Yves Chanal, incarcéré pour meurtre, interviewé sur TikTok depuis sa prison

Yves Chanal, incarcéré pour meurtre, interviewé sur TikTok depuis sa prison
Yves Chanal, incarcéré pour meurtre, interviewé sur TikTok depuis sa prison

Les téléphones portables sont officiellement interdits en prison. Mais tout le monde sait que cette restriction est une grosse plaisanterie. Dans les centres de détention et dans les centrales électriques, les téléphones sont partout. Les détenus les récupèrent au parloir, les font jeter par-dessus les murs ou encore les livrent par drone. Grâce à ce « petit plus », ils communiquent avec l’extérieur, continuent de diriger leur trafic à distance et tournent occasionnellement de courtes vidéos qui font le buzz, comme celle-ci qui montre fièrement la piscine gonflable installée dans leur cellule. Des images qui, jusque-là, étaient généralement adressées à leurs proches puis circulaient « par inadvertance » sur la Toile. Mais il y a du nouveau ! Force est désormais de constater que, au mépris de toutes réglementations, certains détenus se lancent à la conquête des réseaux sociaux, avec l’espoir d’attirer la plus grande audience possible (et les revenus qui vont avec).

Un prisonnier a trouvé la bonne veine pour fabriquer son miel

Ainsi, il y a des mois, un prisonnier a trouvé la bonne source pour gagner son argent : il interviewe ses amis incarcérés sur TikTok, sans aucun filtre, quitte à les laisser dire tout et n’importe quoi. Succès garanti ! Dans la série, on a déjà vu un soi-disant « fils de Fourniret » (mensonge) et une flopée de conneries gonfler leurs records pour jouer les durs… Mais en ce printemps 2024, c’est un tout petit détenu d’origine asiatique, 1 0,53 mètre sous la jauge, ce qui capte une nouvelle fois l’attention du vidéaste. Yves Chanal, 43 ans, a séduit 1,32 million d’internautes avec sa précédente vidéo. Un score fou ! Trop content de ce résultat, le tiktoker lui demande de revenir en arrière, et le pousse à s’exprimer pour faire exploser les compteurs de vues :
— Tu es le meilleur, Yves, force à toi ! il s’enthousiasme derrière l’objectif. Tu es le meilleur ! Sache une chose, c’est qu’on n’oubliera pas que tu étais un petit bonhomme sympa !
En face, tête glabre et pommettes arrondies sur un gros pull zippé, l’intéressé virerait presque au rose. Il faut dire qu’avec son physique maigre et son air timide, Yves Chanal semble effectivement inoffensif. Mais le qualifier de « gentil petit bonhomme »…

Pas d’amis, pas de travail et pas de boussole

31 décembre 2014, réveillon du Nouvel An. Alors que partout en France, on fête le Nouvel An avec ses proches, à Épinal, dans les Vosges, Yves Chanal est seul. Comme toujours. Fils unique de parents laotiens rentrés au pays, cet homme de 33 ans n’a ni amis, ni travail et encore moins de boussole. Ses seuls passe-temps sont les jeux en ligne et le porno. Pas de véritable alternative : gravement déprimée et gênée par sa petite taille, Chanal ne supporte pas les filles. Il a dû se ruiner quatre mois plus tôt pour enfin perdre sa virginité ! Une révélation tardive. Bouleversé, il retourne ensuite voir la prostituée à quatre reprises, jusqu’à ce qu’il lui fasse une grande déclaration et lui propose une vie commune. Elle a refusé. Mais ce soir de réveillon, avec ses billets soigneusement pliés dans sa poche, le « petit bonhomme » a envie de retenter sa chance. Il a une nouvelle adresse !

L’histoire est courte. Trop court

Il est tout juste minuit lorsque Chanal arrive au 21, rue François-Blaudez, un petit immeuble crème du centre-ville d’Epinal. Le cœur battant, il remonte troisième et frappe. Le panneau s’écarte. Ouah! Il découvre la jeune fille en pyjama ample et sous-vêtements noirs. A vrai dire, à 45 ans, Telma Da Silva Messia, brésilienne naturalisée portugaise, n’est plus de première main. Mais elle se maintient pour subvenir aux besoins de ses quatre enfants. Chanal entre et lui dépose 150 euros pour s’offrir une heure de délices. Mais d’après ce que nous comprenons, l’histoire tourne court. Trop court.
Après seulement dix minutes, emporté par son enthousiasme, le « petit homme » a déjà terminé ses affaires. C’est dommage. Déçu par lui-même, il réclame une compensation pour le temps « non utilisé ». Mais rien du tout. La jeune fille croit avoir rempli sa mission. Peut-être qu’elle lui a même ri au nez… Erreur. Car c’est là que Yves Chanal, accablé par la frustration, voit rouge. Rouge sang. Il sort son couteau de sa poche. Et lui saute à la gorge…

