Rire pour tenter d’affronter la guerre au Liban… ou d’y échapper

Moins de 24 heures après les explosions simultanées des bips des membres du Hezbollah le 17 septembre 2024, qui ont fait des dizaines de morts et des milliers de blessés, les réseaux sociaux et les groupes WhatsApp de tous les Libanais étaient déjà inondés de messages tels que : « Attention à vos e-cigarettes ! » ; « Il y a un interphone, je devrais peut-être le débrancher » ; ou encore cette image d’un homme portant à la ceinture un vieux téléphone vintage, avec la légende : “La seule solution”, avec la mention que le message a été “transmis de nombreuses fois”.

Ces nekat (blagues en arabe) ont circulé parmi les groupes au milieu d’informations urgentes sur une nouvelle vague d’explosions – cette fois provenant des talkies-walkies du Hezbollah le 18 septembre – avec des photos de talkies-walkies calcinés et le bilan des morts.

Depuis que la guerre d’usure entre le Hezbollah et Israël à la frontière, en cours depuis octobre 2023, a dégénéré fin septembre en une attaque israélienne sans précédent et meurtrière, faisant plus de 2 000 morts et plus d’un million de déplacés au Liban, les plaisanteries sur le conflit fleurissent. sur les réseaux sociaux, se retrouvant même dans des conversations informelles.

Une grève, une blague

Pour chaque événement, il existe une version déformée ; à chaque aspect tragique de la guerre correspond une contrepartie comique.

« Question au député au-dessus de ma tête : Où est mon jean noir ? le compte Lebanon Memes sur X plaisante sur le drone espion qui bourdonne jour et nuit au-dessus des têtes libanaises.

« Routine quotidienne : le Hezb(ollah) frappe le matin. De l’aube à 15 heures, Israël nous rend fou avec ses drones. Vers 16h, 17h, ils assassinent quelqu’un. Le soir, ils s’affrontent à la frontière. En pleine nuit, ils s’ennuient et arrivent à Dahieh (banlieue du sud de Beyrouth) », résume un autre message.

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Dans cette rivière de commentaires, chacun a sa part ; les blagues se moquent à la fois du Hezbollah et de son ennemi israélien. Quelques jours seulement après l’annonce de l’incursion terrestre israélienne dans le sud du Liban, une parodie a recueilli plus de 1,3 million de vues sur Israël, représentant un chien tenu en laisse aboyant et tentant sans succès de mordre Tom le chat, orné du drapeau du Hezbollah.

Sur TikTok, d’autres Libanais ironisent également sur les fréquentes perturbations du GPS en Israël qui interrompent l’outil d’orientation de leurs smartphones : « Arrêtez de me demander où je suis ! Je suis à l’aéroport d’Amman, en vacances”, plaisante un jeune Beyrouthin.

Il y a aussi un internaute qui poste une vidéo sur Instagram alors qu’une attaque se produit à proximité : « Regardez, Israël a perdu 1-0 contre le Japon », plaisante-t-il après le match de football. « Ils vont s’attaquer à Laylaki (un quartier du sud de Beyrouth souvent ciblé par Israël) », en déduit-il, au moment même où retentit une explosion sourde, sans préciser la réalité de sa position.

Alzati en stand-by…

“Le rire permet d’humaniser l’inhumain, de tolérer l’insupportable, d’accepter l’inacceptable”, analyse le Dr Marie-Ange Nohra, psychanalyste et professeur à l’Université libanaise.

« C’est une autre forme de résistance. Une arme pacifique, dans un certain sens. » Une arme qui résonne sur les réseaux sociaux dans un Liban où le spectacle vivant est actuellement en déclin. Le populaire collectif de stand-up Awk.word, par exemple, a annulé tous ses événements jusqu’à nouvel ordre. « Cela nous a été imposé. Avec tout ce qui s’est passé, de nombreux comédiens se sont retrouvés sans voix pendant un moment”, explique Andrew Hreiz, l’un des cofondateurs du collectif créé en 2018. “Quand on traverse un traumatisme, c’est très difficile d’en parler directement.”

Le trentenaire, qui vit depuis quelques temps hors du Liban, accompagne les artistes du collectif dans leur tournée. Dubaï, Émirats arabes unis, Jordanie, Europe… « Cela permet aussi de sensibiliser les gens », estime-t-il, actuellement en tournée avec l’humoriste palestinien Sammy Obeid. « Et rester debout ne signifie pas seulement rire aux éclats tout le temps. C’est aussi sérieux.”

Sur scène, Sammy Obeid rappelle que son spectacle à Beyrouth n’a pas été annulé en raison de la situation : « J’avais un spectacle prévu le 14 octobre, et les Libanais n’ont pas annulé ! J’étais paniquée et ils me disaient : ‘Non, non, le spectacle continue'”, dit-elle dans un clip publié sur son Instagram le 5 octobre.

“Ils n’annuleront pas le spectacle tant que la moitié du bâtiment est encore debout !” des sourires. Sa comparution a toutefois été reportée. Awk.word, en tout cas, n’envisage pas pour l’instant de reprendre ses événements au Liban. «Nous verrons comment les choses évoluent», soupire Andrew Hreiz.

D’autres artistes, comme le duo G-String, ont éteint leurs stand-ups pour organiser des collectes de fonds en faveur des personnes déplacées. Pour le cinquième anniversaire de leur duo, le 16 octobre, ils ont opté pour une soirée d’entrée gratuite à Jbeil (Kersewen), avec possibilité de faire un don à une association. “De cette façon, nous interprétons certaines de nos chansons, nous nous détendons, nous jouons à des jeux, mais nous aidons aussi”, expliquent-ils sur Instagram.

« Si on pouvait rire des mêmes choses… »

Alors que certains sont critiqués pour plaisanter en temps de guerre, le co-fondateur d’Awk.word y voit une nécessité presque vitale.

« Ceux qui combattent en première ligne et rentrent le soir à leur caserne rient ; qu’en penses-tu? Tout le monde le fait ; tout le monde a besoin de décompresser», défend-il.

« Le rire a toujours été une forme de thérapie pour les individus, car il leur permet d’exprimer de manière agréable ce qu’ils ont sur le cœur », ajoute Marie-Ange Nohra.

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Si la psychanalyste rejoint l’idée largement répandue d’une « résilience » libanaise par l’humour, elle en souligne aussi les limites. « Dans l’inconscient collectif on se moque aussi des vérités difficiles pour les oublier. La mémoire embellit les choses : on parle des guerres de 1975-1990 et de juillet 2006, on dit qu’on s’est amusé et qu’on a ri dans les refuges. Mais à l’époque, ce n’était pas drôle du tout», estime-t-il.

Selon le thérapeute, le rire, en tant que mécanisme de mise à distance et expression plus légère du déni, peut également s’unir. « Si nous pouvons rire des mêmes choses, cela pourrait peut-être nous rapprocher d’une manière ou d’une autre… » Mais cela reste à prouver, dit-il.

Moins de 24 heures après les explosions simultanées des bips des membres du Hezbollah le 17 septembre 2024, qui ont fait des dizaines de morts et des milliers de blessés, les réseaux sociaux et les groupes WhatsApp de tous les Libanais étaient déjà inondés de messages tels que : « Attention à vos e-cigarettes ! » ; « Il y a un interphone, je devrais peut-être le débrancher » ; ou encore cette image d’un homme portant un vieux téléphone vintage…

 
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