Sept ans après le discours du président Macron le 11 octobre 2017 à Rungis sur « l’instauration d’une contractualisation renouvelée », aucune des trois versions de la loi Egalim ne tient ses promesses. Reste à savoir si la grande distribution acceptera de respecter l’esprit de ces lois lors des négociations annuelles sur les prix d’entrée des produits alimentaires dans les magasins qui débuteront prochainement.
Alors que du froid et de la neige sont annoncés en France pour ce jeudi 21 novembre, la Coordination rurale bloque le port de Bordeaux et l’entrée de certaines enseignes commerciales pour exiger des prix avantageux. Ce jeudi, la ministre de l’Agriculture Annie Genevard visitera une ferme près de Béthune dans le Pas-de-Calais. Invitée hier soir sur BFMTV, elle s’est contentée de propos vagues comme “Je respecte les syndicats et demande la raison, je ressens le désarroi, l’agriculture c’est le drapeau tricolore, c’est ce qu’il faut comprendre dans le rejet de l’accord avec le Mercosur”.
Quant au Mercosur, France Info a diffusé ce jeudi matin un reportage consacré aux incendies criminels au Brésil. Un ouvrier agricole a expliqué qu’il était payé l’équivalent de 600 euros par mois pour provoquer ces incendies criminels et qu’il n’avait pas le choix s’il voulait nourrir sa famille. Le rapport fait également état de l’arrestation d’un riche commanditaire des incendies. Cette dernière augmenterait de 40 % en un an, dans l’espoir que l’accord de libre-échange avec l’Europe à 27 ouvre de nouveaux débouchés à la viande, au soja et au sucre de canne au Brésil.
En France, la Fédération Nationale Bovine (FNB) vient de publier un communiqué concernant l’attitude contradictoire de la Commission européenne :
« Au printemps 2024, la direction générale de la santé de la Commission européenne a mené un audit pour évaluer la mise en œuvre des contrôles au Brésil. Le rapport d’audit souligne que « les dispositions actuelles visant à garantir que les bovins dont la viande est destinée au marché européen n’ont jamais été traités à l’estradiol 17B à des fins zootechniques ou thérapeutiques sont inefficaces » et que cela « remet en cause la présence continue du pays sur le marché européen ». Marchés européens” la liste des Etats autorisés à exporter du bétail vers l’Europe (…) Les services de la Commission européenne reconnaissent donc qu’ils n’ont pas la capacité de contrôler et de certifier le respect de la seule mesure miroir existante sur les importations de viande. la viande bovine, une mesure qui concerne pourtant la santé des consommateurs ! « .
La difficile application des lois Egalim…
L’un des objectifs des manifestations paysannes de novembre est aussi de faire pression sur les filières aval pour que les négociations annuelles sur les prix d’entrée des produits alimentaires dans les magasins se négocient dans l’esprit des lois Egalim. Ces lois visaient à prendre en compte l’évolution des coûts de production des produits alimentaires vendus par les agriculteurs aux transformateurs. La Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL) dialogue et négocie avec les transformateurs, dont Lactalis pour les entreprises privées et SODIAAL pour les coopératives. Ces deux sociétés transforment 40 % du lait de vache collecté en France pour la commercialisation de différents produits laitiers vendus par les distributeurs. Ils ont donc les moyens d’imposer des prix avantageux aux distributeurs. Mais la FNPL vient de publier un communiqué précisant que seule l’enseigne Intermarché a voté cet automne en faveur de l’application de la loi Egalim.
alors que les prix du marché obéissent aux cotations
Malgré l’adoption de trois lois Egalim depuis 2018, les négociateurs en aval tentent constamment de contourner la loi. Le prix de revient moyen d’un litre de lait de vache peut être calculé assez facilement en tenant compte des coûts de production. Les laiteries peuvent donc garantir cette juste rémunération aux producteurs et la reverser aux marketeurs, c’est-à-dire aux distributeurs, à travers le prix d’entrée en magasin.
Qu’il s’agisse de blé, de maïs ou de porc, il est encore plus difficile d’obtenir une juste compensation pour les agriculteurs via les lois Egalim. Les prix de ces matières premières continuent de dépendre des prix des salles de marchés. C’est le cas du port de Rouen pour le blé, de Creil pour le maïs, de Plérin dans les Côtes-d’Armor pour le kilo de carcasse de porc. La fixation hebdomadaire de ces prix continue d’obéir à ce que l’on appelle globalement « la loi de l’offre et de la demande ». De ce fait, ces prix peuvent rester très bas pendant plusieurs mois. La tonne de blé coûtait 214 euros le 12 novembre 2024 au port de Rouen, laissant au producteur environ 190 euros. Ce prix était de 330 € en novembre 2022, mais oscille autour de 200 € depuis mai 2023 car les stocks mondiaux de report sont abondants depuis deux ans.
La production avicole à partir de viande et d’œufs permet de calculer assez simplement le prix de revient de la production en tenant compte du prix des aliments céréaliers, de l’énergie et de la dépréciation de l’immobilier. Mais les producteurs qui transforment viande et œufs en produits prêts à vendre importent de plus en plus de viande de volaille du Brésil, de Thaïlande et d’Ukraine, ce qui réduit le volume des débouchés pour les agriculteurs français et donc leur rémunération.
Reste à savoir si la quatrième loi Egalim dont parle le gouvernement va changer cette situation. Pendant ce temps, en France, la souveraineté alimentaire décline, tandis que les conditions de production et les longs transports des produits importés augmentent l’empreinte carbone de nos plats.