Incendies est un chef-d’œuvre qui fait écho autant aux tragédies d’Eschyle et de Sophocle qu’aux conflits actuels à Gaza et au Liban. Sa production à Duceppe, la première à Montréal depuis près de 20 ans, est l’un des spectacles les plus attendus de l’automne.
Publié à 1h25
Mis à jour à 11h00
Deux décennies après sa création, la pièce de Wajdi Mouawad nous interpelle encore sur le terrible état de l’humanité. Et le cycle infini de la violence. Malheureusement, le spectacle de Duceppe n’est pas à la hauteur de ce texte magnifique, puissant et lyrique.
« L’enfance est un couteau planté dans la gorge », répétons-nous dans Incendies. Pourtant, chez Duceppe, c’est plutôt la mise en scène qui nous reste profondément ancrée dans la tête. Comme si la production ne se fiait pas au poids des mots et au choc de l’histoire.Incendies.
Lorsque leur mère Nawal Marwan décède chez le notaire, les jumeaux Jeanne et Simon découvrent un mystérieux héritage à la lecture du testament. Deux enveloppes avec une lettre qu’on leur demande d’apporter à un père et à un frère dont ils ignoraient l’existence. Au cours de leur quête à l’étranger, sur les traces de leur mère, nous découvrirons l’histoire tragique de Nawal. Qui a été victime d’inceste, de viol, entre autres tragédies et horreurs.
Drame universel
Dans leur lecture du texte, Inès et Elkahna Talbi ont voulu faire entendre l’histoire à travers le regard de Nawal. Comme si elle revivait avec nous son passé, faisant sa volonté. Ils ont également confié le personnage de Nawal à une seule actrice. Un rôle qui va de 15 à 65 ans, que se sont partagés Andrée Lachapelle, Annick Bergeron et Isabelle Roy à la création.
Un défi que Dominique Pétin, poignant et doté d’une belle présence scénique, relève très bien. Malheureusement, hormis Denis Bernard, dans le rôle comique du notaire, le reste du casting déçoit. Le jeu est inégal et manque de vérité. Il faut dire que les interprètes doivent justifier des choix de mise en scène discutables, voire incompréhensibles. Comme ce choix d’habiller le bourreau (Reda Guerinik) d’un costume de Hulk Hogan pour chanter Supertramp avec son arme guitare. Désolé, mais massacrer des civils ne ressemble pas à une soirée karaoké !
L’ingénieuse scénographie d’Anick La Bissonnière (un mobile géant avec des cubes qui bougent, construisent et déconstruisent, pour illustrer les souvenirs de Nawal) est très efficace. La scène de naissance est également remarquable ; comme la photo finale avec la réconciliation symbolique entre Nawal et ses enfants.
En revanche, il y a trop de propositions scéniques qui se confondent ou sont mises en valeur à grands traits : ambiance sonore surchargée, costumes et accessoires colorés, éclairages fous… Et on a encore droit à ces fameux « projecteurs » qui aveuglent le public pour transmettre le message lourd d’un monologue.
La question de la diversité
Ce qui nous amène à l’éléphant dans la pièce… Depuis quelques temps, la direction de Duceppe fait une place à la jeunesse et à la diversité dans sa programmation. Ce qui est évidemment très honorable. Le théâtre québécois avait vraiment besoin d’ouvrir ses scènes à de nouveaux visages et à de nouvelles générations.
Pourtant, quand on confie le sort d’un classique du répertoire à deux metteurs en scène sans aucun éclat au théâtre, il faut les entourer d’une équipe solide. Malheureusement, il n’est pas donné à tout le monde de briller sous les projecteurs d’une grande scène. Il aurait été avantageux que les metteurs en scène puissent compter sur l’expertise de vétérans pour une œuvre théâtrale aussi importante.
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Incendies
Ce Wajdi Mouawad.
Réalisé par Elkahna et Inès Talbi.
Chez Duceppe, until November 30
Le spectacle fera une tournée dans plusieurs villes du Québec à compter du 7 février 2025.
5/10