On imagine l’horreur de ses derniers instants

Le corps en décomposition de Telma Da Silva Messia a été retrouvé dix jours plus tard dans le même appartement, percé 53 fois, avec sa coupure jugulaire. On imagine avec effroi l’horreur de ses derniers instants…
Jugé en 2017 devant les assises d’Epinal, Chanal reconnaît les faits. Pour sa défense, il explique qu’il avait bu.
— J’aurais mieux fait de rester à la maison et de regarder du porno ! conclut-il.
En effet ! Le jury, trouvant une circonstance atténuante dans sa dépression chronique, l’a condamné à seize ans de prison. Un verdict qui aurait dû, en théorie, le faire disparaître des radars au moins jusqu’en 2030. Mais c’était sans compter les smartphones en prison, les réseaux sociaux, et… notre « journaliste » prisonnier !
Car ce 18 février 2024, qui voit-on soudainement revenir sur le devant de la scène, sur sa chaîne ? Yves Chanal, dix ans de plus, mais toujours aussi décalé qu’à l’époque.
— Salut, je m’appelle Yves et j’ai été condamné à seize ans de prison pour avoir tué une prostituée ! il se présente devant l’objectif.
S’ensuit un échange surréaliste, ici dépouillé de ses nombreux « weshes ».
— Aviez-vous des circonstances atténuantes ou quoi ? lui demande l’autre, surpris par cette phrase mesurée.
– Hé bien oui! L’alcool était aggravant, mais j’avais un problème de discernement.
— Oh ouais, c’est pour ça que tu as bien fait !
Puis le pseudo-journaliste s’adresse à son auditoire :
— Vous voyez, les gens, Yves est un gars génial, il est super sympa. Rien que l’alcool vous fait faire des choses. Le regrettes-tu, Yves ?
– Ouais. Après on réfléchit davantage.
— Et combien t’en reste-t-il ?
— J’ai droit aux congés et à l’hébergement, donc trois ans.
— En tout cas Yves, je te souhaite le meilleur pour la suite ! Force à vous !
— Force à toi aussi !

La séquence cartonne en ligne

Naturellement, pas le moindre mot pour la victime (regrette-t-elle, Telma Da Silva Messia, où elle est ?). Mais la séquence cartonne en ligne. A tel point qu’un mois plus tard, fort de ce succès, on retrouve les deux détenus pour un nouvel épisode.
— Yves, il y a 700 000 personnes qui te connaissent sur TikTok ! se félicite l’intervieweur.
– Ouais…
— Certains demandent si tu vas recommencer à ta sortie !
– Euh…
Le meurtrier réfléchit un instant. Puis lâchez ces mots improbables :
— Je ne sais pas ce qui pourrait arriver si je perdais vraiment le contrôle ou pas… À mon avis, non, mais…
Un aveu lunaire, mais peut-être sincère. Les internautes adorent ça. Dès lors, les épisodes de la série se succèdent, attirant un public toujours plus nombreux.
— Yves, tu regrettes vraiment ce que tu as fait ? Parce qu’il y a des gens sur TikTok, ils pensent que vous riez !
Alors :
— Yves, tu ne vas pas perdre le contrôle ? Regarde, là, tu es avec nous, tu contrôles, tu es calme ! Juste, dehors, ne buvez pas d’alcool !
— Ouais, l’alcool, c’est pas bon !
Et ça continue ainsi en boucle, pendant que notre tiktoker élimine le sujet jusqu’au bout. Un troisième épisode est mis en ligne. Puis le 6 mai, un quatrième.
— La vraie star de TikTok, elle est là ! » se vante l’intervieweur en guise d’introduction. Yves, il y a plus de 1,32 million de personnes qui te connaissent !
Mais cette fois, l’interviewé semble penaud.
— Mes parents m’ont crié dessus hier… avoue-t-il pitoyablement.
— (rires) Vous avez 43 ans et on vous crie dessus ? Pour quoi ?
— Bon, ce n’est pas très malin de faire des vidéos…
– Pour quoi ?
— Ben… c’est pas bien… Tu tournes là-bas ?
– Non ! Yves, il y a plein de filles, elles veulent ton numéro ! Vous êtes devenu une star !
— Vous ne filmez pas ?
— Mais non, ne t’inquiète pas !

À un moment donné, il faut se renouveler

Suivra une dernière séquence (au moment de notre clôture), publiée sur les réseaux le 29 mai, dans laquelle le « gentil petit bonhomme » commente vaguement l’actualité, avec la pertinence qu’on peut imaginer de lui. À un moment donné, il faut se renouveler…
Mais combien de temps l’administration pénitentiaire va-t-elle tolérer cela ? Pouvons-nous même imaginer qu’elle n’a rien vu ? Est-il décent de laisser un tueur sauvage, dûment condamné, débiter ses bêtises en ligne, au risque que les enfants de sa victime lui tombent à la figure ? Pouvons-nous laisser le public applaudir et faire émerger un star système du pire ?
Tout ce qu’on peut espérer pour l’instant, hormis la fin de cette mascarade, c’est que le juge des libertés ait tout vu, avant de rendre les clés à ce « gentil petit bonhomme ». Le gars lui-même avoue ne pas savoir s’il risque de recommencer ! Après le drame qui suit, le magistrat ne pourra pas dire qu’il ne pouvait « pas douter »…

Une enquête de Nissrine Hossne.

 
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