Les tensions entre le premier ministre et Yoav Gallant étaient notoires. En se séparant de lui en pleine guerre, Netanyahu se débarrasse d’un poids lourd, mais aussi de la seule personnalité relativement modérée au sein de son gouvernement. Il prend aussi le risque de réveiller les tensions au sein d’une société israélienne à bout de souffle, après plus d’un an de guerre.
Benjamin Netanyahu aura donc attendu les élections présidentielles américaines pour limoger son ministre de la Défense, Yoav Gallant. L’annonce est tombée mardi, en fin de journée, mais elle était attendue tant les relations entre les deux hommes étaient mauvaises. En se séparant de ce poids lourd, Netanyahu se débarrasse aussi de son seul ministre relativement modéré. Il court également le risque de raviver les tensions au sein de la société israélienne.
Les désaccords entre les deux hommes étaient notoires depuis le début de la guerre, notamment sur la question des 101 otages encore aux mains du Hamas dans la bande de Gaza. Contrairement à Netanyahu, Yoav Gallant estime que leur libération devrait intervenir avant la destruction des capacités militaires et politiques du Hamas dans la bande de Gaza. Il a appelé à un accord de cessez-le-feu avec le Hamas. En défendant cette position, il avait renforcé sa popularité auprès d’une partie de la population israélienne. Unis par la cause des otages depuis le début de la guerre, il s’agit essentiellement du même groupe qui avait auparavant manifesté massivement contre la réforme judiciaire initiée par Netanyahu lors de son arrivée au pouvoir fin 2022.
À l’époque, Yoav Gallant s’opposait à cette réforme qui avait pour conséquence de dresser les Israéliens les uns contre les autres, de fracturer la société, d’affaiblir l’appareil d’État et l’armée, dont plusieurs réservistes menaçaient de refuser de répondre à l’appel si elle était mise en place. Cette position a poussé Netanyahu à le limoger. Une décision qui a ensuite donné lieu aux manifestations les plus massives que le pays ait jamais connues. Le risque de paralysie était tel que «Bibi» avait finalement décidé de rappeler son ministre de la Défense. Depuis, les relations sont restées tendues entre les deux hommes.
Tension entre les deux hommes
La tension était de nouveau montée en début de semaine à propos de la conscription des juifs ultra-orthodoxes. L’armée israélienne, qui est une armée de réserve, est épuisée par plus d’un an de guerre. Elle a besoin d’armes. Toutefois, la population juive ultra-orthodoxe bénéficie toujours d’une exemption de fait du service militaire. Elle en bénéficie depuis la création de l’État d’Israël. Au printemps, la Cour suprême israélienne a mis fin à ce statut exceptionnel, jusque-là sans grand effet. Lundi, Yoav Gallant a annoncé que 7 000 jeunes Haredi, nom donné en Israël aux ultra-orthodoxes, seraient appelés sous les drapeaux. Cette décision intervient alors qu’une loi garantissant les allocations familiales aux ultra-orthodoxes doit être examinée à la Knesset, ce qui a pour effet de jeter de l’huile sur le feu. Elle est contestée au sein même de la coalition. Pour les deux partis ultra-orthodoxes de la coalition de Netanyahu, les allocations familiales et l’exemption du service militaire sont des questions clés. Ils leur assurent la fidélité de leur base électorale. Une défaite pourrait les pousser à claquer la porte du gouvernement, ce qui ferait tomber le Premier ministre. En évinçant Gallant, Netanyahu leur donne un gage de loyauté et une preuve de bonne volonté.
Figure du Likoud, le parti de Benjamin Netanyahu, Yoav Gallant sera remplacé par Israel Katz. Membre du même parti, Israel Katz se montre moins indépendant depuis son entrée au gouvernement, où il occupait jusqu’alors le poste de ministre des Affaires étrangères. Sa dernière décision remonte à lundi, lorsqu’il avait annoncé l’entrée en vigueur de deux lois interdisant l’agence des Nations Unies pour les réfugiés palestiniens en Israël. Israel Katz sera remplacé par Gideon Sar, le chef d’un petit parti dont l’arrivée récente au sein de la coalition offre à Netanyahu une base plus large.
Yoav Gallant a réagi en disant que la défense d’Israël resterait “la mission de sa vie”. Les poids lourds de l’opposition ont dénoncé la décision de Netanyahu. Yaïr Lapid, chef de l’opposition à la Knesset, dénonce « un document en aluminium ». Avigdor Lieberman, le chef du parti nationaliste laïc Yisrael Beitenu, estime qu’Israël est devenu « une république bananière. » Il appelle à la démission de Netanyahu. « Si un ministre de la Défense peut être remplacé en pleine guerre, un Premier ministre le peut aussi »dit-il. Yair Golan, chef du parti de gauche “les démocrates”appelle à des manifestations massives.
« Faible manœuvre politique »
La société civile a également vivement réagi à cette décision. LE « mouvement pour un gouvernement de qualité »fer de lance des manifestations contre la réforme judiciaire, dénonce « une manœuvre politique basse plaçant les intérêts personnels et politiques au-dessus du bien de l’État et de la sécurité des citoyens. » Il demande au procureur général près la Cour suprême d’en examiner la légalité. Le Forum des familles d’otages voit dans cette décision une volonté continue de “torpille” négociations pour leur libération. Dans la soirée, des milliers de personnes sont descendues dans les rues de Tel-Aviv, Jérusalem, Haïfa, pour dénoncer cette décision.
Au sein de la coalition de Netanyahu, quelques voix s’en félicitent cependant. A commencer par Itamar Ben Gvir, le ministre de la Sécurité nationale et chef du petit parti suprémaciste juif : « Le Premier ministre a bien fait de le démettre de ce poste »se réjouit-il, estimant que la présence de Gallant au sein du gouvernement était un obstacle à « victoire totale ». Elle est promise depuis plus d’un an maintenant.