A Muttersholtz (Bas-Rhin),
Un panneau informatif au bord de la route départementale 211, un petit parking puis un chemin en bordure d’un champ de maïs. La « forêt sanctuaire » de Muttersholtz (Bas-Rhin) est presque là. Il suffit d’emprunter un chemin désigné pour y arriver. Une promeneuse revient avec son chien. S’y rassembler ? Certainement pas ! «Je ne savais pas que c’était un site funéraire», admet-elle. Je viens de voir les pierres avec la table et ça ressemblait à un lieu de prière… »
«C’est un espace de contemplation, oui», lui dit gentiment Luc Dettwyler. L’adjoint en charge du périurbain de cette commune de 2 200 habitants à 45 km au sud de Strasbourg le reconnaît : l’endroit n’est pas encore très bien signalé. « Mais des bornes de signalétique seront bientôt installées, comme un plan. »
Il faut dire que le site n’existe « que » depuis un an et demi, 20 minutes vous en avait parlé avant sa mise en place et le lieu a depuis été repéré par la Fédération Française des Choses Qui Marchent. « La première inhumation a eu lieu en avril 2023 », précise l’élu. Ou ? Au pied d’un grand chêne situé dans un espace dédié. La « forêt sanctuaire » ne concerne évidemment pas tous les bois. A l’intérieur, un espace d’environ 4 000 m2 était délimité par des piquets bas et des cordes.
Le tout reste très naturel. Au sol, les ronces et le lierre vivent bien, comme dans le reste des sous-bois. La seule différence ? Certains arbres possèdent donc une petite plaque et, à leur pied, des urnes ont été enterrées. De discrets pavés de granit en témoignent. Ils sont enterrés et une plaque de laiton collée dessus identifie le défunt, ainsi que ses dates de naissance et de décès.
“Nous sommes les pionniers d’un mouvement”
« Il y a une dizaine de places disposées en cercle autour de la quarantaine d’arbres que nous avons identifiés avec l’Office national des forêts. Nous creusons un trou de 80 centimètres de profondeur et 25 centimètres de largeur. A l’intérieur, les proches viendront déposer leur urne», explique Luc Dettwyler. En pleine nature, et c’est paradoxal mais c’est la loi, « pour permettre une éventuelle exhumation, l’État nous impose des urnes non biodégradables. Ils sont donc constitués de pierre, de grès, de céramique, de faïence, etc. Nous avons exclu les bois exotiques qui ont fait le tour du monde avant d’arriver ici. »
Logiquement, Muttersholtz se revendique « laboratoire de la transition écologique » et a été élue capitale française de la biodiversité en 2017. La petite ville située à quelques kilomètres de Sélestat n’hésite jamais à se lancer dans des projets innovants… comme ce fameux lieu cinéraire hors du commun. “Nous nous sommes inspirés de ce qui se passait déjà beaucoup en Allemagne et maintenant, nous sommes les pionniers d’un mouvement qui va être très important”, se réjouit le maire Patrick Barbier.
Ses équipes le confirment : d’autres communes se sont manifestées pour se renseigner et envisagent de s’y lancer. Mieux encore, Sommerau, au nord du Bas-Rhin, inaugure son chantier le 9 novembre. « Nous allons protéger 2 hectares avec de très beaux chênes centenaires. Le lieu s’y prête», explique l’édile Bruno Lorentz, satisfait de pouvoir «évoluer avec son temps». « Il s’agit d’une nouvelle possibilité de destination finale des cendres, entre le columbarium et la dispersion. C’est un retour à la nature où l’on entretient un lieu de contemplation. Cela n’a pas été facile juridiquement mais nous allons être pionniers, comme Muttersholtz qui a été un exemple. »
Et comme la commune d’Arbas, en Haute-Garonne, lancée en 2019. «Nous avions subi beaucoup de vents. [contraires] étant la première, mais la forêt cinéraire a été rouverte en juillet après avoir été longtemps fermée », rappelle Elia Conte Douette, à l’origine du projet et initiateur d’autres propositions similaires. « On peut dire que ça y est, cela a créé un précédent et qu’il y a désormais une demande. Autour de moi, une dizaine de communes sont prêtes», assure-t-elle.
« Grâce aux morts, on perpétue les vivants »
De quoi permettre, à terme, une meilleure répartition sur le territoire des « forêts sanctuaires ». Car celui de Muttersholtz n’accueille pas que des locaux, loin de là. « Il y a peu de gens du village et beaucoup d’ailleurs », poursuit Luc Dettwyler. « Nous recevions des appels de partout. Des Drômeurs, des Lyonnais et des Parisiens y sont déjà enterrés car ils en avaient entendu parler et il n’y en a pas dans leur région. »
Au total, 28 urnes ont déjà été enterrées « et 71 réservations enregistrées », pour des concessions trentenaires. A quel prix ? Cela varie selon la taille de l’arbre choisi… et selon que le défunt résidait ou non dans la commune. Soit 400 à 800 euros au minimum pour les locaux contre 800 à 1.200 pour les autres.
« Nous nous sommes alignés sur les tarifs du columbarium pour qu’il n’y ait pas de préférence basée sur le prix », souligne le député, pas peu fier des lieux. « Certains y voient un retour à la terre mais pour moi, c’est un acte pour la biodiversité. Grâce aux morts, nous perpétuons les vivants car dans cette forêt, les arbres ne seront pas abattus. Ils sont préservés. Être ici, c’est sauver la forêt. »