Harceler vos amis abstentionnistes pour qu’ils aillent voter, est-ce que ça marche ? – .

Harceler vos amis abstentionnistes pour qu’ils aillent voter, est-ce que ça marche ? – .
Harceler vos amis abstentionnistes pour qu’ils aillent voter, est-ce que ça marche ? – .

« Le 30 juin, allez voter aux législatives. On peut encore changer les choses » / « Face au Rassemblement national, chaque voix compte et peut faire la différence » / « Si vous ne le faites pas pour vous, allez voter pour les LGBT, les personnes racisées, les pauvres et tous ceux qui souffriront de l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir. »

Avec la régularité d’une montre suisse, Oriane diffuse quotidiennement des stories Instagram appelant à se rendre aux urnes. Et encore une fois, c’est seulement si vous la suivez sur les réseaux sociaux. Si vous rencontrez cette vendeuse dans la vraie vie, elle vous offrira une presse digne du Liverpool de Jürgen Klopp pour vous pousser à voter aux législatives. Comme elle, de nombreux militants ont décidé de « chasser » les abstentionnistes, convaincus de rapporter des voix à leur parti.

« Voter ou ne pas voter est une décision profondément enracinée »

Déclarez simplement que vous ne votez pas – ou pas pour le bon « camp » – et vous vous retrouverez assailli par des amis ivres dans l’espoir de vous faire changer « subtilement » d’avis. Particulièrement dans ces élections législatives anticipées, considérées comme celles de tous les dangers mais aussi de tous les avenirs possibles. Aussi nobles que puissent être les intentions derrière cette pression, le processus est-il réellement efficace ? « Il n’y a pas d’étude sur le sujet, mais j’en doute fortement », estime Daniel Boy, directeur de recherche à Sciences Po et spécialiste de l’abstention et de la participation politique.

« Généralement, le fait de voter ou de ne pas voter est une décision fortement ancrée », explique l’expert. Et quand elle ne l’est pas, car effectivement, certains citoyens décideront au dernier moment, « cela a quand même un caractère très personnel, donc pas facile à influencer. » Maxime, un Parisien de 33 ans, abonde : « Ce que me disent mes amis est une bêtise. Je sais pourquoi je ne vote pas, et ça ne changera pas. »

« La morale ou l’éducation civique ne fonctionnent pas »

Et ce d’autant moins que certains arguments sont utilisés. « Invoquer la morale ou le civisme ne changera pas l’opinion de la plupart des abstentionnistes, explique le politologue. “C’est un devoir civique” ou “des gens sont morts pour ça”, ça ne marche pas. »

Preuve en est, malgré ce lobbying constant pour appeler au vote, un taux de participation de l’ordre de 65 % est attendu. Ce qui n’est clairement pas terrible – ils n’étaient que 47,51 % pour les législatives de 2022 – mais pas incroyable non plus. Un score similaire avait été obtenu lors des élections de 2002, et il reste bien en dessous des élections législatives de 1997 et de toutes celles qui l’ont précédé. « Quand on voit le visage du choix pour ces élections, ce n’est pas un rêve, affirme Sophie, 30 ans et habituée à sous-évaluer les risques, elle qui travaille dans l’assurance. Je ne vais pas voter par défaut, et ce ne sont pas les gens qui votent pour des incompétents qui vont me convaincre. Pour moi, ce sont des idiots plus utiles qui valident le système que des saints.

Des abstentionnistes convaincus

Vous aurez déjà plus de chances de réussir en évoquant des raisons plus pragmatiques et concrètes, selon Daniel Boy : « On peut évoquer le risque de l’extrême droite ou de la gauche au pouvoir, selon la personne qu’on veut convaincre, en détaillant les effets néfastes que cela aurait pour le pays selon nous. Pour reprendre les récits d’Oriane, la troisième publication sera plus efficace que la première.

Mais là encore, vous l’aurez compris, le succès du procédé est loin d’être garanti. D’autant que le bilan sonne un peu usé : « À chaque élection, mes amis m’exhortent à faire barrage à l’extrême droite. Qu’est-ce qu’on a obtenu en 2022 avec cette méthode ? Macron, la réforme des retraites, la casse sociale… Formidable », confie Thierry, infirmier de 28 ans qui a encore en tête les gaz lacrymogènes des grandes manifestations de début 2023.

Il y a enfin ceux qui y voient le meilleur choix politique : « Quand une élection n’a que 10 % de participation, les politiques n’auront plus aucune légitimité et partiront », veut croire Sarah, 34 ans et banquière à Montpellier. « Du coup, je me trouve plus utile que les électeurs. »

La logique du cœur

Robert Zuili, psychologue spécialiste des interactions émotionnelles, explique simplement : « La décision de voter ou non, et pour qui voter, repose sur des sentiments non rationnels. Une fois ce sentiment enregistré, chacun va chercher dans la réalité des faits qui le corroborent : par exemple, « les opinions des citoyens ne sont pas respectées, comme lors du référendum de 2005 », ce qui va ancrer encore plus son opinion. »

Une démarche similaire « en religion ou en amour », pour le psychologue. Si vous avez déjà tenté de convaincre votre amie Natacha de quitter son petit-ami toxique, ou de débattre de l’existence de Dieu avec un croyant, vous le savez : l’affaire est ardue. Même chose pour aller aux urnes donc.

Au contraire, le processus pourrait même s’avérer contre-productif. On revient à l’analogie « voter, c’est comme aimer ou croire », et on comprend vite le problème. « Il y a le sentiment d’une atteinte à la vie privée. Cela peut amener la personne à passer à l’acte », poursuit la psychologue. « Ce genre de discours est plutôt une posture qui plaît au provot, il le fait pour lui-même mais sait bien que ce n’est pas décisif », conclut Daniel Boy. Le cœur a ses raisons, semble-t-il.

 
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