La détonation qui a secoué le quartier les a laissés imperturbables. En apparence. Assis sur des chaises en plastique dans un petit café de Ghobeiry, Hassan et Mohamed, la quarantaine et les yeux rouges d’une nuit blanche, ont tous deux une jambe qui tremble continuellement. Les deux voisins, chauffeur et restaurateur, se disent épuisés physiquement et nerveusement. Dans cet îlot de vie fragile, malgré l’odeur de brûlé qui emplit l’air, les gens discutent autour des narguilés, les yeux rivés sur les téléphones portables, tentant de localiser la dernière cible de l’armée israélienne. « Le bâtiment de cinq étages près du garage ? »
Pour ces habitants de la banlieue sud de Beyrouth, Dahiyé, à majorité chiite, la peur a un visage qui s’affiche quotidiennement sur le réseau social X, celui du colonel Avichay Adraee, porte-parole arabophone de l’armée israélienne. C’est lui qui annonce les bombardements. Lui qui oblige les rares personnes qui continuent de dormir à Dahiyé, vidée de son million d’habitants, à se relayer la nuit pour surveiller les réseaux sociaux quand les autres dorment. Au petit matin, des hommes armés ont tiré en l’air pour ordonner aux plus endormis de quitter leurs maisons.
Ce 14 novembre, Hassan et Mohamed sont partis précipitamment vers 3 heures du matin et ont dormi dans une voiture avant de rentrer. « Même les oiseaux fuient cet endroit »note Hassan avec amertume en désignant un groupe de mouettes se dirigeant vers la mer. Les deux hommes ont évacué leurs familles il y a un mois, mais sont restés pour veiller sur leurs appartements et ceux des voisins. Ils se disent « des civils, loin de la politique ». Mohamed, qui travaillait “plus de quinze ans en Côte d’Ivoire”, passe de l’arabe au français avec un accent ivoirien pour évoquer un avenir en suspens : « Je suis revenu pour ouvrir une entreprise. J’ai un restaurant, cinq employés et autant de familles à nourrir. Il est fermé depuis le 23 septembre [le jour où des frappes ont tué 569 personnes dans le pays, dont un grand nombre dans la Dahiyé]. D’accord, j’ai toujours une maison. Mais pour combien de temps ? »
Plaies béantes
Ibrahim, qui ne cache pas ses sympathies pour le Hezbollah, passe aussi ses journées à Dahiyé. Le chauffeur de taxi de nuit de 28 ans, dont l’épouse et la petite-fille se sont réfugiées entre Saïda et Nabatiyé, région pourtant exposée aux tirs israéliens, est resté pour surveiller son quartier avec quelques voisins du sud d’Haret Hreik, un quartier bourgeois. secteur commercial, où le Hezbollah abrite le siège de ses associations. « Sans eau, sans électricité ni commerces pour s’approvisionner. » Son immeuble a été miraculeusement détruit, deux bâtiments attenants ont été détruits par les frappes. S’il « soutient sans réserve la résistance »il assure : « Il n’y avait pas d’armes. Auquel cas tout le quartier aurait sauté. » Un argument souvent entendu parmi les sympathisants du Hezbollah.
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