DDes AK-47 explosent. Les fumigènes se multiplient. Grenades explosives. Un exercice particulier aura lieu jeudi sur ce terrain de manœuvre en Champagne. Avec des balles à blanc. Manœuvrant à l’intérieur d’un profond réseau de tranchées, une poignée de soldats ukrainiens tentent de résister à une offensive ennemie. Mille jours après le début de l’invasion russe de leur pays, ce scénario se veut le plus réaliste possible, avec les conditions dans lesquelles vivent leurs camarades à plus de 3 000 km de là, dans le Donbass, sur cette ligne de front où fait rage le lutter contre les troupes de Vladimir Poutine.
C’est justement pour préparer cette épreuve du feu et risquer leur vie que 2 300 soldats ukrainiens sont arrivés ici, dans l’est de la France, à la mi-septembre. Ces hommes sont ceux de la nouvelle brigade Anne-de-Kiev, dont la formation a été assurée par 700 soldats français protégés des attaques aériennes quotidiennes de l’armée de l’air russe.
“Nous sommes prêts”
C’est donc dans un pays en paix qu’ils ont appris, en neuf semaines seulement, à devenir des combattants et surtout à acquérir les bases d’une culture tactique indispensable pour résister et espérer survivre. Indispensable car 90 % d’entre eux sont des conscrits, des novices qui n’ont eu qu’un mois de formation initiale à leur arrivée. Les 10 % restants sont des vétérans expérimentés et aguerris. Pendant un peu plus de deux mois, les troupes françaises les ont entraînés à la guerre des drones, en utilisant des véhicules blindés, dont des chars AMX-10 RC, en tirant avec des canons César, en évacuant les blessés, en coordonnant leurs actions, en sapant, en déminant…
« Avec César on est passé de la hache au scalpel »
Ce jeudi marque la fin de leur entraînement, avec un exercice débuté soixante-douze heures plus tôt sous les ordres du colonel Dmytro Riumshyn, commandant de cette brigade Anne-de-Kiev : « L’entraînement a été très efficace. Nous sommes prêts. Lorsque nous serons engagés dans des combats, notre brigade démontrera sa compétence. » Devant le canon César, fleuron de l’artillerie française qui équipe désormais l’armée ukrainienne, Nazar, chef de la division d’artillerie, approuve : « Nous sommes en forme et prêts à exécuter les ordres. » C’est un vétéran comme la plupart des officiers.
Petro s’est également mobilisé à ses côtés dès le premier jour de l’invasion russe. Avec cette nuance : pour lui la guerre n’a pas commencé en février 2022 mais en « 2014 ». “Il n’y a pas de bataille facile”, souligne-t-il. Je suis fier de tous mes hommes. » Surtout, la perspective de pouvoir répondre avec le canon César et ses obus de 155 mm le rassure : « J’ai commencé avec une pièce d’artillerie soviétique, mais elle n’était pas très précise. Avec César on est passé de la hache au scalpel. »
Âge moyen 38,5 ans
Selon les entraîneurs, le niveau des artilleurs ukrainiens est “très bon”. Au final, un modèle d’armée mixte se dessine : « Il y a un peu de France, un peu d’Ukraine et une envie très forte de combattre jusqu’au bout », souligne l’officier français. Un dualisme d’autant plus fort que cet entraînement s’accompagne d’un important plan de transfert de matériels, en l’occurrence tous ceux avec lesquels les Ukrainiens ont réalisé cet entraînement accéléré : véhicules blindés frontaux, chars AMX-10 RC, canons César, missiles anti-missiles. réservoir (lire ci-dessous)…
« Nos caporaux, qui ont 20-21 ans, ont formé des gens qui sont en âge d’être leurs pères et qui partent à la guerre »
Mais au-delà de cette approche globale inédite, cette brigade d’Anne-de-Kiev, parmi ses vétérans et ses conscrits, reflète aussi la réalité d’un pays saigné par la guerre et accablé par la fatigue. Preuve des difficultés de recrutement, la moyenne d’âge est de 38,5 ans. Les visages de certains militaires ne peuvent cacher les signes du temps, comme celui de ce conducteur de véhicule blindé de 53 ans, ancien employé d’une usine chimique.
Ce paramètre humain a aussi largement contribué à la singularité de cette formation : « Nos militaires ont vécu cette mission avec beaucoup de sérieux », confie cet officier français. Nos caporaux, qui ont 20-21 ans, ont formé des gens assez âgés pour être leurs pères et qui iront à la guerre. C’est une leçon inestimable. »
« Pour nous, c’est une lutte existentielle. Si nous perdons cette guerre, nous disparaîtrons. »
La guerre, en fait. Dans quelques semaines, ces hommes seront envoyés au front. “Pour nous, c’est une lutte existentielle”, observe le colonel Dmytro Riumshyn. Si nous perdons cette guerre, nous disparaîtrons. Nous en sommes tous conscients. Nous nous battons pour nos familles, pour nos maisons. C’est pourquoi nous gagnerons. »
Dans l’Ukraine assiégée qui les attend, la brigade Anne-de-Kiev a choisi comme devise celle des poilus de Verdun : « On ne passe pas. »
« Arrêtons de gaspiller nos efforts »
Alors que la France a déjà formé 15 000 soldats ukrainiens depuis le début de l’invasion russe, la brigade Anne de Kiev vient de lancer une nouvelle vague d’aide à l’Ukraine. Outre la formation militaire, il existe un vaste plan de transfert d’équipements. Ainsi, à leur retour en Ukraine, les 2 300 hommes de cette brigade poursuivront leur mission avec tout le matériel sur lequel ils ont été formés en Champagne. Il s’agit donc d’une approche globale nouvellement apparue. Concrètement, la France leur a fourni 128 véhicules blindés avancés, 18 chars AMX-10 RC, 18 canons César, 15 camions logistiques, 50 stations Milan avec 130 missiles antichar, six stations Mistral avec 30 missiles et armes diverses. Ces dernières heures, un premier train transportant une centaine de véhicules du front blindé s’est dirigé vers l’Ukraine.
« Il s’agit d’une approche sans précédent. Nous sommes le premier pays à mettre en œuvre ce principe, a souligné jeudi le ministre des Armées Sébastien Lecornu. En clair, cessons de disperser nos efforts entre formation et mutation. » Désormais les deux parties sont liées. “Il ne s’agit pas seulement de l’équipement”, a-t-il poursuivi. Ce qui a un effet tactique sur le terrain, ce sont les unités de combat constituées. » Quant à la possibilité de réitérer cette initiative, le ministre des Armées a assuré : « Je suis prêt à le faire si le Président de la République me le demande. » Tout dépendra aussi de la capacité de l’Ukraine à envoyer simultanément plus de 2 000 soldats en France pendant neuf semaines.