Une pelouse d’un vert tendre, un chien implorant les caresses de son maître : telle est la reprise bucolique de « Zouzou ». Un album pimpant et coloré, aussi rythmé et varié qu’une comédie musicale pop, soul ou hip-hop. Une comédie domestique aussi où, dans un joyeux chaos, on entend le chien Zouzou aboyer, les deux fils que Philippe Katerine a eu avec sa femme Julie Depardieu chanter : “Papa est en bas qui fait le portable/Maman est en haut qui fait le portable” et leur père chante une douce ode à son pénis sur un prélude de Bach. Surprenant? Pas vraiment quand on connaît Philippe Katerine, alias Philippe Blanchard, 55 ans, Vendéen « complètement à l’ouest » – comme il le clame dans l’une des chansons de ce onzième album –, comédien dévoué, chanteur célébré, plasticien heureux, devenu un planète curiosité depuis sa prestation lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques en Dionysos nu au corps peint en bleu.
ELLE. – La routine quotidienne est-elle un bon sujet pour un artiste ?
Philippe Katerine. – L’excitation du quotidien est un sujet qui m’intéresse énormément. L’infra-ordinaire, comme disait Georges Perec. Mes chansons sont un peu des sketches de ma vie de famille.
ELLE. – Oui, il y a presque un côté « Boule & Bill ». D’ailleurs le titre de l’album est le nom de ton chien, Zouzou…
PK – Un chien est le centre émotionnel et nerveux d’une famille. Tous les problèmes, les non-dits, les sentiments que nous ne nous admettons pas sont projetés sur le chien. Et puis, un animal ne vous juge jamais.
ELLE. – Pour vous, la famille est-elle un cocon ou un piège ?
PK – Dans une famille, il se passe chaque jour quelque chose. C’est comme une série dans laquelle nous sommes acteurs et dans laquelle nous improvisons le texte. Nous sommes acteur et spectateur. Ce n’est jamais ennuyeux, mais c’est très énergivore. Ces dernières années, je n’avais plus envie de sortir, j’ai donc passé beaucoup de temps dans un environnement domestique. Si tu me disais : « On va en boîte ? », j’aurais l’impression d’entendre parler chinois.
ELLE. – On ne t’aurait pas imaginé en paterfamilias…
PK – Même si c’est un nid de soucis, la famille est très rassurante. J’ai beaucoup aimé le confinement, j’ai même écrit une chanson sur le sujet, « Corona nostalgia », que je n’ai pas mise sur l’album. Et j’ai rencontré beaucoup de gens qui, comme moi, ont eu l’impression de découvrir la grande aventure dans quelques mètres carrés.
ELLE. – Dans cet album, il y a aussi l’angoisse du temps qui passe…
PK – Si nous recherchons une chose que tous les humains ont en commun, c’est celle-ci : l’horloge est la même pour tout le monde. Et quand quelqu’un dit d’une autre personne qu’il vieillit, je dis : c’est celui qui le dit qui l’est.
ELLE. – Il y a longtemps, dans une interview, tu m’as dit : « Un jour, je serai gros et chauve ! » »
PK – Eh bien, ça y est, nous y sommes. Sauf que j’ai perdu du poids. Mais chauve, oui.
« Se contenter de douces érections matinales n’est pas un avenir »
ELLE. – Tu m’as aussi raconté que lorsque tu es devenu célèbre, tu as commencé à avoir peur que les gens t’approchent dans le métro…
PK – Je n’ai plus si peur. Je prends toujours le métro, mais je sais où m’asseoir dans la voiture pour être tranquille : le nez collé à la vitre. Quand les gens me reconnaissent dans la rue, j’ai de la chance, ils sont super sympas. Même si certains ont eu le courage de me dire en face que ma performance aux JO les avait dérangés, que c’était une décadence.
ELLE. – Qu’as-tu répondu ?
PK – Face à des propos un peu violents, je dis : « Souvenez-vous de la phrase de Jésus-Christ qui disait : « Adorez ceux qui vous détestent ». » En général, on se moque les uns des autres.
ELLE. – Ça marche toujours, Jésus-Christ, non ?
PK – C’est l’arme mortelle. Tout ce qu’il disait concernait le service personnalisé.
ELLE. – Sur cet album, on entend vos fils parler et votre fille, Edie, imiter Angèle ou Camélia Jordana…
PK – Mon périmètre étant restreint, j’ai enregistré les personnes que je rencontrais. J’ai adoré ces trois années passées à créer ce disque en famille. Je voudrais dire que c’est du bonheur, mais formuler cette idée, c’est prendre un grand risque. Touchons du bois.
ELLE. – Quel genre de père es-tu ?
