« La viticulture française ressemble à un château de cartes posé sur une table tremblante »

« La viticulture française ressemble à un château de cartes posé sur une table tremblante »
« La viticulture française ressemble à un château de cartes posé sur une table tremblante »

Alors que les caves coopératives témoignent de la dégradation économique annoncée pour la filière vitivinicole, le soutien des pouvoirs publics fait clairement défaut. Le point avec le président des Vignerons Coopérateurs, particulièrement inquiet avant son congrès national ce jeudi 27 juin au Mas des Romarins (Île des Embiez).

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es difficultés financières des caves coopératives sont de plus en plus visibles, ne se limitant plus au report des versements aux adhérents, mais impliquant désormais des procédures de sauvegarde… Dans quelle mesure les mois à venir s’annoncent-ils difficiles pour la coopération viticole ?


Joël Boueilh : J’espère vraiment que dans les mois à venir nous ne verrons pas d’autres caves coopératives suivre le même chemin que celle que nous venons de voir. Ceci est symptomatique d’une situation qui se détériore. Cela fait maintenant plusieurs mois que nous alertons, je crains malheureusement qu’il y en ait d’autres. Cela me fait mal. D’une manière ou d’une autre, le message que j’essaie de transmettre est qu’il a du mal à être entendu par les autorités au-dessus de nous.

Avec l’instabilité politique actuelle, il sera difficile de prendre des mesures d’urgence. Maintenant que nous avons absolument besoin de réponses, nous ne savons pas qui seront nos interlocuteurs. Si je me fie aux sondages, je risque de devoir tout réexpliquer. On ne sait pas comment cela va se passer, j’ai du mal à avoir de la visibilité. Le fait est que le temps économique n’est pas le temps politique. La conjoncture économique nous mène, sinon vers un mur, du moins vers un chemin semé d’embûches pour les vignerons et les caves coopératives. La météo politique va ajouter des embûches à un parcours déjà difficile pour les vignerons et les caves coopératives.


Alors que les coûts de production pèsent déjà sur le millésime 2024, malmené par les intempéries, la question de la rémunération qui mobilise la filière vitivinicole semble d’autant plus urgente qu’elle semble en suspens.

Quand on connaît le contexte du millésime 2023 dont on sort et qu’on voit en 2024 les charges que l’on se remet sur le dos avec une météo qui ne favorise personne (tout le monde peut se plaindre d’un excès d’eau, sauf partie de la côte méditerranéenne). Le vignoble lutte petit à petit contre le mildiou et cette année il tient le coup, comparé à la même période en 2023 où il avait commencé à s’embraser.

Aujourd’hui, la viticulture française ressemble à un château de cartes posé sur une table tremblante. Nous ne savons pas combien de temps cela va durer. Et quelles sections commenceront à s’effondrer. Il y a des régions qui souffrent depuis un certain temps et celles qui se portent bien commencent à se sentir mouillées et au bord de la saturation. Nous tremblons tous un peu. Nous devons prendre rapidement des mesures d’urgence pour sauver l’industrie et la maintenir à flot. Et en même temps, il faut aussi se projeter un peu plus loin pour se donner des perspectives.

Mais comment penser à demain quand on se bat pas à pas et qu’on voit les trésors fondre ? Je ne vous cacherai pas que pour anticiper, il faut avoir confiance en l’avenir. Mais c’est ce que nous devons faire en tant que dirigeants. Il faut dire que nous traversons une période difficile et inciter les gens à tenir le coup pour se donner du recul. Y compris dans les caves et zones en grande difficulté. Nous devons les aider à relever le défi. Les enjeux sont terribles à l’heure actuelle. Ne pas avoir de contact avec les pouvoirs publics en ce moment est terrible. Il va y avoir une longue file d’attente pour les ministères tout l’été, je serai surpris si les choses avancent en août.


Pour le seul secteur vitivinicole, les enjeux sont nombreux : arrachages temporaires/définitifs demandés pour le 15 octobre, demande continue de stockage privé, demande d’une écriture comptable équilibrant les résultats de la coopérative, etc.

