Il s’agissait d’un conflit aussi court que fulgurant. Le géant russe a attaqué son voisin ukrainien, projetant de renverser son gouvernement et de saboter sa souveraineté en quelques jours. Nous voilà 1000 jours plus tard. Mille jours qui ont ébranlé bien des certitudes, mais qui éclairent le chemin à parcourir. Par des bribes de sagesse durement gagnée.
Vladimir Poutine n’a pas perdu la tête
Dans les premiers jours de l’invasion de l’Ukraine, beaucoup pensaient que Vladimir Poutine, enfermé dans son Kremlin aux murs épais, avait perdu la tête et était prêt à sacrifier son propre pays pour satisfaire ses idées impérialistes. Mille jours plus tard, il est temps de revisiter cette perception.
Le président russe ne joue pas aux dés, mais aux échecs.
«Nous avons constaté très tôt dans le conflit que Vladimir Poutine réagissait aux défaites sur le champ de bataille. Nous le savions depuis le retrait de la région de Kiev, au tout début de l’invasion. Il est devenu clair qu’il était prêt à reculer si nécessaire. Qu’il n’a pas perdu la tête», m’a dit mardi Maria Popova, professeure de sciences politiques à l’Université McGill et auteur d’un livre sur la guerre russo-ukrainienne publié cette année.
La menace nucléaire fonctionne trop bien
Dans le même ordre d’idées, il est devenu évident que la menace nucléaire russe contre le monde occidental fonctionne un peu trop bien. Les alliés occidentaux de l’Ukraine ont tous un pied sur le frein, craignant de déclencher une guerre atomique en franchissant la ligne rouge du Kremlin.
Joe Biden a mis des mois à autoriser l’Ukraine à utiliser des missiles américains à longue portée sur le territoire russe, tandis que la Russie bombarde l’Ukraine jour après jour.
Mardi, la réponse de la Russie au lancement des premiers missiles sur Briansk a été de revoir sa « doctrine nucléaire » et de hausser le ton. Pour la énième fois.
Si la Russie avait eu une ligne rouge, elle aurait été dépassée, notamment lorsque l’armée ukrainienne est entrée sur son territoire et a pris le contrôle de la région de Koursk, argumente Maria Popova.
L’OTAN n’est qu’un prétexte pour le président russe
Au début du conflit, la communauté des experts russes était divisée sur la question de savoir si l’Occident, en rapprochant l’OTAN des portes de la Russie, n’avait pas provoqué le cataclysme auquel l’Ukraine est aujourd’hui confrontée. Mille jours après la tentative d’invasion, il est devenu clair que l’OTAN n’est rien d’autre qu’un chiffon rouge que le président russe agite devant les Russes pour attiser leur nationalisme.
Andreï Kozyrev, dernier ministre des Affaires étrangères de l’Union soviétique et premier à occuper le même poste dans la Russie indépendante, a accordé cette semaine une interview à Meduza, un média russe indépendant en exil.
Andrei Kozyrev soutient que Vladimir Poutine a feint de vouloir intégrer la Russie à l’OTAN au début de son premier mandat présidentiel pour crier à l’injustice lorsque cette même alliance lui a demandé de procéder à de profondes réformes pour rejoindre ses rangs. «Il en a fait un épouvantail», dit-il. Et ça marche toujours.
Le coût des conflits traditionnels
Le conflit entre l’Ukraine et la Russie est le plus meurtrier en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale.
Le coût est élevé pour les civils, dont plus de 10 millions ont fui le pays. Les Nations Unies ont pu confirmer cette semaine qu’au moins 12 162 civils ont été tués depuis le 24 février 2022, dont 659 enfants. Il y a au minimum 26 919 blessés.
Ces chiffres ne sont cependant pas comparables aux pertes militaires estimées à plus de cent mille combattants de chaque côté du conflit.
Cette décimation, qui touche particulièrement les jeunes hommes, a déjà fait chuter d’un tiers le taux de natalité ukrainien, un phénomène qui peut laisser des traces profondes sur la génération montante.
Et quel est le résultat de ce meurtre ? A ce jour, les Russes contrôlent environ un cinquième du territoire ukrainien, y compris la Crimée annexée en 2014. D’ailleurs, pour les Ukrainiens, c’est cette annexion et le combat des forces séparatistes russes à l’est du pays qui ont véritablement marqué le début de la guerre. Conflit russo-ukrainien. Nous parlons de 10 ans et non de 1 000 jours.
De leur côté, les Ukrainiens contrôlent actuellement environ 1000 km2 du territoire russe, dans la région de Koursk, soit 0,0005% du territoire russe.
Ce que veulent les Ukrainiens
Avec l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche en janvier, beaucoup craignent que les Ukrainiens soient contraints de négocier avec le Kremlin par un président américain favorable à Vladimir Poutine.
S’alignant sur l’opinion publique ukrainienne, Volodymyr Zelensky a déclaré à plusieurs reprises qu’il n’abandonnerait pas un pouce du territoire ukrainien, mais selon Maria Popova, le territoire n’est pas ce qui compte le plus pour les Ukrainiens.
« Si la Russie mène cette guerre, ce n’est pas parce qu’elle veut le territoire ukrainien, c’est parce qu’elle veut sa souveraineté. Ce que les Ukrainiens réalisent aujourd’hui, c’est qu’ils ont besoin de garanties de sécurité pour rester souverains et pouvoir repousser une nouvelle invasion », explique le politologue, qui estime que c’est une condition préalable à la tenue des pourparlers de paix.
C’est donc cette souveraineté que les gouvernements occidentaux doivent contribuer à préserver et à renforcer, notamment en permettant à l’Ukraine de devenir à terme membre de l’OTAN ou d’une Europe de la défense. Car, une fois la guerre terminée, lorsque les accords de paix plus ou moins justes auront été signés, c’est la survie de la jeune démocratie ukrainienne, sa culture et sa langue qui resteront le plus grand affront face au régime autoritaire de Moscou. .