Il n’y a qu’un seul Derrick Henry. Et il n’y a qu’un seul Lamar Jackson. Et c’est avec l’idée de combiner ces deux joueurs terrifiants que les Corbeaux ont débuté leur intersaison en mars dernier. Mais aussi prometteuse soit-elle, il restait encore à faire fonctionner cette association. Car l’accord entre ces deux phénomènes n’est pas aussi évident qu’il y paraît. Pour exploiter au mieux le potentiel de leur champ arrièrele staff technique a dû travailler. Il a fallu faire des efforts et même changer l’identité de cette attaque. Arrivé à mi-saison, la formule semble désormais trouvée, pour un résultat dépassant toutes les attentes.
La vie « sous le centre »
Avec son incroyable mobilité, Lamar Jackson est à lui seul un hit dopaminergique dans le jeu de course. L’idée de le voir garder le ballon et détaler dans les espaces ouverts oblige chaque défenseur à oublier le Running Back. Nous ne reviendrons pas ici sur la théorie de option de lecture et tous ses dérivés qui sont partout dans la NFL. Un QB, un RB, un défenseur qui doit choisir qui plaquer, le QB qui décide qui garde le ballon en service. En pratique, ce style de jeu diablement efficace possède ses propres règles. La formation, notamment. Pour être exécuté efficacement, le jeu de course optionnel doit être utilisé dès le fusil de chasse : avec le QB et le RB côte à côte et à plusieurs mètres derrière la ligne offensive. Cela permet au QB d’observer les défenseurs dès que le ballon est récupéré et de prendre sa décision rapidement.
Toutes ces explications pour dire : une attaque labellisée « Lamar Jackson » est implicitement associée à fusil de chasse. Ce qui n’est pas sans faute. En particulier, Ce n’est pas un style qui convient à Derrick Henry. Malgré sa vitesse de pointe extraordinaire pour son gabarit, Henry reste un golgoth d’1,90 m et 110 kilos, et le paie par son manque de vivacité. Ce n’est pas le RB le plus explosif sur ses premiers appuis, donc une formation sous centre lui convient bien plus, puisqu’elle lui permet de prendre plus d’élan et d’arriver lancé à la reprise du ballon. A l’inverse, le fusil de chasse nécessite que le RB soit quasiment statique au moment de l’échange QB-RB. Un style qui convient par exemple au dynamique Justice Hill.
Aussi passionnante que puisse être leur association, le ajuster entre Lamar et le roi paraissait donc étrange. Et cela s’est ressenti lors des deux premiers matches, où la machine a eu du mal à démarrer.
L’adaptabilité du staff des Ravens, et en premier lieu de Todd Monken, doit être soulignée. Dès la troisième semaine, Baltimore a décidé d’utiliser davantage d’entraînement sous le centrepour le bénéfice d’Henry évidemment… Mais aussi pour Jackson.
Sans parler du boost évident du jeu de course, l’adoption de cette formation a permis à Lamar d’exploser en tant que passeur. Même si le meneur de jeu des Corbeaux doit ses deux titres de MVP à son extraordinaire créativité, il ne faut pas penser que son style de pur passeur soit peu orthodoxe. Il ne faut pas se laisser berner par ses extravagances qui ont fait le tour de la planète, Lamar aime tout autant un jeu plus conventionnel. Des actions de jeu plus classiques, avec beaucoup de protection et peu de lignes, c’est peut-être là qu’il est à son meilleur.
Depuis le début de sa carrière, il se montre particulièrement performant sur les passes du milieu de terrain dans les zones intermédiaires. Et avec des receveurs comme Rashod Bateman ou Zay Flowers, il s’entoure de coureurs de route expérimentés pour s’installer dans les bonnes zones.
Cette partie de son jeu restait cependant méconnue du grand public, en raison de l’utilisation intensive de fusil de chasse avec les Corbeaux. Les feintes de course – qui sont à la base du Play Action – sont plus brèves et donc beaucoup moins efficaces pour attirer les Linebackers. En s’engageant dans ce changement de style, Baltimore a complètement débloqué une partie jusqu’alors endormie de son attaque. Et quitte à simuler la course, il est appréciable d’avoir dans son backfield le RB le plus intimidant de ces 10 dernières années. On parle toujours de Derrick Henry, le King, un monstre physique qui à lui seul a fait des Titans du Tennessee une place forte de l’AFC. A 30 ans, le coureur n’a rien perdu de sa superbe et se base sur sa meilleure saison. De quoi donner au jeu de course une énorme gravité, rendant les actions de jeu d’autant plus efficaces.
