« Václav Havel a changé ma vie »

« Václav Havel a changé ma vie »
« Václav Havel a changé ma vie »

Que représente pour vous ce prix Gratias Act ?

Jacques Rupnik : « C’est une reconnaissance de mon lien avec ce pays, de ce que j’ai pu faire peut-être utile pour le faire connaître aussi à l’extérieur, d’être un peu passeur entre Paris et Prague – j’y ai quand même consacré un demi-siècle. et donc c’est plutôt sympa de voir ce travail reconnu. Et pas seulement reconnu par mes amis, car si c’était Václav Havel qui me remerciait pour cela, on aurait dit que c’était un lien personnel… Voilà, c’est une autre génération – et c’est le ministère des Affaires étrangères qui remercie. Pas seulement moi, mais toute une série de personnes qui, chacune à leur manière, contribuent à faire connaître la République tchèque, la culture tchèque ou la langue tchèque à l’étranger. »

« Nous avons dîné hier soir, nous avons fait connaissance. Par exemple, il y a un Argentin qui est intéressé, qui a écrit un essai sur Václav Havel ou un Japonais qui est professeur de langue tchèque à l’Université de Tokyo. Donc tout le monde dans un domaine différent a fait quelque chose qui fait connaître ce pays. »

Avez-vous la nationalité tchèque ?

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Jacques Rupnik|Photo : Tomáš Vodňanský, République tchèque

« Non, je ne l’ai pas, je ne l’ai jamais eu – ma mère était française et elle a eu la bonne idée de m’inscrire sur son passeport français, ce qui n’allait pas arriver au moment de ma naissance. pas soi. Je suis donc reconnu comme originaire de Prague, certes, mais avec un passeport français. »

Parce que vous êtes né à Prague, c’est votre ville natale où vous avez vécu les 15 premières années de votre vie. À votre retour, au moment de la Révolution de velours, avez-vous pensé à prendre la nationalité, qui était alors tchécoslovaque ?

« Oui, j’aurais pu effectivement, cela m’a même été proposé et j’ai passé plus de la moitié de mon temps ici et cela aurait peut-être pu se faire. D’une certaine manière, avoir la double nationalité cadrerait plutôt bien avec la « schizophrénie » que je cultive depuis si longtemps, mais en fin de compte, avec l’Europe, un passeport suffit. »

Y a-t-il quelque chose de tchèque en vous ?

« Certainement, car ma vision du pays dont je suis citoyen et dont je possède le passeport est également influencée par ce que j’ai vécu ici. Jusqu’à aujourd’hui certaines de mes réactions sont liées à un look, je dirais tchèque ou franco-tchèque. J’accepte d’être les deux. »

Quand vous avez passé toute votre enfance jusqu’à l’adolescence ici, peut-être y a-t-il de la nostalgie, par exemple pour certains plats tchèques, pour quelque chose de la culture tchèque, pour les pohádky (contes de fées) ?

« Certes, et d’ailleurs, avec l’âge, l’enfance compte de plus en plus, donc ces choses-là entrent en jeu. Les lieux, les odeurs, certaines familiarités. Vous êtes parti depuis des décennies et lorsque vous revenez, vous savez immédiatement que vous êtes en territoire familier, familier. Donc c’est vrai que ça joue un rôle. Hier soir avec mon voisin de table, nous parlions des chansons qu’on apprend à l’école. Et j’ai chanté dans une chorale ici à Prague et je me souviens encore aujourd’hui de certaines des chansons qu’on nous a enseignées et que nous chantions à l’époque, alors bien sûr, cela reste avec vous. C’est une chanson, ça pourrait être du folklore mais il y avait aussi des chansons de l’époque qui étaient des chansons à contenu idéologique qui étaient censées motiver les citoyens tchécoslovaques… Je dirais ça, et la poésie par exemple – des poèmes qu’on apprend à l’école, tout ça reste avec toi. »

Traduction de la lettre ouverte à Gustáv Husák

Vous avez déjà évoqué Václav Havel. La dernière fois que nous nous sommes parlé, vous nous avez parlé de votre rencontre en 1988 – y a-t-il eu une réunion avant cette date ?

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Václav Havel revient sur la lettre à Gustáv Husák|Photo : Oldřich Škácha, lettre de Havel à Husák/ČT

« Oui, cela a eu lieu, mais à distance au cours de l’été 1975. J’ai reçu de Prague un texte qui est la Lettre ouverte à Gustáv Husák, qui n’est pas une lettre bien sûr mais un essai d’une cinquantaine de pages et qui pour la première fois m’a fait comprendre comment fonctionnait la normalisation, ce qu’est la gouvernance par la peur. Ce n’est pas la terreur de masse, c’est après la défaite face aux chars en août 1968 qu’arrive la deuxième phase, celle de la normalisation. Et dans cet essai, Havel aborde de manière vraiment magistrale ce thème de la gouvernance par la peur. Le texte est traduit dans toutes les langues car il existe de nombreux autres pays où les gens se reconnaissent dans cette situation. Ce texte m’a frappé et, sans qu’on me demande rien, je l’ai immédiatement traduit. »

Et publié ?

« Je l’ai même publié deux fois, par inadvertance ! Je l’ai proposé aux Temps Modernes, dont Claude Lanzmann était alors directeur. il m’a dit ