Inflation, écologie… Marianne Laigneau, patronne d’Enedis et femme de tous les défis

Nouvelles compétences

Crise sanitaire, crise énergétique, crise d’approvisionnement, inflation des matières premières, crise sociale au moment de la réforme des retraites, Marianne Laigneau a connu une série de défis depuis sa nomination il y a quatre ans à la tête du réseau de distribution d’électricité. « La crise fait partie de notre style de gestion », dit-elle d’un ton fataliste. Renommée l’an dernier pour un mandat de cinq ans, la patronne s’attaque désormais à son plus grand défi : adapter Enedis à la transition énergétique.

Le 15 mars 2024, avec le maire de Bosc-du-Theil et le directeur Normandie d’Enedis. Toutes les deux semaines, elle visite l’une des 25 unités régionales, souvent dans des communes de moins de 2 000 habitants. Crédit : Nicolas Stiel

Dans les années 2010, lorsque le système électrique reposait sur des moyens de production centralisés (thermique, nucléaire, hydraulique), l’entreprise de 40 000 personnes, filiale à 100 % d’EDF, n’était finalement qu’un maillon périphérique. de chaîne. Les électrons étaient transportés jusqu’au consommateur via le réseau de transport de RTE puis vers celui d’Enedis.

Avec l’essor des énergies renouvelables, plus besoin de lignes haute tension, l’électricité est directement connectée au réseau de distribution. Cela oblige Enedis, le concessionnaire du réseau, à réaliser chaque année des centaines de milliers de branchements. Pour faire face au caractère intermittent des éoliennes et des panneaux solaires, l’entreprise doit acquérir de nouvelles compétences en matière de gestion des flux et d’outils de contrôle.

Les pannes de courant se multiplient à nouveau

Elle doit également accompagner l’émergence de nouveaux usages comme l’autoconsommation et les véhicules électriques, dont le nombre devrait être multiplié par dix au cours de la prochaine décennie. Mais aussi d’anticiper les ravages des aléas futurs (tempêtes, inondations, incendies) en solidifiant les infrastructures et en enterrant les lignes lorsque la nature du terrain le permet.

« Nous sommes face à la deuxième électrification du pays », résume Marianne Laigneau. Un projet monumental estimé à 96 milliards d’euros d’ici 2040. Cette année, l’entreprise investira 5,4 milliards, soit 500 millions de plus que l’an dernier. Mais pour les communes propriétaires du réseau, ce montant vertigineux est insuffisant compte tenu de la fréquence des sinistres. Rien qu’en 2023, il y aura seize tempêtes !

Les pannes de courant, qui avaient diminué, ont encore augmenté de 16 % l’an dernier. “Enedis communique sur ses investissements mais chez moi je n’en vois pas la couleur”, déplore Michel Teyssedou, président du Syndicat départemental de l’énergie du Cantal. « Les délais de connexion ont été réduits de moitié », objecte le gérant. Dans les cinq prochaines années, 1,2 million de sites de production d’énergies renouvelables seront connectés au réseau», assure celui qui suit l’avancée des travaux comme du lait sur le feu.

La valeur du travail, le sens du service et l’intérêt général

Toutes les deux semaines, équipée de son gilet, de son casque et de ses chaussures de protection, Marianne Laigneau part visiter l’une des 25 unités régionales du groupe, souvent dans des communes de moins de 2 000 habitants. Ses rencontres avec les salariés d’Enedis, les syndicats et les élus lui offrent un très bel instantané de cette France. “archipel” aux services publics endormis.

Pour autant, Marianne Laigneau ne sombre pas dans la morosité. « Quelle que soit la couleur politique des communes, leur situation géographique ou leur taille, je suis frappé par la cohérence autour de la transition énergétique », dit celui qui qualifie Enedis d’« entreprise de fracture antisociale » car elle souhaite maintenir sa présence dans les coins les plus reculés du territoire.

Mère de deux garçons, fan de football, Marianne Laigneau est une patronne au caractère bien trempé. Lorsque, l’année dernière, la CGT a coupé l’électricité dans les stades et les collèges lors de la réforme des retraites, elle a convoqué son représentant syndical pour lui dire « qu’il n’est pas acceptable que des actes malveillants ou illégaux soient commis portant atteinte à la continuité de l’approvisionnement en électricité.

Le 11 septembre 2022, sur le parcours de La Parisienne, course à pied exclusivement féminine. Mère de deux garçons, c’est une patronne (2e en partant de la gauche) au caractère bien trempé. Crédit : Collection personnelle

Pourtant, rien ne prédestinait cette femme de lettres née à Antony (Hauts-de-Seine) à diriger le plus grand réseau électrique d’Europe (1,4 million de kilomètres). Ses parents, enseignants, lui ont donné une éducation républicaine, laïque et féministe, où prédominent l’importance de la valeur du travail, le sens du service et de l’intérêt général, et le fait de ne rien s’interdire.

