Pourquoi cette élection est-elle si souvent perçue avec anxiété ?
Ce qui génère déjà de l’anxiété, c’est qu’il y a du suspense et des difficultés à se projeter. De plus, les projets sont très opposés et inconciliables. Il y a une fascination pour les USA mêlée à une forme d’exotisme. L’inquiétude est que la société américaine soit encore plus fracturée. Ce n’est jamais bon car c’est une puissance alliée, militaire, économique, culturelle. En France, nous avons une relation unique. Mais il faut voir que pour les Allemands, c’est l’Amérique qui assure leur sécurité. Et à mesure que l’influence de l’Europe diminue…
Donald Trump semble entretenir la caricature de lui-même. Est-il plus dangereux qu’il y a quatre ans ?
C’est à la fois différent d’il y a quatre ans et encore plus grave que ce qu’on en dit en France. Ce personnage quelque peu caricatural et grotesque fascine. Ses positions quelque peu absurdes désignent une personne improbable et donnent à la politique une image grotesque. Alors que les conséquences sont importantes. C’est dangereux pour la démocratie, pour la stabilité du monde, pour l’équilibre écologique, pour les femmes, les migrants, les minorités. On se demande ce qui est arrivé aux Américains, d’autant plus qu’ils l’ont déjà fait et que les dégâts seraient encore pires car son programme s’est radicalisé. Il fait appel à la droite évangélique qui n’était pas forcément là. Il s’est entouré de personnalités controversées comme Elon Musk.
Faut-il craindre en Europe un véritable changement de politique à l’égard de l’Ukraine ?
Il annonce beaucoup de choses et ne les fait pas forcément. Mais Trump peut toujours surprendre. S’il fait ce qu’il a dit en Ukraine, cela sera dangereux pour l’Europe. Il a peu de culture. Elle entretient par exemple une relation purement financière avec l’OTAN, alors que les enjeux sont politiques et diplomatiques. Son rapport au multilatéralisme montre qu’il ne comprend pas, parce qu’il ne sait pas. Idem pour son obsession pour la Chine que l’on retrouve aussi chez les démocrates. Le danger est que cette peur du déclassement des États-Unis se traduise par des désirs de confrontation directe de la part de Trump. La question de Taiwan est symbolique. Il reste à penser que les propos des États-Unis peuvent être reformulés. Il ne se sent pas attaché aux accords précédents, ce qui effraie ses alliés. Il est également fasciné par les personnages autoritaires et par une misogynie délirante. Il y aura beaucoup de jeu ce mardi.
L’Amérique peut-elle sombrer dans le chaos avec Trump ?
Il y a une dimension que nous ignorons, c’est le poids immense des militaires. Ils sont profondément attachés à la démocratie, même s’ils ne votent pas nécessairement démocrate. Trump ne bénéficie pas du soutien des militaires, qui exercent une influence significative sur la population. Ils sont très réservés mais ils prêtent serment à la Constitution et non au président.
Que représente réellement Kamala Harris en dehors des images ?
Ce qui est difficile pour les démocrates, depuis que Trump existe, c’est qu’ils incarnent le soulagement et non l’ouverture. En France, on constate qu’elle n’est pas particulièrement progressiste et n’a pas laissé de trace dans le paysage depuis qu’elle est vice-présidente. L’enthousiasme qu’elle a suscité lorsqu’elle était sénatrice est toujours le même et repose avant tout sur son sourire et ses bonnes intentions, mais il ne va pas assez loin. Et lors d’une élection qui pourrait dépendre du conflit en Israël, elle s’est aliéné une partie de la gauche en restant dans l’ombre de Biden.
Les démocrates ont toujours l’idée qu’ils gagneront au centre et ne s’orienteront pas vers la gauche. Tandis que les Républicains font campagne à leur droite. La gauche peut se tourner vers d’autres petits candidats. Elle n’est pas une égérie de la gauche, elle est un rempart
A-t-on raison de chercher des points de comparaison avec l’élection présidentielle en France ?
Il existe beaucoup plus de freins et contrepoids aux États-Unis et il existe de nombreux régimes locaux, dans les États, les comtés ou les villes. Les décisions fédérales peuvent ne pas avoir d’impact sur la vie des gens. Alors qu’en France, c’est la politique nationale qui rythme la vie quotidienne. Trump, en 2016, n’a pas provoqué une nouvelle société américaine, mais des fractures. Aux États-Unis, nous votons également pour les sénateurs, les shérifs, les juges et les référendums.
Il y a des tendances communes avec la France, car nous sommes liés par ce que nous lisons et écoutons. Des problèmes sociétaux communs émergent partout dans les démocraties où ils peuvent être débattus.
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