Alors que l’IA progresse, la gestion continue d’être retardée

Le 16 juin 2022, le gouvernement canadien a emboîté le pas à l’Union européenne et est devenu, en déposant le projet de loi C-27, l’un des premiers États au monde à proposer un cadre législatif pour l’intelligence artificielle (IA). Deux ans plus tard, son adoption est toujours en attente.

Aux yeux de nombreux observateurs, le dévoilement, quelques mois après le dépôt du projet de loi, la première version du chatbot ChatGPT a propulsé l’industrie. Pour la première fois, le grand public a compris le potentiel de cette technologie énigmatique.

Depuis, on assiste à une course effrénée au développement deIAmarqué tantôt par des avancées notables, tantôt par des déviations inquiétantes.

Si Ottawa espère que sa Loi sur l’intelligence artificielle et les données (LIAD) insuffle un vent de confiance dansIAle projet de loi dans lequel il est intégré peine à franchir les étapes nécessaires à son adoption.

Deux ans plus tard, où en sommes-nous ?

Le projet de loi C-23 comporte trois parties. Les deux premiers visent à protéger la vie privée et les informations personnelles, tandis que le troisième propose la création du LIAD.

Depuis le printemps 2023, le texte législatif est retenu pour examen en commission.

Après une trentaine de réunions, le Comité permanent de l’industrie et de la technologie n’étudie que le deuxième des 225 articles du projet de loi.

Ça n’avance pas assez vite, lance sans équivoque le ministre de l’Innovation, de la Science et de l’Industrie, François-Philippe Champagne. Selon lui, les partis d’opposition tentent de ralentir le processus parlementaire.

Le ministre de l’Innovation, de la Science et de l’Industrie, François-Philippe Champagne, souhaiterait que son projet de loi sur l’intelligence artificielle avance plus rapidement. (Photo d’archives)

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Le député néo-démocrate Brian Masse, qui siège au comité, a une opinion complètement différente. Il estime que le projet de loi est un fiasco complet Depuis le début.

Il y a des centaines d’amendements [à étudier]. Je pense qu’il y a plus d’amendements que de pages dans le projet de loi parce qu’il était si mal rédigéplaide-t-il en entrevue à Radio-Canada.

Le constat est le même du côté du vice-président du comité, le conservateur Rick Perkins, qui soutient par écrit que le projet de loi est cassé et déficient.

Si tout le monde semble d’accord sur la nécessité d’une loi surIAla structure en trois parties du projet de loi a agacé l’opposition depuis son dépôt.

À plusieurs reprises, les parlementaires ont proposé de diviser le projet de loi en deux pour isoler le LIADce que le gouvernement a refusé de faire.

Encore loin d’avoir complété l’étude des deux premiers articles du C-27, le comité devra attendre au moins la reprise de ses travaux à l’automne pour examiner les LIAD.

M. Masse ne s’attend guère à ce que le processus s’accélère une fois arrivé à la pièce en question.IA. Il y a encore toutes sortes d’amendements déposés, et je ne sais pas combien d’autres [modifications] les libéraux nous lanceront à la dernière minutese lamente-t-il.

Je n’ai jamais rien vu de pareil au cours de mes 22 années au Parlement.

Une citation de Brian Masse, député néo-démocrate, membre du Comité permanent de l’industrie et de la technologie

Un projet de loi qui se précise au fur et à mesure

Dans la première version du projet de loi, le gouvernement a laissé plusieurs dispositions du LIAD délibérément vague pour permettre à la législation de s’adapter aux innovations futures, ce qui lui a valu l’étiquette de « coquille vide » parmi de nombreux experts.

Tout a été délégué aux réglementations gouvernementales à venir, ce qui présente un risque à la fois pour l’industrie et pour les Canadiens.explique Florian Martin-Bariteau, professeur de droit à l’Université d’Ottawa et titulaire de la Chaire de recherche en technologie et société de l’Université.

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Florian Martin-Bariteau estime que la structure du projet de loi C-27 est une des raisons pour lesquelles il avance lentement au Parlement.

Photo : Radio-Canada

Face aux critiques, le ministre Champagne a soumis, l’automne dernier, des modifications au LIADafin de définir certaines catégories deIA a incidence élevéela pierre angulaire de la loi.

Ce sont ces systèmes jugés à haut risque que le gouvernement fédéral souhaite en priorité réglementer. Si la LIAD est adoptée, les entreprises qui développent et exploitent de tels systèmes seraient obligées, entre autres, d’évaluer et d’atténuer les dangers de leur l’IA, en plus d’assurer une surveillance humaine.

Les contrevenants seraient passibles d’une amende pouvant aller jusqu’à 25 millions de dollars, ou 5 % du chiffre d’affaires global de l’entreprise, selon le montant le plus élevé.

Pour le moment, le gouvernement canadien a identifié sept secteurs jugés plus à risque, une liste qui devrait s’allonger avec le temps.

Les sept classes de systèmeIA a incidence élevée

Loin d’être hypothétiques, les excès deIA dans ces secteurs sont déjà une source de nombreuses controverses, assurent les experts.

