En janvier 2023, alors que le débat portait sur le transfert des chars Leopard 2 et Abrams à l’armée ukrainienne, la France faisait savoir qu’il n’était pas question de se séparer de ses Leclerc. Le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, l’a expliqué en indiquant que tout transfert d’armes vers l’Ukraine doit être évalué selon trois critères.
Elle doit « répondre à une logique défensive, maîtriser l’escalade » et « ne pas détériorer notre modèle de sécurité et de défense », a-t-il déclaré au Sénat, avant de souligner l’importance de pouvoir assurer le maintien en condition opérationnelle. [MCO] matériel livré. Cependant, lorsqu’il s’agit de Leclerc, le maintien « est une question sensible », a-t-il souligné.
Le ministre aurait pu citer un quatrième critère : qu’au-delà de leurs qualités et performances intrinsèques, les équipements livrés puissent permettre aux forces ukrainiennes de gagner en efficacité.
En tout cas, le 6 juin, le président Macron a sans doute rompu avec cette approche en annonçant le transfert vers l’Ukraine d’un nombre indéterminé de Mirage 2000-5F, un avion de combat alors censé rester en force. service dans la Force aérienne et spatiale [AAE] jusqu’en 2029.
Le Mirage 2000-5F reste cependant utilisé de manière intensive par le groupement de chasse 1/2 Cigognes. [l’unité « référente » de l’AAE en matière de défense aérienne] et l’escadrille de chasse 3/11 Corse [ce dernier ayant assuré 200 missions et 600 heures de vol pour sécuriser la mer Rouge depuis Djibouti, nldr]. Selon l’édition 2024 des « Chiffres clés de la défense », vingt-huit exemplaires étaient encore en service au 31 décembre 2023.
En octobre, toujours sans en préciser le nombre, M. Lecornu avait confirmé que les Mirage 2000-5F destinés à l’Ukraine seraient modifiés pour leur permettre d’emporter des munitions air-sol ainsi que d’améliorer leur système de guerre électronique. Et il a ajouté que ces appareils seraient livrés à Kiev au cours du premier semestre 2025, c’est-à-dire après que les pilotes et techniciens ukrainiens auront terminé leur formation.
Ceci étant dit, la pertinence de ce transfert de Mirage 2000-5 dépendra du nombre d’avions concernés et de la capacité à assurer leur MCO. [ce qui suppose une chaîne logistique ad hoc] tandis que l’Ukraine devrait également recevoir plusieurs dizaines de chasseurs-bombardiers F-16 d’occasion.
Cependant, dans son avis budgétaire sur « la préparation et l’emploi des forces – Aériennes », le député Frank Giletti [RN] révèle que la France va bientôt livrer « six Mirage 2000-5F aux forces armées ukrainiennes » [FAU] » avec un « modèle d’accompagnement global ». Ces six avions suffiront-ils à produire des effets militaires ? Quoi qu’il en soit, leur transfert aura des conséquences sur l’activité de l’AAE, dont le format d’aviation de combat est déjà « réduit à l’os ».
« Ces transferts de Mirage 2000-5 se traduiront par […] un report d’activité sur la flotte de Rafale et Mirage 2000D rénovés au risque d’une inévitable augmentation des coûts MCO et d’une dégradation de leur disponibilité. Ils accéléreront également, sans préjudice, le retrait du service opérationnel des Mirage 2000-5», prévient le député.
Aussi, selon lui, “l’anticipation des livraisons de la 5ème tranche de Rafale au standard F4 est un compromis respectable pour limiter le ‘capacity gap’ résultant des diverses pertes et cessions”. Et de préciser : “A long terme cependant, l’objectif final restera inchangé, les commandes anticipées ne concernent pas d’avions supplémentaires.”
« Un Rafale nécessitant en moyenne trois ans pour être produit, cette anticipation des livraisons doit être inscrite dans le projet de loi de finances à l’horizon 2025. Au-delà de la simple avance des commandes à objectif constant, [ils serait souhaitable] que l’objectif du Rafale Air à l’horizon 2030 soit relevé afin de véritablement compenser les futures ventes de Mirage 2000-5 qui entraîneront de facto une réduction du format de nos avions de chasse pendant trois ans », a encore insisté M. Giletti.
Pour rappel, à la fin de la Loi de Programmation Militaire [LPM] 2024-30, l’AAE devra déployer 48 Mirage 2000D rénovés [soit 7 de moins qu’initialement prévu] et 137 Rafale. Cela représente 185 avions de combat au total. Au 31 décembre 2023, il en comptait 196.
Il n’est cependant pas certain que l’AAE puisse atteindre, voire maintenir, ce format de 185 appareils, qui doit lui permettre d’honorer ses contrats opérationnels.
« Les livraisons de Rafale doivent être programmées dans cette optique en vue du remplacement des flottes de Mirage 2000-5 et Mirage 2000D rénovées. [retrait en 2035]. Toutefois, la LPM 2024-2030 fixe le nombre de Rafale dont disposera l’AAE à 137 d’ici 2030, soit 48 appareils de moins que l’objectif de 185 Rafale fixé par la LPM 2019-2025. La perte récente de 2 Rafale B et les hypothèses de transferts de Mirage 2000-5 à la FAU suggèrent à ce stade de programmation une réduction à 185 avions de combat pour 10 ans. [2026-2036] », a souligné le rapporteur.
Selon lui, cela ne peut avoir que « des conséquences délétères sur les indicateurs d’activité opérationnelle des pilotes de chasse qui sont légèrement inférieurs aux objectifs, mais surtout sur la disponibilité de matériels trop demandés ».
Photo : AAE