PK – Je fais ce que je peux. C’est dur d’être papa. J’ai élevé ma fille Edie il y a vingt-cinq ans, et c’était très différent d’aujourd’hui. L’éducation avec ou sans écrans n’a rien à voir là-dedans.
ELLE. – Êtes-vous accro aux réseaux ?
PK – Je n’y vais jamais. Je ne veux pas regarder Instagram, cela m’intéresserait trop et prendrait trop de temps. J’ai partagé du contenu sur TikTok avec un de mes fils, nous nous sommes filmés et c’était très drôle. Mais j’ai arrêté. Ces technologies développent une intelligence dont les contours sont mal connus. La culture classique s’éloigne, Balzac et Flaubert avec elle, mais je ne suis pas trop inquiet. Mes enfants sont pleins d’esprit et charmants.
ELLE. – Dans l’album, vous envoyez une lettre à votre pénis. Pour quoi ?
PK – Nous ne parlions plus beaucoup, elle et moi. Je grandissais et je la voyais de moins en moins. Elle semblait vivre une existence sombre. Et puis j’ai perdu du poids, et j’ai remarqué que je la voyais davantage et qu’on pouvait à nouveau parler. Alors je lui ai écrit une lettre. En vieillissant, je m’inquiète de sa vigueur, et je ne suis pas le seul à m’inquiéter ainsi. Se contenter de faibles érections matinales n’est pas un avenir.
ELLE. – Et le Viagra ?
PK – Je n’en suis pas encore là ! Mais si j’ai la chance de vivre longtemps, je sais ce qui m’attend.
ELLE. – Comment avez-vous vécu votre prestation lors de la cérémonie des JO de Paris ?
PK – Être presque nu, peint en bleu, devant un milliard de spectateurs, c’est la chose la plus étrange que j’ai jamais faite de ma vie. La veille, je n’y croyais pas, je me disais, attends, c’est un canular. Désormais, lorsque j’entre dans un café ou une boulangerie, les conversations s’arrêtent. Je remarque aussi que les gens rougissent lorsqu’ils me saluent. Je ne sais pas si c’est de la gêne ou autre chose, mais les visages sont beaucoup plus rouges qu’avant.
ELLE. – Une chanson s’appelle « Total en Occident ». Êtes-vous intéressé par la santé mentale?
PK – Tout ce qui est mental m’intéresse au plus haut point. Quand j’étais étudiant à Rennes, j’habitais à côté de ce qu’on appelait encore à l’époque un asile. Je suis allé voir les patients derrière la clôture. Des relations humaines très fortes se sont établies. On touchait nos visages, nos mains, et il y avait quelque chose d’extraordinaire. À chaque fois, je me suis demandé : de quel côté de la barrière suis-je ? N’est-ce pas moi qui suis fou ? Les gens parlent souvent de moi en disant que je le suis. Cependant, ceux qui me connaissent bien disent que ma vie est étrangement normale. Je pense que je suis équilibré parce que j’écris, je fais des chansons, je dessine. J’ai été obligé d’écouter « Confessions », mon précédent album, et je me suis dit : alors le gars, il flippe, il est inquiet, paranoïaque.
“Pour qu’un village fonctionne, il faut toujours un idiot”
ELLE. – Savez-vous pourquoi vous êtes devenu artiste ?
PK – Pour trouver mon équilibre, ne pas devenir fou. Mais j’aurais tout aussi bien pu être radiesthésiste, chercheur au CNRS ou détective. Si je suis chanteur, c’est parce que je voulais trouver ma place dans la société. Adolescente, j’ai été victime de harcèlement et je me sentais exclue, c’est un sentiment horrible. Je ne veux plus jamais ressentir ça. J’avais besoin d’un lieu, quel qu’il soit, même celui du « Heyoka ».
ELLE. – Alors qu’est-ce que c’est ?
PK – Dans la culture amérindienne, le Heyoka est le clown sacré. C’est lui qui fait les choses à l’envers : il monte à cheval à l’envers, s’exclame qu’il fait chaud quand il fait très froid, fait rire les gens et leur montre qu’on peut voir le monde sous un autre prisme. Je ne me prétends pas Heyoka, mais en voyant mes photos, nues, peintes en bleu, je me dis que je penche vers ça parfois. Pour qu’un village fonctionne, il faut toujours un idiot.
ELLE. – Quelle est sa fonction ?
PK – Un idiot est quelqu’un qui ne fait pas les choses normalement, qui s’habille bizarrement, qui ne réagit pas comme les autres. Par exemple, Marcel Bascoulard était un idiot du village de Bourges dans les années 1970. Il s’habillait en femme et dessinait divinement. Tout le monde se moquait de lui, et puis les gens ont fini par l’aimer. Quand on prend une place dans la société, quelle qu’elle soit, cela a toujours son utilité.
“Zouzou” (Musique Wagram). En concert le 30 avril 2025 au Zénith de Paris.