Non-respect des règles, cyberharcèlement, buzz… L’arrêt d’activité d’un compte YouTube, pas toujours voulu ni planifié, est aussi parfois le résultat d’une stratégie de production bien rodée. Voici une anthologie des enterrements fréquents.
Par Manon Boquén
Publié le 16 novembre 2024 à 19h00
Suppression pour non-respect des règles d’utilisation
Désinformation, incitation à la violence, non-respect des droits d’auteur… C’est la cause mortelle la plus fréquente. Chaque trimestre, YouTube recense le nombre de chaînes supprimées et les raisons de leur disparition – plus de 3 millions entre avril et juin 2024. À ce jeu, de nombreux YouTubeurs français ont déjà été sanctionnés, notamment des personnalités d’extrême droite comme l’essayiste Alain. Soral et l’influenceur Papacito ou encore l’ancien comédien Dieudonné.
Manque de puissance
Plus de notifications de Marion Séclin ou du duo Pervenches et Coquillages. Certains créateurs ferment boutique sans prévenir et en toute discrétion. À l’image de la chaîne littéraire Le Mock, au modèle économique fragile. « Réaliser des vidéos avec une telle ambition demande tellement d’énergie et de temps que cela n’était plus adapté à nos situations personnelles » explique le doctorant Nicolas « Redek ». Après dix ans de fonctionnement, ses cofondateurs se lancent dans de nouveaux projets de vulgarisation pour “Reprendre de l’énergie” et la créativité.
Mort naturelle
Cédric Villain avait tout prévu depuis le début : sa série historique C’est une horreur humaine contiendrait 45 épisodes, et pas un de plus. “J’ai maintenu cet objectif puis j’ai sorti un livre suite à ma vidéo finale, ce qui a permis de mener à bien le projet de manière cohérente”, explique le graphiste et enseignant professionnel. De ses trois années de création, il garde des souvenirs heureux : « C’est une façon incroyable de s’exprimer. » Ses 350 000 abonnés se souviennent parfois de lui avec des messages affectueux, « sauf qu’ils n’ont aucun pouvoir sur mon retour, c’est ça aussi qui est beau dans cette démarche ».
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Le meurtre malveillant
Il y a une dizaine d’années, Jérémie Kenubuhl gagnait un peu en notoriété avec ses vidéos Call of Duty sous le pseudo Angelox5. Avec 20 000 abonnés, le jeune de 14 ans se portait bien jusqu’à ce qu’un ami malveillant supprime sa chaîne avec tout son contenu. Impossible de remettre la main dessus. « J’étais dévasté. C’était mon monde, ce qui me permettait de créer des liens. » se souvient aujourd’hui l’étudiant en médecine, sans amertume. L’Alsacien a décidé de revenir sur les réseaux en 2019 sous le pseudonyme de Docteur JFK, et a sorti un livre. « Cette fin inattendue m’a aidée à grandir et à imaginer autre chose. »
Épuisement algorithmique
En septembre, Jean-Pierre Robelin, le créateur de la chaîne Le Potager de Lunas, est apparu en t-shirt devant ses serres. Mais cette fois, pas question de jardinage. Le titre de sa vidéo ? « J’arrête YouTube, une nouvelle page se tourne. » Trois saisons et 351 publications plus tard, le retraité de 68 ans a décidé de prendre son envol. «Je ne voulais pas insister et je ne voulais pas dépendre de l’algorithme. » Il s’est lancé sur YouTube comme un défi, pour prouver aux adolescents qu’il accueillait dans sa famille d’accueil qu’il en était capable. Sabrina Bennoui, spécialiste du monde arabe, évoque un sentiment similaire. Sa chaîne s’est essoufflée jusqu’à son arrêt en 2022. “C’était épuisant de produire des vidéos” » avoue cet ancien journaliste. Entre les commentaires haineux et la difficulté de suivre le rythme exigé par l’algorithme, la lassitude a pris le dessus.
