il est encore trop tôt pour le dire avec certitude, mais lorsque j’ai passé dix jours aux États-Unis pendant les élections et que j’ai rencontré des proches du président élu, s’ils indiquaient que l’Amérique soutenait Israël, ils ne considéraient pas nécessairement que la politique de Netanyahu était celui des USA. C’est là le grand point d’interrogation qui plane sur l’avenir du conflit.
Un conflit qui a ébranlé l’ordre mondial ?
Oui, c’est ce que j’explique dans mon livre et que j’aborderai ici à Pau. Avec l’offensive israélienne à Gaza, on a assisté à la mobilisation de tout un « Sud global », ce qui explique notamment que l’État hébreu n’est pas légitime et que le véritable génocide de l’histoire de l’humanité est ce que font les Israéliens à Gaza, en se cachant. l’Holocauste pendant la Seconde Guerre mondiale. On assiste en effet au remplacement de l’ancienne opposition entre l’Ouest et l’Est par une nouvelle : le « Sud global » contre le Nord, qualifié de maléfique et accusé de colonialisme, qui serait le crime majeur et dont Israël serait le le résultat. Des bouleversements que l’on retrouve dans nos propres sociétés, avec la polarisation des identités – comme en France entre le Rassemblement national et la France Insoumise – autour des questions d’immigration, de l’islam, etc. C’est aussi ce qui a conduit à l’élection de Donald Trump, qui était élu sur la base de l’hostilité à l’immigration et de la lutte contre le wokisme.
Au point de conduire à un conflit mondialisé ?
Peut-être pas encore. La Russie, alliée de l’Iran, souhaitait que Trump gagne parce qu’elle espère qu’il sera plus disposé à négocier un accord obligeant les Ukrainiens à céder les territoires qu’elle occupe. Mais elle reste économiquement faible et sa situation générale n’est pas bonne. La Chine, de son côté, tente de retrouver un rôle décisif face aux États-Unis, mais sa croissance est en berne. etc. Bref, tous ces pays qui forment cette sorte de conglomérat qu’on appelle les Brics (avec d’autres pays) et qui tentent de créer une sorte d’alternative du Sud aux pays du Nord, sont encore pleins de contradictions…
« Le livre, c’est la liberté de réfléchir et de penser ! »
« Ayant été étudiant toute ma vie à l’université, je constate que l’un des plus grands problèmes actuels de nos sociétés est l’effondrement de la lecture, notamment chez les jeunes, et son remplacement par les réseaux sociaux, beaucoup plus adaptés aux besoins des jeunes. diffusion de l’idéologie et de l’émotion, uniquement au raisonnement, déplore Gilles Kepel. Et la difficulté pour les jeunes d’aujourd’hui de se rendre compte que les livres, c’est la liberté ! La liberté de réfléchir, de penser ! C’est pour cela que je suis très heureux de venir à Pau, qui est un endroit où le livre est au cœur de tout. Et en plus, il y a beaucoup de lecteurs, qui ne sont pas seulement des gens plus âgés que moi ! « .