malgré la guerre en Ukraine, la continue ses achats sulfureux

malgré la guerre en Ukraine, la continue ses achats sulfureux
malgré la guerre en Ukraine, la France continue ses achats sulfureux

© Andreï Rudakov/Bloomberg

– L’usine Yamal LNG, Russie, en 2018.

A peine plus d’une journée. Arrivé le 25 septembre au port de Montoir-de-Bretagne à Saint-Nazaire (44), le méthanier « Fedor Litke » n’est pas resté longtemps à quai pour décharger sa précieuse cargaison. Dans les cales de ce navire de 299 mètres de long ? Gaz naturel liquéfié (GNL). Pour l’instant rien à redire, sauf que ça gaz transformé sous forme liquide pour être facilement transporté par mer vient tout droit de Sibérie ! Comme le « Fedor Litke », une quinzaine de méthaniers traversent régulièrement l’Arctique et la mer du Nord depuis la Russie, pour accoster dans les ports de mais aussi de Belgique ou d’Espagne.

Peut-être pensiez-vous que les sanctions économiques, qui frappent la Russie de Poutine depuis son invasion de l’Ukraine en 2022, empêcheraient tout commerce avec l’Europe, à commencer par les hydrocarbures dont Moscou est l’un des principaux exportateurs mondiaux ? Cela est vrai pour les produits pétroliers, beaucoup moins pour le gaz. Un curieux paradoxe, puisque les 27 de l’Union européenne soutiennent Kiev depuis le début de la guerre.

Risque de flambée des prix et de problèmes d’approvisionnement

Ce n’est d’ailleurs pas la seule bizarrerie de la région. Regardez le sud-ouest de la Russie, l’Azerbaïdjan, qui accueille en novembre prochain la nouvelle conférence mondiale sur le climat (COP 29). Pour être moins liés à Moscou, de nombreux pays européens ont récemment augmenté leurs achats de pétrole et de gaz azéri, malgré les violences récurrentes commises dans la région du Haut-Karabakh, qui ont conduit l’an dernier à son annexion au détriment de l’Arménie.

Revenons à la Russie. Trop dépendants de son gaz naturel, abondant et bon marché, les Européens n’ont pas pu y mettre un terme totalement, au risque d’une envolée immédiate de prix déjà tendus. Parce qu’il n’est pas facile de trouver des alternatives ailleurs dans le monde, la demande étant forte de la part d’autres grands producteurs de gaz comme Norvège ou AlgériePar exemple. Achats de ÉTATS-UNIS ont été augmentées en GNL, mais cela n’a pas suffi. Du coup, nous avons dû mettre un mouchoir en papier à nos bons sentiments et continuer à acheter de l’essence. La Russie, toujours en baisse de sa part de 40 à 8% entre 2021 et 2023.

TotalEnergies importe du GNL sibérien

Mais entre le chantage du fournisseur Gazprom et les approvisionnements rendus incertains après le sabotage en septembre 2022 du Nord Stream, le principal gazoduc reliant la Russie à l’Allemagne, il a fallu opter pour des acheminements plus sûrs de GNL par bateau. Le problème est qu’ils ne diminuent pas avec le temps. Au premier semestre 2024, les importations en Europe ont même atteint 11,84 milliards de mètres cubes. En hausse de 11 % par rapport à la même période en 2023. Et il n’y a pas de quoi se vanter : La France arrive première, avec 4,38 milliards de mètres cubesplus du double de l’année précédente, selon les estimations de l’Institut d’économie de l’énergie et d’analyse financière (IEEFA).

Comment expliquer une telle spécificité ? Pour comprendre, un retour historique est nécessaire. À partir des années 1990, la fin de la guerre froide offre à la France l’opportunité de diversifier ses sources d’approvisionnement énergétique, en se tournant vers l’ex-URSS qui en disposait en abondance. A ce petit jeu, le groupe Total (devenu TotalEnergies en 2021) est aux avant-postes : participation dans la société russe de gaz naturel Novatek (2011), les investissements en Sibérie dans des sites de production de gaz liquéfiés de Yamal GNL (2013) et Arctique GNL 2 (2019)… Peu importe la dérive très autoritaire du régime et l’annexion de la Crimée en 2014. Ce qui explique pourquoi notre champion français maintient encore aujourd’hui une activité dans le pays de Poutine.

TotalEnergies a participation dans les consortiums exploitant les deux sites de GNL sibérien mais aussi chez Novatek.

Or ces actions ne valent plus rien. Il n’y a plus de dividendes qui nous reviennenta assuré le PDG du groupe, Patrick Pouyanné, lors d’une audition devant une commission d’enquête du Sénat au printemps dernier. »

Des achats qui financent indirectement l’offensive russe ?

Le groupe continue en revanche de financer l’usine de Yamal, comme l’a précisé le directeur des affaires publiques du groupe, Jean-Claude Mallet, également devant les sénateurs. L’entreprise est également tenue par son contrat d’acheter 5 milliards de mètres cubes de GNL sibérien par an. jusqu’en 2032. Malgré tout, il existe un risque de ne pas trouver preneur. La consommation française de gaz a en effet baissé de 11 % en 2023 sous l’effet de la sobriété et de la douceur hivernale. La major française aurait donc pu choisir de réduire ses importations, quitte à payer à perte. “Total dit peut-être qu’il est plus intéressant d’en acheter en ce moment parce que c’est moins cher, ou qu’il veut en stocker davantage pour assurer sa sécurité d’approvisionnement en cas de redémarrage de la demande”, déclare Ana Maria Jaller-Makarewicz, analyste énergétique à l’IEEFA.

Si le géant français apprécie tant ces achats de soufre, c’est aussi parce qu’il se positionne sur toute la chaîne de valeur : de la production amont au négoce aval, en passant par le transport et la regazéification. Ce qui lui permet de classer numéro 3 mondial du GNL avec 11% de part de marché. A noter que contrairement à ce qui se passe dans le port de Dunkerque, la totalité du gaz déchargé à Montoir-de-Bretagne n’est pas destiné à un usage domestique. Sur les 2,19 milliards de mètres cubes de GNL russe livrés au premier semestre 2024, 32% ont été directement transbordés et revendu hors de France, vers d’autres pays européens mais aussi au Moyen-Orient, en Amérique du Sud et surtout en Asie. Et tant pis si c’est moralement discutable.

Les transbordements hors Europe interdits en mars 2025

L’organisation ukrainienne Razom We Stand accuse ainsi TotalEnergies de financer indirectement l’offensive russe. Parce que le Kremlin prélève une taxe sur les revenus du GNL. Yamal lui a rapporté 3,74 milliards d’euros de recettes fiscales en 2023selon l’organisation belge Bond Beter Leefmilieu. A quoi il faut ajouter une taxe sur transbordements s’élevant à 679 millions d’euros la même année, dont 173 millions pris en France. Razom We Stand a également déposé des plaintes classées contre le géant français.

Mais les ONG ont fini par être en partie entendues par l’Europe : le transbordement du GNL russe dans les ports de l’Union européenne sera interdit fin mars 2025. TotalEnergies doit s’y conformer. Pour le reste, il compte maintenir ses échanges “tant que les sanctions le permettent”précisait en mars dernier Nicolas Terraz, directeur général Exploration-Production de TotalEnergies. Les Ukrainiens devront attendre encore un peu…

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