Un « projet industriel et humain »

Il y a deux ans, elle faisait également partie de la short list pour succéder à Jean-Bernard Lévy, PDG d’EDF. “Dans notre classe (Condorcet), il y avait des gens “normaux” et des gens ambitieux qui visaient la botte et que certains surnommaient des “tueurs”, raconte l’historien Arnaud Teyssier.. Marianne faisait partie de cette deuxième catégorie. » En 1991, elle manifeste contre le déménagement de l’ENA à Strasbourg et y campe dans un sac de couchage aux côtés d’une dizaine d’étudiants, dont Valérie Pécresse.

En décembre 2019, au Brésil pour un projet d’aménagement hydroélectrique. Alors directrice internationale d’EDF, elle fait ses débuts dans la diplomatie au Mozambique puis en Tunisie. Crédit : SP

Elle a fait ses débuts dans la diplomatie au Mozambique puis en Tunisie, avant de rejoindre Gaz de France en 2004 avant de rejoindre EDF où elle a été pendant neuf ans la seule femme au comité exécutif. Elle occupera les postes de secrétaire générale adjointe, de directrice RH puis de directrice internationale.

En mai 2008, lors de l'Assemblée générale d'EDF, à la gauche du PDG Pierre Gadonneix. Alors directrice juridique, Marianne Laigneau sera la seule femme au comité exécutif du groupe public pendant neuf ans.

En mai 2008, lors de l’Assemblée générale d’EDF, à la gauche du PDG Pierre Gadonneix. Alors directrice juridique, Marianne Laigneau sera la seule femme au comité exécutif du groupe public pendant neuf ans. Crédit : SP

L’ancien PDG d’EDF, Henri Proglio, se souvient « d’une femme un peu raide mais toujours carrée, honnête et loyale ». En 2020, elle arrive à la tête d’Enedis, nommée par Jean-Bernard Lévy. Une maison qu’elle connaît bien. Depuis 2010, elle siège au conseil de surveillance. Rémunéré par un tarif prédéfini et payé par les utilisateurs, Enedis est la pépite d’EDF. Et aussi une belle au bois dormant.

En novembre 2013, avec Henri Proglio et des étudiants du CFA aux Mureaux (Yvelines). L'ancien PDG d'EDF se souvient

En novembre 2013, avec Henri Proglio et des étudiants du CFA aux Mureaux (Yvelines). L’ancien PDG d’EDF se souvient “d’une femme un peu raide mais toujours carrée, honnête et loyale”. Crédit : SP

Dès son arrivée, Marianne Laigneau lance un « projet industriel et humain » dans le but de faire de la filiale EDF le service public préféré des Français puis transforme le groupe en une entreprise à mission. Les salariés l’apprécient – ​​l’indice d’engagement (70 %) est atteint un an à l’avance – mais, au sein de la hiérarchie, certains ingénieurs rechignent, jugeant la stratégie d’Enedis trop axée sur la communication à l’heure où il faut à tout prix l’électrifier.

“L’entreprise est tranquille depuis trente ans”

« Il y a une pénurie de techniciens et les performances opérationnelles se dégradent », témoigne un ancien directeur. Il n’y a pas eu d’anticipation de la part d’Enedis dans la transition énergétique. » Marianne Laigneau écarte ces critiques. « Notre réseau fait 35 fois le tour de la Terre et, tous les trois ans, nous construisons un nouveau tour du monde pour relever les défis d’électrification du pays. Et, tous les quatre ans, nous rénovons et modernisons son équivalent pour répondre aux enjeux de résilience climatique. »

Marianne Laigneau connaît la résilience. La diplômée en Lettres Classiques a rédigé sa thèse sur le stoïcisme. Habile politicienne, elle a apaisé les relations d’Enedis avec les communes, même si tous les points de friction, notamment la question des investissements, ne sont pas résolus..

« Sa grande réussite, c’est d’avoir renégocié, sans trop de vagues, la quasi-totalité des contrats de concession », explique Christian Escallier, directeur général de Michel Klopfer, cabinet spécialisé dans les finances locales. Même si le monopole d’Enedis tombait légalement [ce qui n’est pas d’actualité], l’entreprise est désormais silencieuse depuis trente ans. » Ce qui signifie que le gestionnaire du réseau continuera pendant trente ans à verser de confortables dividendes à sa maison mère EDF, qui en a bien besoin.

Un projet colossal

En bonne petite soldate du service public, Marianne Laigneau entame désormais les négociations avec les services de la Commission de régulation de l’énergie pour définir le montant du futur tarif d’utilisation du réseau public d’électricité (Turpe) qui finance 90 % de son activité.

La discussion, qui s’annonce longue et technique – le prix ne sera connu qu’à la fin de l’année – intégrera tous les paramètres de l’équation, notamment la facture payée par les Français, qui doit rester à un niveau soutenable. En tant que dirigeant responsable, le président ne devrait pas demander une augmentation trop soudaine des prix.

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Mais à l’heure où le changement climatique s’accélère, le modèle économique d’Enedis, tel qu’il a été défini, tient-il encore la route ? « C’est vrai, le travail à faire est colossal. Mais si on le traite de manière industrielle, en standardisant les procédés, en activant les leviers techniques et humains, il n’y a aucune raison pour que nous ne puissions pas le mener à bien. » En pleine tempête, Marianne Laigneau garde la tête froide. L’échec ne fait pas partie de son vocabulaire.

 
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