Le sujet de l’année blanche d’amortissement doit être décidé à l’automne puisque c’est la période des assemblées générales pour arrêter les comptes. La décision doit être prise le plus rapidement possible. Il y a bien tout l’enjeu de donner la bonne mesure et la bonne enveloppe à l’arrachage afin d’engager les vignerons et de commencer les travaux dès le 15 octobre. Mais quand on n’a pas d’interlocuteur ou qu’il faut repartir de zéro… C’est fou. Je crains que le temps politique n’anéantisse une grande partie des efforts des 12 derniers mois.

Je dois pousser un petit coup de gueule : il y a des choses que nous portons depuis 6 à 12 mois et pour lesquelles nous attendons toujours une réponse des pouvoirs publics. Y compris même le signe du travail sur les sujets. Cela pèse aussi sur les résultats électoraux, quand on voit que les gens d’en face ne répondent pas aux demandes… Je vous le dis sincèrement, ça m’attriste : c’est terrible pour le secteur. Ce sera terrible pour les vignerons s’il n’y a pas de résultats.


Les caves coopératives demandent également une aide à la restructuration face aux arrachages. Si cette réduction des capacités industrielles n’est pas accompagnée, anticipée, en lien avec la réduction du potentiel de production, s’effectuera-t-elle nécessairement dans la douleur ?

Nous abordons le sujet de la restructuration des caves coopératives depuis début 2024. Nous la menons parallèlement à l’ensemble du projet d’arrachage des vignes. Je vois encore le ministre de l’Agriculture [NDLA : Marc Fesneau] au salon Wine Paris en février dernier, ce qui me dit qu’il y a un sujet important à ne pas laisser de côté. Et depuis, silence radio. Alors qu’on en parle à chaque fois qu’on voit le ministre et ses services. Nous avons l’esprit de construction et nous sommes prêts à entendre que les budgets sont limités. Mais plus on aborde une difficulté en amont, plus on peut réduire les budgets pour la résoudre. C’est toujours lorsqu’on agit dans l’urgence que cela coûte le plus cher.


Parmi vos déceptions, il y a aussi le refus des assureurs d’accepter la demande de couverture pression mildiou pour le millésime 2023…

On retrouve un sujet sur lequel nous avons été plutôt proactifs et sur lequel on se sent abandonné en rase campagne. Les vignerons sont déçus d’avoir cru au contrat MRC (MultiRisk Climat). Ce qui aurait dû être un progrès devient un revers dans l’assurance dans le Sud-Ouest, avec le développement d’autres contrats (paramétriques par exemple). Nous sommes à l’opposé de ce que nous voulions faire. Nul doute que la moyenne olympique y est pour beaucoup. Compte tenu du rendement moyen, cela ne sert plus à rien de garantir qu’en cas d’étiage on récolte toujours au niveau de la moyenne olympique, quoi qu’il arrive. L’enjeu est de trouver des députés européens pour soutenir la refonte de la moyenne olympique. Après les élections européennes, tout est à reconstruire à Bruxelles (nos élus ont été battus ou ne se sont pas présentés).


Pour s’adapter aux temps modernes, votre conférence portera sur l’intelligence artificielle. Peut-il permettre au secteur de s’adapter et enfin de rebondir ?

Nous constatons déjà des progrès en matière d’intelligence artificielle et ils vont s’imposer à nous. Pour la gestion du personnel par exemple, la pénurie de main d’œuvre va conduire à plus d’IA, de robotisation, etc. Le congrès va nous aider à mettre le doigt sur un outil qui va se démocratiser davantage. C’est un train que nous ne devons pas laisser passer. Nous avons un marché du vin en bouleversement et en restructuration : à nous de nous adapter pour suivre ces évolutions. Puisque nous n’avançons pas rapidement dans le renouvellement de la production, nous ne devons pas commencer tard.

 
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