comment le chanteur est passé de « clown » à « héros national »

comment le chanteur est passé de « clown » à « héros national »
comment le chanteur est passé de « clown » à « héros national »

Le 16 juin, « Johnny Hallyday, l’exposition » fermera ses portes au Parc Expo à Paris. Récit personnel et hagiographique, cet événement a contribué au patrimoine de l’artiste, analyse l’anthropologue Gabriel Segré.

Johnny Hallyday en 1962. Photo Jacques Aubert/Universal Music France/Bridgman Images

Par Natacha Marbot

Publié le 15 juin 2024 à 15h00

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EElle traîne les pieds à la sortie. “Comme un regret de partir”, » Dit-elle, s’excusant à moitié d’avoir bloqué la porte. Cette femme, la soixantaine bien avancée, aux cheveux courts et décolorés et au t-shirt à l’effigie du rockeur, quitte « Johnny Hallyday, l’exposition », qui s’est tenue pendant six mois porte de Versailles, à Paris, et qui se termine définitivement. ce 16 juin. Après des obsèques nationales et un discours présidentiel sur le décès de la star le 5 décembre 2017, l’exposition, consécration totale de l’artiste, de sa vie et de ses fans, pose une nouvelle pierre à l’édifice du patrimoine de Johnny Hallyday. Autrefois moqué et méprisé, aujourd’hui présenté comme monument national, il fait l’objet d’un processus de légitimation décortiqué par l’anthropologue Gabriel Segré, professeur à l’université Paris-Nanterre et spécialiste des fans et du culte des stars. comme Elvis Presley, à qui il a dédié plusieurs ouvrages.

Comment cette exposition a-t-elle contribué au patrimoine de Johnny Hallyday ?
Elle le maintient en vie et assure sa postérité sous une forme d’héritage. Le visiteur découvre un récit pédagogique qui lui apprend tout sur la vie de Johnny et lui rappelle sa place dans le cœur des Français. La production souligne également ce que le monde de la culture « doit » à la star décrite comme la première à avoir popularisé le rock en France. L’ensemble de l’exposition est construit de manière festive, mêlant les éloges de personnalités comme Jean Reno, Fabrice Luchini, mais aussi ceux des « gens de peu », ce qui fait de Johnny consensuel et fédérateur, une sorte de héros national. L’héritage de Johnny a commencé avant l’exposition avec les funérailles nationales, les livres publiés sur sa carrière et même les CD posthumes.

La qualité artistique du travail de Johnny est-elle prise en compte dans cette démarche ?
Les critiques musicologiques ont accordé peu d’attention à l’œuvre de Johnny, sans doute en partie parce qu’il n’était ni le compositeur ni le parolier de sa musique. L’exposition met plutôt l’accent sur sa présence scénique, ses costumes, son importance pour les foules d’admirateurs. Sa vie et son personnage sont racontés comme une épopée, et son œuvre est considérée dans son ensemble comme un objet qui a choqué des millions de personnes sur plusieurs générations, mais pas tant comme une œuvre à analyser, dont on ferait une exégèse. . D’ailleurs, lorsque les sociologues et les historiens s’y penchent, c’est avant tout pour l’analyser comme un phénomène social.

Johnny Hallyday était-il un artiste véritablement méprisé ?
Le chanteur fut en effet longtemps dépassé et méprisé des milieux bourgeois et cultivés. Dès ses premiers concerts, la presse était déjà meurtrière. Cela faisait de Hallyday une sorte de clown obscène et éructant, un produit de rebelle et de marketing. Puis, au fur et à mesure de ses albums, il fut moqué pour sa timidité, ses difficultés d’élocution, ses racines populaires, ou encore son incapacité à écrire ou composer. Les critiques étaient très similaires à celles qui critiquaient Elvis Presley à ses débuts. De la légère moquerie à la franche condescendance. Ce qui déplaît beaucoup aux critiques musicaux, c’est sa voix, son air musclé, ses shows à l’américaine et ses orchestrations qui sont tout sauf sobres et élégantes, selon les critères de l’appréciation bourgeoise et esthétique de la musique. culture.

Les normes bourgeoises d’admiration exigent de la discrétion et vont à l’encontre des manifestations émotionnelles des fans de Johnny.

Pendant que le public suivait…
L’importance des fans dans le phénomène Johnny est soulignée à plusieurs reprises dans l’exposition : livre d’or, film d’hommage au public, galerie de tous les petits objets liés à leur adoration de la star… Les fans du chanteur, avec leurs t-shirts et les vestes en cuir à l’effigie de Johnny, leur sac banane, leurs bottes de cowboy, leurs tatouages ​​dédiés et leurs bagues sont recrutés dans les cercles populaires. Dans leur manière ostentatoire de vénérer le chanteur, ils sont à la fois disqualifiés – pour la culture légitime – et disqualifiants. – pour l’artiste qui y est associé. Les normes bourgeoises de l’admiration exigent de la discrétion et vont à l’encontre des manifestations émotionnelles des fans, qui leur valent être perçu comme immature, excessif, hystérique… Cette vision des fans n’est pas du tout spécifique à ceux de Johnny Hallyday, on l’a vue avec Claude François ou Elvis Presley, et on le retrouve aujourd’hui avec Taylor Swift par exemple.

La critique artistique est-elle encore possible de parler de ces « monuments », ou applique-t-elle encore une forme de mépris de classe ?
Lors d’un processus patrimonial, on observe aussi un mécanisme de défense « à tout prix » de la star qui consiste à réécrire son histoire, à en gommer les aspérités, et à l’ériger en saint. Dans ce contexte, la notion même de critique ne peut être acceptée par les fans, et sera accusée de mépris de classe si la star en question est issue d’un milieu ouvrier. Cela dit, si la critique prend pour objet les fans et leur comportement qui, on l’a vu, ne correspond pas à la grille de lecture de la culture légitime, alors oui, elle tend vers ce qu’on peut appeler du mépris de classe.

Le processus de légitimation n’intervient-il qu’au décès de l’artiste ?
Non, il existe des exemples d’artistes, comme Olivia Ruiz, qui a débuté en 2001 au Académie des étoiles et qui, année après année, s’est éloigné de ce milieu populaire pour arriver à une sorte de consécration sur la scène du Théâtre de Chaillot en 2016. Mais la mort de l’artiste peut initier ou accélérer ce processus. Des millions de fans se retrouvent soudain orphelins, et la disparition de la star met en danger leur identité et la communauté elle-même. Il s’agit donc pour ces fans de préserver le ciment du groupe, cela devient un devoir. Souvent, ils sont animés par une forte nostalgie : ce qu’ils protègent des assauts du temps, ce n’est pas seulement la star et son œuvre, mais c’est aussi une époque et une partie d’eux-mêmes, une jeunesse disparue, un passé idéalisé à réactualiser.

 
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