Elle augmente l’espérance de vie, aide à combattre le cancer et élimine les toxines. Voilà quelques-uns des bienfaits du jeûne, selon le sacro-saint Google. Et ce n’est que la pointe de l’iceberg car, de nos jours, un effet de mode prête presque toutes les vertus à l’alimentation. Réduction des maladies cardiovasculaires, tonus retrouvé, boost du système immunitaire… Pour certains, on ne serait pas surpris de lire que cette pratique séculaire permet, entre autres miracles, de booster la repousse des cheveux. Cela montre que le jeûne aujourd’hui cristallise tous les fantasmes.
Mais au fond, qu’en disent les followers ? Et surtout : qu’en pense la science ? Après tout, nous pourrions bien avoir affaire à un vaste canular. Raison pour laquelle avec son documentaire Le jeûne, à la croisée des chemins (2019), Fabien Moine, qui se présente comme « naturopathe-hygiéniste » et « éducateur à la santé », va à la rencontre de médecins et de « jeûneurs » amateurs. L’objectif ? Faites le point sur nos connaissances sur la portée thérapeutique du régime. Mais avec une démarche dont l’impartialité laisse songeur, au vu de l’activité professionnelle du directeur : son site personnel vend des formations en ligne, dont une intitulée “Comment réussir son jeûne” pour la somme de 199 euros. Se concentrer.
Une habitude séculaire pour « régénérer » le corps et… faire tomber enceinte des femmes infertiles ?
« Même s’il y a de la fatigue et quelques vertiges, après avoir arrêté de manger pendant plusieurs jours je me sentais bien, vraiment bien même »s’enthousiasme un plus rapide. Ce qui, par sa pratique, s’inscrit dans une tradition étonnamment ancienne. Après tout, déjà au 5ème siècle avant notre ère, le célèbre L’ancien médecin Hippocrate recommandait le jeûne à la place des médicaments. Sur un plan plus spirituel que médical, le bouddhisme prescrit également le jeûne. Ainsi que les religions chrétienne (Carême), judaïque (Ykippour) et musulmane (Ramadan).
Bref, aussi contre-intuitif que cela puisse paraître, l’idée de s’interdire de manger pour se sentir mieux est assez vieille école. Mais de quoi parle-t-on exactement ? En raison de la tendance, le jeûne se décline aujourd’hui sous toutes les saveurs. Par souci de synthèse, citons simplement la version sèche (pas de nourriture ni de boisson), l’eau (pas de nourriture, mais les liquides sont autorisés) et intermittente (pas d’ingestion, mais seulement une partie de la journée). « L’objectif est d’activer les mécanismes de compensation de l’organisme »demande un médecin intervenant. Avant de dérouler : « Le glucose que nous ingérons fonctionne comme un nutriment cérébral. Alors quand on jeûne, le corps doit le trouver ailleurs. Dans le foie d’abord, puis en le fabriquant à partir d’acides gras et aminés ». Le régime devient dangereux lorsque le métabolisme est tellement déficitaire en glucose qu’il est obligé de faire fondre la masse musculaire. Effrayant?
Concernant le jeûne vigilant et encadré, l’intervenant se veut plutôt rassurant. En soulignant notamment que « Le corps humain est habitué aux fluctuations alimentaires ». Après tout, notre « la capacité à surmonter les périodes de pénurie a joué un rôle dans la survie de l’espèce »elle se souvient. Certainement. Mais, concrètement : pourquoi pousser sciemment notre métabolisme vers ces extrêmes ? Quelle est la clé ?
Tour à tour, plusieurs adeptes défilent dans le documentaire, tissant les lauriers de ce qui apparaît comme une panacée. Pour certains, le jeûne a contribué à ralentir l’invasion de la sclérose en plaques. D’autres évoquent la guérison de sinusites invasives, ou encore… la grossesse de femmes prétendument stériles. Des témoignages passionnants, mais qui n’ont pas “aucune valeur probante” souligne l’auteur du documentaire.
