Bernard Despin consacre sa vie à musculation. À 94 kilos et 1,80 mètre, il dit avoir atteint son maximum. Un poids qui lui a permis de remporter l’Open des Corsaires, à Saint-Malo, dans les catégories Master I (+40 ans) et Senior +90kg. Mais loin de lui l’idée de prendre la grosse tête.
Bien qu’il soit assez âgé pour concourir dans la catégorie masters +40, il concourt toujours contre des jeunes de 25 ans. “ C’est sympa, ça t’aide à rester jeune “, explique.
Un humble entretien avec un Ardennais, qui vit à Montcy-Notre-Damequi vit loin des caméras, malgré un CV très chargé. Son année la plus prolifique, 2016, l’a vu devenir champion d’Europe et vice-champion du monde.
Quel est ton sport ?
C’est de la musculation, il faut renforcer son corps et en compétition on est jugé sur le volume, la symétrie et la qualité musculaire, la maigreur. Il faut avoir un corps le plus harmonieux possible. Il existe des catégories de poids. Il y a un certain nombre d’athlètes par catégorie, les juges sélectionnent les cinq meilleurs, avec un système de tiroirs pour comparer chaque athlète, et le premier gagne.
Le résultat reste-t-il donc à la discrétion des juges ?
Il y a plusieurs juges, chacun attribue un score et celui avec le meilleur score gagne. Mais tout ne se définit pas en fonction de la sensibilité des juges, il y a des critères. Les notes sont donc assez objectives.
Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?
Je pratique depuis 26 ans, avec des périodes d’arrêt puis de reprise. J’ai fait beaucoup de choses, plusieurs fois champion de France et d’Europe et vice-champion du monde en 2016… Je participe actuellement au Grand Prix. Tous les niveaux se rencontrent. Normalement, les premiers de chaque catégorie au championnat de France peuvent accéder au championnat d’Europe et les premiers d’Europe peuvent accéder aux championnats du monde. Depuis que j’ai commencé à 20 ans, j’ai concouru en senior jusqu’à 40 ans.
Est-il encore possible de progresser après 20 ans de musculation ?
Oui, j’ai fait des progrès ces dernières années. Quand on est au mieux on arrive à se maintenir mais à mesure qu’on évolue cela devient de plus en plus difficile. En modifiant certains éléments de l’alimentation, nous pouvons progresser vers une meilleure qualité musculaire. Mais en termes de volume et de masse, nous avons atteint notre seuil. Il y a forcément une limite, nous sommes programmés génétiquement. Et puis nous ne sommes pas tous pareils, certains ont la vie plus facile. Le but est justement d’exploiter son potentiel génétique. Là, actuellement, j’ai atteint ma meilleure forme. 94 kilos pour 1m80.
Combien de temps faut-il pour sculpter un corps comme celui-là ?
Je m’entraîne depuis 35 ans. En gros, cela prend une bonne dizaine d’années. C’est surtout le régime hyper-rigoureux qui permet d’obtenir ces résultats.
Comment aborder la musculation ?
C’est pour voir où vous vous situez par rapport aux autres athlètes. Avoir le meilleur physique dans la salle de sport où l’on s’entraîne ne veut rien dire. Là, on se mesure à tous les sportifs français et mondiaux.
N’est-ce pas finalement un concours d’egos ?
Je ne sais pas, certaines personnes ont un gros ego mais je ne pense pas que ce soit ça. C’est vraiment l’esprit de compétition, rivaliser avec les autres. De la même manière qu’un coureur de 100 mètres veut courir plus vite que les autres, c’est la même chose. La différence est que c’est physique et esthétique. Il existe de nombreux bodybuilders qui ont des melons, qui sont narcissiques, mais heureusement pas tous.
Pourquoi es-tu devenu bodybuilder ?
J’étais un peu maigre à l’époque, je voulais grandir et puis j’ai vu Arnold (Schwarzenegger) et (Sylvester) Stallone, c’étaient les idoles d’avant, je voulais être comme eux. C’est un peu comme ça que nous commençons tous. Tant que nous gagnons de la masse musculaire, nous en voulons plus. Ensuite, nous progressons et nous n’en avons jamais assez. Je ne me sens jamais bien, j’essaie toujours de progresser. Tandis que ceux qui se disent au mieux ne progresseront plus. Mais on n’atteint jamais la perfection, donc il n’y a pas de fin.
Comment gérez-vous la nourriture ?
C’est simple, je pèse tout. Tout ce que je mange est pesé, matin, midi et soir. Je mange 6 à 7 fois par jour et toujours tout est pesé. Je mange l’équivalent de 66 blancs d’œufs par jour avec des glucides, du riz ou des pâtes et des légumes. Un peu de lipides, tout ce qui contient de l’huile, mais pas trop. Côté protéines, c’est juste du blanc d’œuf. Je mange occasionnellement du poisson pour varier, un kilo de poisson pour remplacer une trentaine de blancs d’œufs. Je sais, c’est impressionnant (rires). Le budget alimentaire est énorme. C’est un peu contraignant car cela demande beaucoup de préparation. C’est une organisation. Je prépare généralement 24 heures à l’avance et j’emporte deux sacs de nourriture lorsque je pars en voyage d’affaires. D’un point de vue financier, le budget est très élevé, autour de 400 euros par mois. Ça passe vite, heureusement que je n’ai pas d’enfants (rires).
Et comment s’approvisionner ?