Le duo de la peur
Nous savions que le champ arrière Jackson-Henry était une combinaison terrifiante sur le papier, mais nous ne savions tout simplement pas comment. Car ce n’est pas une hypothétique lecture-option entre ces deux-là qui taraude les défenses de la NFL cette saison : c’est le mélange de leurs deux gravités.
Prenons une illustration : vous souvenez-vous des Rams 2018 ? Cette attaque a marqué son époque avec un jeu basé sur de contrebandeune variante de l’action de jeu qui fait semblant de courir d’un côté du terrain pour que le QB s’échappe de l’autre côté. Abandonnant sa poche, mais complètement seul, ce dernier a tout le temps de lire les routes qui se développent.
À l’époque, les Rams utilisaient et abusaient de cette tactique pour donner des solutions faciles et efficaces à leur QB Jared Goff. Et les défenses ne pouvaient rien y faire, car elles étaient déjà débordées en essayant de contenir Todd Gurley. A leur manière, les 49ers de Kyle Shanahan n’ont pas tardé à reprendre cette tactique avec Jimmy Garropolo.
Bien. MAINTENANT, imaginez ce qui se passe dans la tête d’un coordinateur défensif si on remplace ces quarterbacks par… Lamar Jackson. Un double MVP que les défenses ne veulent pas laisser seules de leur poche. Et en même temps, il fallait surveiller une locomotive qui roulait à toute vitesse de l’autre côté…
Et c’est ainsi qu’après des années de tâtonnements, les Ravens de Baltimore ont trouvé le meilleur schéma pour promouvoir leur superstar : une version 1.0 de l’attaque Shanahan. Un style de jeu qui permet aux défenseurs de se faire écraser entre la gravité imposée par les deux monstres de ce backfield. Concrètement, être Linebacker face à cette attaque, c’est se retrouver entre le Soleil et Jupiter. Et si vous pensez que j’exagère, considérez ceci : les Ravens sont, à ce stade, au même niveau offensif que les Patriots de 2007 ou les Chiefs de 2018.
Le roi du 4ème quart-temps
L’effet Kisscool (à moins que ce soit voulu ?) Quand on ajoute Derrick Henry, c’est sa capacité à dominer la fin de match. Dès son arrivée à Baltimore, le King fut couronné de sa propension à s’améliorer au fur et à mesure du match. Là où les défenseurs se lassent de le plaquer, Henry gagne progressivement en force et peut à lui seul faire tomber les dernières barrières.
Si cette qualité était déjà vantée chez les Titans, elle prend une toute autre dimension chez les Corbeaux. Habituée à dominer le début d’un match, l’équipe de John Harbaugh a toujours eu cette fâcheuse tendance à craquer sur la fin. Cela est dû à une mauvaise gestion en seconde période et à une incapacité à garder le ballon dans les moments chauds. L’ajout du coureur superstar améliore la capacité des Ravens à étendre leurs possessions et à contrôler la fin des matchs.
Évidemment, c’est aussi un aspirateur élan. Imaginez, vous démarrez bien la deuxième mi-temps, réduisez l’écart, vous sentez que tout est encore possible, alors vous voyez ceci :
Dire que c’est démoralisant serait un euphémisme. Le quatrième quart-temps n’a même pas commencé et le match semble déjà terminé. Cette version du jeu de course des Ravens est aussi violente physiquement que psychologiquement. Les Ravens ont souvent été critiqués pour avoir oublié leur jeu au sol lors des séries éliminatoires. Faire la même erreur avec une telle arme serait décidément impardonnable cette année, même avec un passeur au sommet de son art.
Malgré les nombreux kilomètres à son compteur, on savait que l’arrivée de Derrick Henry à Baltimore pouvait révolutionner une équipe qui avait terminé première de la saison régulière en 2023. On ne savait juste pas comment. Car si on salivait beaucoup d’un jeu de course mêlant les jambes de son QB à la puissance de son RB, l’attaque de Todd Monken voyait les choses différemment. C’est en réalité la gravité offerte par les deux joueurs qui fait exploser les défenses, tout en profitant au maximum des qualités des deux joueurs. Le résultat est une saison qui pourrait offrir un troisième MVP à Lamar et un deuxième OPOY à Henry. Et surtout, au-delà de toute statistique ou trophée, une impression de domination et d’explosivité qui laissera une trace indélébile dans les mémoires de Charm City.
J’aime ça:
J’aime chargement…