Cchapeau vissé sur la tête, polo impeccable posé sur de larges épaules, chaussettes ; on eût donné le Bon Dieu sans confession à Paul Pradier, un nonagénaire souriant sur la fin de sa vie. Sur une photo conservée par ses amis vendéens, on le voit poser fièrement dans « son uniforme d’été », d’un blanc immaculé. La robe lui donnait (presque) l’apparence d’un pape en résidence à Castel Gandolfo, une dimension sacrée. Le sang qui tachait ses mains ne pouvait plus le tacher : des décennies après la fin de la Seconde Guerre mondiale, il avait eu le temps de sécher.
Le Vendéen Frédéric Albert consacre un livre à Paul Pradier (1), qu’il considère comme son grand-oncle : « C’était un grand-père radieux, un ami de la famille. » Et il poursuit aussitôt : « Enfin l’ami de la famille qu’on croyait connaître. » Contrairement aux comédiens de la troupe du Splendid, son grand-père a infiltré la Résistance. Et il ne l’a découvert qu’après son décès, en 2018. «Nous avons appelé un de ses neveux pour lui annoncer la nouvelle. Il nous a parlé brièvement de la guerre et de la prison pour tout ce qu’il avait fait », raconte Frédéric Albert. Des observations intrigantes qui ont poussé les Vendéens à enquêter sur le passé de ce « courageux petit Paul ».
Ce n’est pas SD
La lecture d’un passage de l’ouvrage « 1944 en Dordogne » de Jacques Lagrange (Pilot24, 1993) l’a fait « sortir du placard ». Il est écrit : « Le milicien Paul Pradier, originaire de Montagrier ». Grâce à ses recherches dans les archives bordelaises et une rencontre avec le fils d’un ancien complice de Pradier, Frédéric Albert se rend compte de l’évidence ; le petit homme qu’il aimait, aussi serviable que faussement grincheux, n’était pas un milicien, mais un membre du Sipo-SD, un service de renseignement SS.
« Pradier est responsable de l’expulsion de plusieurs personnes. Il a participé à l’attaque du maquis de Durestal ou au massacre des Piles”, contextualise l’historien périgourdin Patrice Rolli. Ses travaux soutiennent ceux de Frédéric Albert et permettent de relier Paul Pradier à de nombreux méfaits commis au cours des années 1943 et 1944. Ils furent de plus en plus nombreux sous l’impulsion de la brigade nord-africaine, constituée par les nazis au printemps 1944. L’un des dirigeants de cette unité de délinquants était Alexandre Villaplane, le « Platini ou Zidane des années 30 ».
“Lacombe Lucien”
Patrice Rolli poursuit : « Paul Pradier était sans scrupules, insolent. Les circonstances de l’histoire lui ont permis une ascension rapide. Ce qui en ressort, c’est un sentiment de toute-puissance. » Peut-être trouve-t-elle son origine dans une déception professionnelle : le jeune cantonnier de Montagrier rêvait depuis longtemps de devenir mécanicien. Frédéric Albert fait un parallèle avec une œuvre de fiction, « Lacombe Lucien ». Le film de Louis Malle, sorti en 1974, raconte l’histoire d’un jeune homme d’origine modeste qui, après avoir été rejeté par la Résistance, devient un membre zélé de la Gestapo. La ressemblance est frappante.
Seule la fin diffère. Lucien Lacombe, personnage de fiction, est tué par des résistants à la fin de la guerre. Paul Pradier, véritable collaborateur, finira par avoir 90 ans. Petit commerçant, le cantonnier de Montagrier avait été condamné à mort à deux reprises. La peine sera commuée en réclusion à perpétuité ; il partira au bout de dix ans, puisque le tournant des années 1950 est favorable aux amnisties.
Le cantonnier de Montagrier avait été condamné à mort à deux reprises
Droit à l’oubli ?
C’est le début de la nouvelle vie de Paul Pradier, loin du Périgord. Il ne reviendra qu’occasionnellement, notamment pour recevoir un héritage. Le petit homme s’est installé dans le Luberon, avant de s’installer en Vendée pour y finir ses jours. Il laisse dans Les Herbiers le souvenir d’un homme « bavard, jovial, mais discret dans sa vie ». «Quand on a appris son passé, ça a été un énorme choc», raconte Frédéric Albert. Et il ajoute en souriant : « Certains me disent : ‘Tu te rends compte ?’ J’ai encore les pots de confiture que Pradier m’a donnés ! Je leur dis de les conserver soigneusement. »
Quelqu’un a demandé à Frédéric Albert les raisons qui l’ont poussé à s’interroger sur le passé : qu’ont en commun l’informateur SS de 1944 et le grand-père en chaussettes de 2010 ? «Je me suis posé la question», souffle l’auteur vendéen. Ce travail est une réparation pour ma famille et pour les victimes de Paul Pradier. Légalement, il a payé sa dette envers la société. » Le droit à l’oubli ? «C’était valable de son vivant. »
(1) « La Dernière Gestapo », Frédéric Albert, Éditions RMP, 18 €. Disponible à la vente sur Amazon ou à commander par email à [email protected] (+ 4€ de frais de port).