J’achète des blancs d’œufs liquides en ligne, au litre, comme les boulangers. Je peux faire des crêpes, des tartelettes, des crêpes, pour un peu de variété et c’est plus pratique pour emporter. Le reste est en magasin.
Ce mode de vie entrave-t-il une vie de famille épanouie ?
C’est un peu compliqué, oui. Je n’ai pas d’enfants, donc c’est facile. Ensuite le partenaire doit accepter, ce n’est pas toujours facile. C’est quand même dur au niveau de la vie sociale. Je ne fais pas de restaurants pendant plusieurs mois lors de la préparation d’un concours, sinon j’en fais de temps en temps. Au cours des six derniers mois, je ne suis allé dans aucun restaurant.
Pour ça ?
Un restaurant n’est peut-être pas évident, mais cela retarde le plan diététique. Au cours des dernières semaines, la moindre différence est visible. Du matin au soir le corps change, il bouge.
N’était-ce pas un peu psychologique ?
Ah non non ! Sur l’échelle, ça ne change pas grand chose, mais c’est l’apparence qui change. Quand tu es super sec, la moindre chose se voit. Nous devenons obsédés par notre corps, c’est vrai. Faisons une correction. Mais ce n’est pas difficile à gérer. Ensuite quand on a les résultats on est satisfait, c’est la récompense du travail accompli.
N’y a-t-il aucun risque pour la santé des sportifs ?
Non, à part la fatigue car il y a beaucoup d’entraînement. Par la suite, on ne peut pas maintenir ce régime à vie. C’est tellement précis, rigoureux, qu’on dure quelques mois mais qu’on ne tiendrait même pas des années. J’y ai fait six mois, pour préparer le concours, puis j’ai pris quelques mois de repos avant de recommencer. Je pèse toujours tout, sauf que j’augmente simplement les portions de glucides. Donc plus de riz ou de pâtes. Toute l’année, je fais attention à ce que je mange.
Ce mode de vie nous impose encore une lourde charge mentale.
À long terme, c’est possible, oui. Il faut gérer. J’ai fait le Grand Prix et j’ai dit que j’arrêterais pour ne pas me fatiguer, ni physiquement ni mentalement. Certains concourent toute l’année mais finissent par être épuisés. Il faut s’écouter, quand on voit qu’on est trop fatigué il faut se détendre.
Avez-vous conscience d’attirer l’attention ?
Je ne porte jamais de débardeur, je porte toujours un t-shirt, donc ça se voit un peu, mais ça reste subtil. Je déteste me montrer. C’est paradoxal, j’aime la compétition entre bodybuilders, mais dehors, que ce soit à la salle de sport ou sur la plage, je n’aime pas qu’on me regarde. Ce n’est pas pour me montrer que je le fais, c’est pour moi. De plus, nous n’avons pas une bonne réputation à cause de certaines personnes qui conduisent des mécaniciens.
Quelle est votre opinion sur la version actuelle des médias sociaux de musculation ?
Je suis déconnecté, mais ce n’est pas la musculation que je connaissais avant, sans les réseaux sociaux, les Youtubeurs… Aujourd’hui c’est vraiment du « tu m’as vu », toujours en essayant de te filmer, de t’admirer, c’est un peu exagéré. Les égos sont disproportionnés par rapport à ce qu’ils étaient il y a quelques années. Personnellement, je n’ai pas de photo de moi sur Facebook ou quoi que ce soit. En ce qui concerne les gens, je veux rester un culturiste, c’est tout. Je suis fier, mais je n’ai pas besoin de m’exhiber partout et de penser que je suis une star.
Quelles sont vos références physiques aujourd’hui ?
Je ne les ai plus, je trouve que leurs corps ne sont plus aussi beaux qu’avant, ils sont trop gros. Je n’ai donc plus de modèles.
Bernard Despin ?
Peut-être pour certains. (Il s’arrête, rit gêné et continue) Il y a des jeunes qui aimeraient avoir mon physique, ça me plaît et ça leur permet d’évoluer.
Nous nous sentons gênés…
Oui parce que je n’aime pas trop ça, je suis discret. Je veux juste me sentir bien dans mes baskets.
Que pensez-vous du dopage dans votre discipline ?
Je respecte cela, ce sont des choix. Certaines personnes n’ont d’autre choix que d’avoir un niveau élevé. C’est comme quelqu’un qui veut faire le Tour de France, s’il ne prend rien, ce n’est pas possible. Vous n’avez pas le choix, il faut prendre les choses et pédaler aussi vite que les autres.
Et la formation ?
Ce n’est pas suffisant. Il y a des cyclistes qui disent soit on prend des choses et on fait le Tour de France, soit on n’en prend pas et on ne le fait pas. Ils ne peuvent pas résister. C’est insoutenable.
Vous ne pouvez donc pas être naturellement bon dans votre discipline ?
Oui, nous pouvons être vraiment bons, mais nous trouverons nos limites. Vous ne pouvez pas être Schwarzenegger sans prendre des choses. C’est impossible. Même si vous faites de l’exercice et mangez ce que vous voulez, c’est impossible.
Sommes-nous censés comprendre que vous êtes dopé ?
Non, parce que je n’ai pas d’ambitions démesurées. Je ne me pose même pas la question, je préfère rester à mon niveau, je n’ai pas l’intention d’être une star américaine. Mais si je l’avais voulu, je n’aurais pas eu le choix.