De 2021 à 2023, Marion Waller a dirigé les services mortuaires de la capitale. Une expérience transformatrice à partir de laquelle cet urbaniste et philosophe de formation a écrit un livre, Redonner une place à nos morts. Avec humanité et empathie, celle qui dirige aujourd’hui le Pavillon de l’Arsenal à Paris interroge notre rapport à la mort.
Quel regard portez-vous sur les professionnels de la mort avec lesquels vous avez travaillé ?
« Beaucoup d’admiration. On n’en parle pas assez. On leur doit beaucoup et pourtant, ce sont des métiers qui ne sont pas valorisés. Ce sont des métiers difficiles psychologiquement et physiquement. Pourtant, toutes ces personnes qui prennent soin de nous et de notre famille, lors d’un deuil, sont des piliers sociaux. »
Qu’est-ce que la pandémie de Covid a changé dans notre rapport à la mort ?
« Avec le Covid, les gens se souvenaient qu’il y avait des morts. Comme si, avant la pandémie, on ne se souvenait pas qu’il y avait des décès à gérer dans les villes. Face à certaines images – je pense notamment aux conteneurs qui avaient été installés à Rungis – les gens se sont offusqués. Mais en réalité, c’est un problème pratique qui se pose au quotidien. Il s’est alors posé de manière extrême.
« On nous a également rappelé que beaucoup d’entre nous mourraient seuls. Mais il faut s’en souvenir chaque jour, se demander si c’est vraiment normal que des gens meurent seuls. L’absence de rite est-elle normale ? Pourquoi ne voit-on jamais la mort, pourquoi en parle-t-on rarement ? Parlons-en. »
Nous mourrons aujourd’hui à l’hôpital, dans des maisons de retraite. Comment pouvons-nous garantir que la mort n’est pas seulement une question de santé ?
« Nous laissons une place immense aux médecins, qui ne sont ni prêtres, ni rabbins, ni imams. Se pose alors la question des rites, de la mort que l’on souhaite. J’ai accompagné un proche en soins palliatifs, des lieux où l’on trouve des professionnels extraordinaires. Il faut cependant penser à ces derniers instants au-delà de l’aspect sanitaire, ce qui ne suffit pas. »
On demande parfois aux maires, ou aux pompes funèbres, de prendre la place laissée vacante par la religion…
« Nous n’avons pas réussi à remplacer la religion. Beaucoup d’entre nous qui ne sont plus religieux, voire qui ne sont plus croyants, reviennent à la religion une fois enterrés. Ils se disent « je veux quelque chose qui soit à la hauteur » et ne voient pas, dans les rites laïques, quelque chose qui puisse l’être. Nous n’avons pas réussi à trouver une forme de sacré laïc qui pourtant pourrait exister. »
Commentaire ?
« Tout d’abord, les emplacements. Il y a beaucoup de travail à faire pour avoir de beaux lieux funéraires. Crématoriums, pompes funèbres, il faut être plus exigeant en matière d’architecture et de décoration. Il existe également d’autres lieux où l’on pourrait organiser des cérémonies funéraires, des musées, des théâtres, des jardins. Comment investir dans des lieux de la ville pour organiser de belles cérémonies ?
« Ensuite, les rites. Aujourd’hui, certains sont par exemple attirés par des rites plus écologiques. Des coopératives funéraires voient le jour, essayant également de proposer des funérailles plus personnalisées, et pas trop coûteuses. Il existe une forte demande pour des solutions moins standardisées. »
La mort est-elle aussi le lieu où la République et les religions coopèrent dans une certaine harmonie ?
« J’ai découvert aux pompes funèbres que les représentants des sectes se parlaient, s’entraidaient. C’est quelque chose qui fonctionne dans toutes les communes de France, à travers un dialogue quotidien et qui permet de concilier les lois de la République et les rites religieux. »
Vous dites avoir été dépassé par le travail du Collectif des Morts de la Rue.
« C’est un collectif qui rend hommage aux morts sans abri, qui les accompagne lors des convois funéraires. Le collectif organise également des cérémonies et lit chaque année les noms des victimes. Ce qu’il fait est très important : notre dignité collective dépend beaucoup d’associations comme celle-ci. »
Que dit la manière dont ils traitent la mort des vivants ?
« La mort est un miroir. La façon dont nous traitons les morts nous dit comment nous traitons les vivants. Elle révèle nos manquements, notamment sur ce sujet du sacré laïc, et plus largement sur ce que nous partageons en tant que société, au-delà des matches de football. La solitude face à la mort, aux personnes âgées, aux personnes vulnérables : nous ne pouvons pas les mettre de côté, ne voulant pas les voir. Ça ne marche pas. »
Quelles mesures pourraient améliorer notre rapport à la mort ?
« On pourrait imaginer une initiative nationale, un grand concours d’architecture par exemple, sur les lieux de décès, les lieux de cérémonies laïques. Une réflexion collective qui réunirait architectes et artistes pour proposer des solutions aux maires, leur montrer toutes les possibilités.
« Je pense que nous devons également repenser l’accompagnement du deuil. Lorsqu’une personne âgée se retrouve seule, sans son conjoint, l’accompagnement est uniquement administratif. En cas de deuil, le soutien psychologique doit être plus fort. Tout comme à la naissance d’un enfant, nous soutenons les parents. Il faut un véritable service public de deuil. »
« Redonner une place à nos morts », par Marion Waller. Éditions Allary, 17,90 €.