Sans s’être consultés, Denis Talbot et Claude Rajotte ont tous deux lancé cet automne leurs autobiographies. Rencontre avec deux anciens de MusiquePlus, dont l’amitié a survécu au chômage des VJ du monde entier.
Denis Talbot plaisante. «J’ai 65 ans, mais dans ma tête, j’en ai encore 22», raconte l’ancienne tête d’affiche de MusiquePlus, multipliant les douces ébats pour le plaisir du photographe. « Dans ma tête, j’ai 7 ans et demi », répond d’emblée son collègue Claude Rajotte, qui en a en réalité 69.
Cela fait sept ou huit ans que le gardien du Cimetière CD et M. Clean ne se sont pas croisés, mais entre eux, c’est toujours comme si c’était hier. On ne passe pas plus de deux décennies dans les tranchées d’une station aussi fabuleusement botte de foin sans qu’une camaraderie ne se cimente, de la vie à la mort.
Qu’est-ce qu’ils admirent le plus l’un chez l’autre ? « J’aime la franchise de Claude, répond Denis, son honnêteté, sa rigueur, son sarcasme. C’est mon ami. »
Claude, bien que peu friand d’effusions d’émotions, en ajoute une couche touchante : « Je dirais que pour moi, Denis est comme un frère. »
Juste différent
De 1987 à 2004 (Rajotte) et de 1989 à 2014 (Talbot), MusiquePlus a été le terrain de jeu de toutes les permissions pour ces deux communicateurs qui avaient d’abord appris leurs leçons à la radio, notamment à CKOI. C’est au 96,9 FM que Denis a été suspendu pour avoir joué une chanson trop brutale : Elle vend un sanctuaire de Le Culte !
C’est également au 96.9 que l’insubordination de Claude a obligé la direction à mettre en place un système de couleurs afin de distinguer, au dos des disques, les chansons interdites des autres. “Je ne comprenais pas pourquoi je ne pouvais pas jouer Bobépine de Plume et Maman vagin de Péloquin-Sauvageau», dit-il faussement naïf.
Leurs autobiographies respectives dressent ainsi le portrait de deux insoumis, allergiques aux réunions qui n’en finissent pas et aux compromis qui ne servent qu’à apaiser les appréhensions des patrons.
Sa conception de Les Aventures du Grand Talbotce magazine vérité dans lequel il s’est réellement mis en danger, le nommé Denis a dû en défendre ardemment la pertinence et la faisabilité, et son succès lui donnerait raison.
« Je ne dirais pas que nous étions rebelles, nous étions juste différents », ajoute-t-il. Mais me faire dire non simplement parce que c’est plus facile, par quelqu’un qui préfère s’asseoir seul, m’a toujours mis en colère. »
La MusiquePlus des beaux jours, « jusqu’à ce que Bell vende à Remstar », explique-t-il, leur aura permis d’aller aux limites d’une liberté aujourd’hui inconcevable. Une liberté dans laquelle le direct, désormais si rare à la télévision, n’était pas un détail.
« Nous sommes meilleurs quand nous le faisons en live, parce que le dynamisme est là. Il y a une montée d’adrénaline qu’il est impossible de vivre autrement», souligne Rajotte, qui s’amuse encore beaucoup ces jours-ci à la barre. La chaîne musicalesur ICI Musique, la station dont il a été licencié en 2011.
« J’ai fait tellement de live, ajoute Talbot en riant, que si je me prépare du thé, à 2 minutes 38, je sais qu’il est temps d’arrêter ça. Mon horloge interne est conditionnée. »
Le plaisir des rencontres
Parce qu’il y a moins de place à la télé traditionnelle pour des cons comme eux, c’est dans le podcast que Denis Talbot a trouvé refuge. Une marge qu’il avait déjà investie en 2005 et qui lui a bien servi lors de la déconnexion de son émission culte sur les nouvelles technologies et le jeu vidéo, M.Net.
« J’ai commencé mon podcast parce que même quand je suis parti M.NetJ’ai ressenti l’incompréhension des patrons, déplore-t-il. On me demandait encore de faire des concours de cartes postales, comme à l’époque de la Dixième chaîne. »
« Et j’ai constaté depuis que le terme podcast était beaucoup galvaudé », regrette-t-il. Ce n’est pas juste de prendre une émission diffusée sur les ondes et de la mettre sur le Web. Il s’agit de créer du contenu original. » Ce qu’il fait encore du mardi au jeudi à 20h sur Twitch.
Pour Rajotte, pas question cependant de prendre la voie du podcast. « Mon buzz, et je le revis actuellement chez ICI Musique, c’est de travailler avec les gens, de rencontrer des gens. »
Ces rencontres offrent aussi à chacun de leurs livres ses passages les plus exaltants. Musiciens plus ou moins cohérents, plus ou moins collaboratifs et plus ou moins intoxiqués, Claude Rajotte et Denis Talbot en ont tous deux croisé des centaines.
« Une bonne entrevue, pour moi, ce n’est pas une série de questions et de réponses, c’est se lancer dans l’univers de l’autre, se mouler à lui », plaide Rajotte. Difficile de toute façon de suivre les questions quand on a Nick Cave qui déchire ses papiers ou quand on est devant Jean Leloup, avec qui on a eu l’impression d’être à La Ronde. »
Denis : « Avec Leloup, c’était comme faire un tour de laveuse-sécheuse. »
« Et ce qu’il faut dire, poursuit Talbot plus sérieusement, c’est que MusiquePlus était l’un des rares endroits où les artistes pouvaient parler de la vraie création, de leurs expériences, et pas seulement de banalités. Et c’est pour cela qu’ils finissaient souvent par dire des choses qu’on ne pouvait pas entendre ailleurs. »
Les deux amis prennent alors des nouvelles de leurs anciens camarades, dont Sonia Benezra. «Quand Sonia a quitté MusiquePlus, d’un coup, il faisait noir», raconte Rajotte. « Elle nous a beaucoup manqué », confirme Talbot. « C’est la meilleure intervieweuse que nous ayons au Québec. »
Claude Rajotte et Denis Talbot se séparent, non sans s’être fait les câlins les plus gênants et les plus touchants. Les clips vidéo ont tué des stars de la radio et YouTube a mis au chômage des VJ, mais rien ne mettra fin à leur amitié.
Claude Rajotte sera en séance de dédicaces au Salon du livre de Montréal le 29 novembre de 19 h à 20 h 30, le 30 novembre de 14 h 30 à 16 h et le 1er novembreest Décembre de 14h30 à 16h
Denis Talbot sera au Salon du livre de Montréal le 30 novembre de 13h à 15h et le 1er novembreest Décembre de 13h à 15h
Les oreilles de Rajotte
Claude Rajotte
Editions de l’Homme
248 pages
Les aventures de M. Clean et Grand Talbot
Denis Talbot
Un monde différent
224 pages