Par exemple, le logiciel de recrutement intelligent d’Amazon a discriminé pendant des mois les candidatures soumises par des femmes, tandis que l’utilisation de l’IA dans la gestion du portail d’information de Microsoft a contribué à la propagation de plusieurs fausses nouvelles.

Il y a eu une série de scandales ou de problèmes qui ont pu sensibiliser la population aux risques [de l’IA] et la nécessité de le superviser.

Une citation de Florian Martin-Bariteau, professeur de droit à l’Université d’Ottawa

Consciente des craintes croissantes de sa population, l’Union européenne a travaillé dur ces derniers mois pour adopter la première législation au monde sur l’IA. Ses dispositions entreront pleinement en vigueur en 2026.

François-Philippe Champagne a hâte de lui emboîter le pas.

Il y a un moment pour discuter. Il y a un temps pour débattre, mais il y a aussi un temps pour agir, et puis je pense que le moment d’agir est arrivéa-t-il insisté en entrevue, en marge d’une conférence de l’industrie automobile qui se tenait à Vaughan, en Ontario.

Des trous dans la facture canadienne, affirme un expert

Aux yeux du ministre Champagne, le LIAD n’a rien à envier à la législation européenne.

Nous avons adopté une manière différente de réglementer l’intelligence artificielle […]mais notre approche est tout à fait valableil maintient.

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L’Union européenne a été la première instance dirigeante au monde à adopter une réglementation complète sur l’intelligence artificielle. (Image d’archive)

Photo : Getty Images

Comme son homologue canadienne, la législation européenne cible principalement les systèmes deIA à haut risque. Cependant, elle propose pour l’instant une définition beaucoup plus exhaustive que la LIAD.

De plus, le droit européen interdit totalement l’utilisation deIA dans certains contextes, notamment pour la surveillance de masse et l’évaluation citoyenne.

Jusqu’à présent, le projet de loi canadien, dont les dispositions ne s’appliqueraient qu’aux entreprises privées, ne comporte pas de telles lignes directrices.

Depuis plusieurs mois, divers groupes dénoncent, entre autres, l’absence de garanties concernant la reconnaissance faciale dans le projet de loi.

Je trouve que le Canada manque peut-être d’ambition icijuge Céline Castets-Renard.

Le titulaire de la Chaire de recherche de l’Université d’Ottawa sur l’intelligence artificielle responsable à l’échelle mondiale craint également que LIAD n’assure pas un contrôle suffisamment strict de certains systèmes deIA en apparence inoffensive, mais qui peut conduire à des écarts importants.

Portrait de Céline Castets-Renard.

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Céline Castets-Renard estime que le projet de loi C-27 doit avancer, même s’il demeure imparfait. (Image d’archive)

Photo : Radio-Canada

Le professeur cite en exemple les robots conversationnels, qui, au-delà des usages quotidiens, peuvent être sollicités pour répondre à des demandes ambiguës, comme celles d’une personne cherchant des solutions à des problèmes de santé mentale.

Les outils d’hyperfaking peuvent également causer d’énormes dommages, observe-t-elle, en particulier lorsqueIA est utilisé pour produire de fausses images pornographiques ou pour faciliter des campagnes de désinformation.

À ce sujet, le gouvernement fédéral a proposé des modifications au LIAD afin de garantir aux Canadiens la capacité d’identifier le contenu généré par leIAun objectif qui reste ambitieux, préviennent certains experts.

Sans le LIADsommes-nous protégés ?

S’il estime nécessaire d’imposer un cadre législatif àIAM. Martin-Bariteau rappelle qu’entre-temps, de nombreuses lois continuent de protéger les Canadiens des excès de la technologie.

À mon avis, il n’y a pas d’urgence.

Une citation de Florian Martin-Bariteau, professeur de droit à l’Université d’Ottawa et titulaire de la Chaire de recherche universitaire en technologie et société

Les entreprises qui développent et exploitent des systèmes d’IA doivent, entre autres, se conformer aux réglementations en vigueur en matière de protection de la vie privée et de discrimination, souligne le professeur.

Il convient toutefois que l’adoption du LIAD permettrait de prévenir les risques, plutôt que de simplement réagir aux dommages.

Que manque-t-il […]c’est avoir des obligations en matière de transparence pour pouvoir comprendre ces systèmes et évaluer leurs risquesestime M. Martin-Bariteau.

Si nous voulons passer de la peur à l’opportunité, nous devons bâtir la confiance des gens. La meilleure façon d’y parvenir est de réglementer cette industrie.affirme de son côté le ministre François-Philippe Champagne.

Il admet lui-même que le code de conduite volontaire qui a été dévoilé en septembre dernier et qui compte à ce jour une trentaine d’entreprises signataires ne sera pas suffisant pour répondre aux inquiétudes des Canadiens. Il y a toujours une limite à ce que les entreprises peuvent faire volontairementil admet.

Les partis d’opposition refusent cependant d’adopter dans la précipitation un projet de loi qui, selon eux, demande encore beaucoup de travail.

Imaginez les dégâts que nous pourrions causer à notre démocratie et à notre économiefait valoir le député néo-démocrate Brian Masse.

Il suggère du même coup au ministre Champagne de revoir son approche au cours de l’été s’il veut que son projet de loi ait une chance d’être adopté avant les prochaines élections.

 
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