Une partie du personnel éducatif du collège Lezay Marnésia, à Strasbourg, entame une troisième nuit d’occupation de l’établissement. Grâce à une organisation bien rodée, ils comptent poursuivre leur mobilisation jusqu’à ce que les communautés trouvent une solution pour leurs étudiants à la rue.
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Les lampadaires de la rue du Poitou jetaient encore leur lumière blanche sur les rares piétons lorsque Louis Schlatter arrivait devant le portail du collège Lezay Marnesia, à Strasbourg. “Alors, la soirée s’est bien passée ?« Devant lui, Baptiste Greib, 41 ans, emmitouflé dans son sweat kaki, en pantalon de jogging, tape un peu du pied pour s’échauffer.Tranquillement, nous avons vraiment dormi cette fois-ci !« Baptiste vient de passer la nuit au collège, où il est professeur de français et de latin. Ils étaient une dizaine à ses côtés, 25 au total, se relayant depuis vendredi 9 novembre pour occuper leur établissement en signe de protestation contre la situation extrêmement précaire de certains de leurs étudiants. Treize d’entre eux dorment dans la rue avec leur famille depuis la rentrée.
“Nous avions déjà manifesté l’hiver dernier pour un ou deux cas d’étudiants dans la rue, mais c’est du jamais vu.confie Baptiste Greib. Et le pire, c’est que nous avons une solution au sein même du collège.« La revendication des enseignants est simple : que nous utilisions les logements de fonction vacants disponibles au collège Lezay comme solution temporaire pour l’hiver prochain. Mais la Communauté européenne d’Alsace (CEA), propriétaire des murs, assure qu’ils réservent ces espaces aux enfants placés ou aux mineurs non accompagnés.
En attendant un éventuel changement dans les communautés, les enseignants s’organisent tant bien que mal pour que la mobilisation de choc dure. “Nous faisons des horaires de 7 heures pour faciliter la tâche de ceux qui ont des enfants, par exemple.explique Sylvie Thiriet, professeure bibliothécaire de 66 ans.
Les manifestants ont principalement élu domicile dans la salle des professeurs, et parfois même dans le CDI, qui s’étend sur environ 200 m2. Ils dorment dans des sacs de couchage, à même le sol ou sur des petits matelas gonflables. “Ceux qui ont l’habitude de camper en plein air ont fourni du matériel à ceux qui n’avaient rien», sourit Baptiste. Ces professeurs qui dispensent habituellement leurs cours sereinement derrière leur bureau, se retrouvent endormis au pied du photocopieur ou des étagères de livres. “C’est sûr que ça fait bizarre», sourit Luca, professeur de français de 37 ans. “Mais attention, nous sommes bien conscients que cela n’a rien à voir avec les conditions de vie de nos étudiants dans la rue : nous avons le chauffage, un travail, une maison qui nous attendent quand tout sera fini. Cela n’a absolument rien à voir avec.»
Les squatteurs reçoivent également le soutien de certains de leurs collègues qui ne se mobilisent pas. “Nous avons un collègue qui est venu nous apporter notre repas hier soir», a fait remarquer l’un d’eux. Pour passer le temps, certains ont ramené leur pile de papiers à corriger, d’autres ont emporté avec eux des livres et des jeux de société.
« Je me souviens d’une réunion parents-profs où une fille s’endormait systématiquement sur les bras croisés. J’ai compris après coup qu’il y avait eu un orage la nuit et que la famille avait dû se réfugier dans un gymnase.
Géraldine Dalla, enseignante au collège Lezay
Mais le plus souvent, les enseignants parlent. Ils parlent « bien sûr » du sort de ces enfants des rues pour lesquels ils se battent. Chacun a sa propre anecdote révélant la gravité de sa situation. Ce sont ici des cernes, le même pull que l’on voit plusieurs jours d’affilée pour certains, une incapacité à se concentrer pour d’autres. Géraldine Dalla, enseignante auprès d’élèves allophones (dont la langue maternelle n’est pas le français, en l’occurrence), est régulièrement témoin de scènes pleines de sens. “Je me souviens d’une réunion parents-profs où un enfant s’endormait systématiquement sur ses bras croisés. J’ai compris plus tard qu’il y avait eu un orage la nuit et que la famille avait dû se réfugier dans un gymnase après avoir passé des heures sous la pluie..»
Les enseignants débattent aussi beaucoup sur la suite de l’opération. Que se passera-t-il une fois le retour des élèves et la reprise des cours mardi ? Jusqu’où aller ? “Nous espérons sincèrement que nous aurons au moins une réaction du CEA d’ici là, souffle Baptiste Greib. Sinon… Nous verrons alors. Mais pour l’instant, l’objectif est le même : nous ne quittons les lieux qu’après avoir reçu un retour du CEA sur notre proposition. Nous irons jusqu’au bout. »
Ce n’est pas la première fois que des enseignants occupent ainsi un établissement afin de faire pression pour des solutions d’hébergement pour leurs élèves. Il y a un an, à Toulouse, une école primaire connaissait une telle mobilisation. Les parents ont été menacés d’expulsion et les enseignants de sanctions. Ils avaient tenu bon. Après deux semaines, les familles ont été temporairement relocalisées.