Pendant près de dix ans, l’État français a distribué de la fausse monnaie dans le plus grand secret – Édition du soir Ouest-

En fouillant les archives de la Banque de pour une enquête, Yannick Colleu, expert en métaux précieux, a fait une étonnante découverte. L’État français a distribué une « vraie fausse » monnaie, illégalement et dans le plus grand secret. Nous vous le disons.

« Une découverte qui vaut son pesant d’or »affirme Yannick Colleu. Car quand on pense aux grosses arnaques, on pense à des escrocs comme Charles Ponzi et sa célèbre pyramide, ou à de riches hommes d’affaires aux tactiques d’optimisation fiscale élaborées. Personne n’oserait imaginer que l’État et nos solides institutions puissent être derrière la tromperie. Il a pourtant bénéficié de cette confiance aveugle pendant près de dix ans.

« De 1951 à 1960, illégalement et dans le plus grand secret, le ministre des Finances, avec l’accord de la Banque de France, fit fabriquer et distribuer des copies de pièces d’or. » C’est ce qu’a observé ce spécialiste des métaux précieux, en fouillant dans les archives de la Banque de France, et qu’il rapporte dans son ouvrage. L’or des Français. Nous allons vous l’expliquer.

Une solution « illégale » à la crise

Tout commence en 1951. La France fait face à de grandes difficultés financières après la guerre. « Il nous restait très peu d’or à la fin de la guerre, tout était fondu pour acheter des munitions »explique Yannick Colleu. Depuis la ratification des accords de Bretton Woods en 1945, la défense du marché de l’or est indissociable de la santé de l’économie, pour maintenir la parité avec le dollar, seule monnaie convertible en or. « Nous avions abandonné l’étalon-or et nous essayions de suivre le dollar » précise-t-il. D’autant plus que deux emprunts furent contractés par l’État français en 1952 et 1954, indexés respectivement sur l’or et le Napoléon (pièce de 20 francs en or valant un Louis d’or).

Le ministre des Finances de l’époque avait alors trouvé une solution en or pour calmer le marché de manière indolore, mais surtout illégale. « Nous avons repris les dessins identiques des pièces de 20 francs frappées de 1907 à 1914, du type « coq » et démonétisées en 1926. Puis ils ont été remis en circulation sans rien dire. »

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“Secret de polichinelle”

Et ce, malgré les réticences au sein du Conseil général de la Banque de France. Et qui plus est, dans le plus grand secret : « Le gouverneur rend compte à la Banque de France pour qu’elle puisse produire de fausses monnaies démonétisées, il n’y a même pas de décret comme c’est habituellement la norme. Il envoie simplement une lettre indiquant que c’est son prédécesseur qui a pris l’initiative.sourit le passionné retraité de 72 ans. Cela n’est même pas mentionné dans le rapport annuel de l’Administration des Monnaies et Médailles. »

“C’est un secret de polichinelle confirme Arnaud Manas, chef du service patrimoine de la Banque de France. Cette information a également été mentionnée au Parlement en 1976. »

A droite, une pièce de 20F appelée Marianne-Coq de 1909. A gauche, la copie réalisée entre 1951 et 1960. (Photo : Yannick Colleu, Archives de la Banque de France)

Au total, 37,5 millions de « fausses » pièces ont été frappées. Tout cela pour permettre à l’organisme de contrôle du marché, le Fonds de stabilisation des changes, de stabiliser le marché de l’or. De nos jours, la copie de monnaie démonétisée constitue un délit au sens de l’article 442-3 du Code pénal.

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«Nous avons fait du tort aux Français»

Mais très vite, ces pièces commencent à susciter des interrogations. Même si les exemplaires sont minutieusement réalisés, imitant parfaitement leurs prédécesseurs, allant même jusqu’à porter le même millésime (l’année de frappe, de 1907 à 1914), leur éclat tout nouveau éveille la suspicion des professionnels. « Nous avons qualifié cela de faux !dit Yannick Colleux. En janvier 1952, la Banque de France est contrainte de publier un communiqué pour s’expliquer. »

Communiqué de la Banque de France du 31 janvier 1952 qui confirme la diffusion de véritable monnaie-or contrefaite. (Photo : Yannick Colleu, Archives de la Banque de France)

Feuille d’or sur le gâteau : une autre différence, la couleur plus rouge que les pièces précédentes, serait liée à un autre alliage plus argenté et moins doré, selon l’expert. Il affirme que ces pièces ont une teneur en or inférieure à la teneur en or officielle, soit 897,3 millièmes au lieu de 900 millièmes. Ainsi, depuis plusieurs décennies, « Les Français, croyant acheter des pièces d’or garanties, ont été lésés. » Au total, sur les 217 tonnes d’or mises en circulation, 654 kg d’or fin auraient été économisés par l’Etat. Pour justifier cette accusation, il met notamment en avant un document retrouvé dans les archives de la Banque de France, le titre des exemplaires (voir ci-dessous). « Une pièce de 20 francs a été émise au poids de 5,8065 g d’or fin tandis que des exemplaires étaient demandés au poids de 5,789 g d’or fin par pièce. »

Titre officiel de l’exemplaire de monnaie en or 1951 à 1960. (Photo : Yannick Colleu, Archives de la Banque de France, « Mouvements de l’or en 1956 »)

De son côté, la Banque de France conteste : « Les pièces n’ont pas été réduites et sont dans les tolérances de fabrication. De plus, les pièces s’usent et perdent de la masse. Le taux fin (pureté de l’alliage) ne peut être absolument précis. »

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Les copies taxées autant que les vraies

Mais bien plus que la teneur en or, c’est la fiscalité que dénonce aujourd’hui le spécialiste de la fiscalité des métaux précieux, qui profite peu aux détenteurs de ces vraies fausses pièces comme de l’épargne. « Ces pièces ne sont pas des monnaies, mais des jetons, et devraient donc être exonérées jusqu’à 5 000 € à la revente. Mais aujourd’hui, le fisc applique la taxe de 11,5% sur le prix de vente comme s’il s’agissait d’argent réel.»

Fiscalité justifiée par Arnaud Manas : « Lorsqu’elle est intervenue sur le marché de l’or (avant 1973), la Banque de France a reconnu ces napoléons comme monnaie au même titre que les vrais. » Une véritable monnaie contrefaite qui vaut son pesant d’or.

 
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