Aucune étude clinique tangible
En fait, tous les médecins professionnels apparaissant à l’écran, aussi passionnés soient-ils par le jeûne, le reconnaissent sans détour : il n’existe à ce jour aucune preuve scientifique qui permettrait d’établir avec certitude l’intérêt thérapeutique du jeûne. le jeûne, comme le confirme une étude de l’Inserm de 2024. Mais certains « guérisseurs » le recommandent néanmoins, afin de soigner des maladies chroniques. Concernant le cancer par exemple : on peut trouver de nombreuses ressources indiquant que l’alimentation « affamerait » les cellules cancéreuses… et participerait donc à la guérison. Mais aucune étude clinique définitive ne soutient cette hypothèse. Pire encore : les régimes restrictifs peuvent potentiellement aggraver la perte de poids, ainsi que la fonte musculaire. Deux facteurs néfastes au processus de traitement médical de la maladie, comme le rappelle l’Institut national du cancer.
Faut-il pour autant abandonner la voie du jeûne thérapeutique ? Selon Christian Tal Schaller, médecin généraliste de formation (aujourd’hui à la retraite), ce serait une grave erreur. Tout simplement parce qu’aux yeux de ce fervent défenseur des médecines non conventionnelles, ce qui constitue un choix de casting curieux, compte tenu de ses positions complotistes à l’égard de la vaccination qu’il compare à « un véritable holocauste » et la crise climatique – un “arnaque” à ses yeux – le régime aurait des vertus “régénérateur” que les animaux eux-mêmes utilisent. En effet, de nombreux sites évoquent le recours « instinctif » au jeûne par certaines espèces en cas de maladie… mais sans jamais citer de sources scientifiques sérieuses.
« Attention au charlatanisme ! »
En un mot : les études manquent. Une lacune que le docteur Patrick Baqué, chirurgien actuellement doyen de la Faculté de médecine de Nice, espère combler. « Je pensais que l’université avait besoin de s’ouvrir aux médecines non conventionnelles (…) pour d’une part les promouvoir si elles sont efficaces, mais surtout lutter contre le charlatanisme qui peut mettre en danger la vie des gens. des malades (…). C’est pourquoi je souhaite mettre en place une étude clinique, qui consisterait à réunir des médecins en formation afin qu’ils puissent évaluer l’impact sur eux-mêmes d’un jeûne de huit jours.. Un projet d’enquête à petite échelle donc, qui ne permettrait évidemment pas d’établir définitivement la preuve (ou la contre-preuve d’ailleurs…) de la pertinence du jeûne médical.
Mais un premier pas néanmoins vers l’exploration d’une voie thérapeutique que d’autres pays empruntent déjà. En Russie, en Allemagne et aux États-Unis, le jeûne est prescrit dans un cadre médical. Et parallèlement à ce mode de garde encadré, certains, dans leur coin, se consacrent aux jeunes intermittents. dans l’espoir de… prolonger leur espérance de vie. Avec l’idée qu’un corps habitué aux privations serait « préparé » au mieux à affronter les épreuves de l’âge. Bien. Que les convaincus soient prévenus : ceux qui pratiquent un régime de seize heures par jour ont un risque 91 % plus élevé de mourir d’une maladie cardiovasculaire, selon un rapport de l’American Heart Association, publié en mars dernier.
D’une manière générale, l’engouement populaire et médiatique autour du jeûne inquiète les professionnels de santé, que ce soit sous la forme d’une « cure détox » ou à des fins thérapeutiques. Dans un communiqué de mars 2024, l’Association française des diététistes nutritionnistes a déclaré avoir » a récemment signalé et alerté (…) le ministère de la Santé. En particulier sur les problèmes provoqués par l’absence dans la loi du délit de « pratique illégale de la diététique et de la nutrition » pour protéger les utilisateurs contre les « pseudo-nutritionnistes » aux pratiques déviantes et infondées ». Conclusion de l’association : «Aujourd’hui, l’existence du seul délit d’« exercice illégal de la médecine » n’est pas suffisante et efficace pour protéger les Français contre ce fléau (la désinformation médicale ndlr) à l’œuvre partout ».