Cyberintimidation
Menaces, insultes, agressions organisées… Une enquête Ipsos 2022 commandée par l’association Féministes contre le cyberharcèlement indique que 84 % des victimes sont des femmes. Sabrina Bennoui en fait partie. L’ancienne vidéaste raconte avoir reçu des commentaires si violents qu’elle ne les regardait plus et avait mis en place des filtres pour en bloquer certains. De nombreux créateurs de la plateforme ont été victimes de cyberharcèlement, à l’image de Marion Séclin, qui a même réalisé un documentaire à ce sujet, Je te salue salope. Cette haine en ligne pourrait les amener à mettre fin à leur présence sur YouTube. Sabrina Bennoui insiste : « À un moment donné, je ne suis pas là pour me faire frapper. »
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Épuisement des YouTubeurs
La question a inondé les médias en 2023 après les alertes et les pauses successives de personnalités populaires comme McFly & Carlito, Squeezie ou Mastu. La course au spectaculaire, au public et la place parfois encombrante d’une communauté à satisfaire sont quelques-unes des raisons de cette lassitude intense des créateurs. Si, pour la plupart, l’arrêt de la production vidéo n’a duré que quelques mois, d’autres ont tiré un trait sur leur activité, comme Antoine Daniel ou Diablox9. Ce dernier a raconté au micro du streamer Gotaga comment son quotidien de YouTubeur avait pris le pas sur tout le reste, au point de mettre un terme à une saine carrière.
Le divorce entre co-créateurs
C’est le cas qui a occupé le monde de YouTube ces derniers mois : la fin de la chaîne dédiée à l’automobile Vilebrequin. Alors que ses cofondateurs évoquaient leur burn-out pour expliquer l’arrêt de leur entreprise à succès, ils se déchirent désormais à travers des vidéos sur les raisons de cette issue désastreuse. Des règlements de comptes qui ont la capacité d’alimenter la machine à clics.
De fausses funérailles pour créer du buzz
Un peu de relâche ? Une envie de parler de vous ? On ne compte plus les vidéos vaniteuses signalant une fin imaginaire pour attirer les internautes, notamment la 1est avril. Cette pratique s’inscrit parfois dans une stratégie plus large. En janvier, le très populaire Theodort a supprimé tous ses contenus et a annoncé son départ de la plateforme, ce qui suggérait un au revoir définitif. Son équipe affirme néanmoins : « Tout a été pensé à l’avance pour créer le buzz et provoquer son nouvel arc narratif. » Il devrait donc revenir prochainement sur YouTube.
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La mort du YouTubeur
YouTube a gagné en popularité au cours des quinze dernières années. En fait, il y a encore peu de décès parmi les vidéastes, comme l’analysait Astronogeek dans un récent épisode sur le sujet. Mais que se passe-t-il lorsque l’un d’eux décède ? Bien souvent, les chaînes s’éteignent d’elles-mêmes, à moins que les ayants droit ne souhaitent poursuivre le travail entamé par le défunt. Il arrive aussi que les créateurs gagnent en popularité post mortem. C’est le cas du Belge Maxence Cappelle, dont la mort a généré des milliers d’abonnements et la création de plusieurs chaînes hommage.
En bonus, des vidéos post-mortem
« Alors si tu me regardes, je suis mort » [« Si vous me regardez, c’est que je suis mort », ndlr]annonçait l’Américain Paul Harrell début octobre sur sa chaîne dédiée aux armes à feu. Le YouTubeur, atteint d’un cancer, s’était préparé à son grand départ. Jusqu’à enregistrer un adieu publié après sa disparition. Il n’est pas le seul à y avoir réfléchi. Le vidéaste le plus suivi de la plateforme, MrBeast, a dévoilé l’un de ses nouveaux projets farfelus : il a déjà tourné une quinzaine d’épisodes qui seront publiés après sa mort. On se demande si sa chaîne finira un jour.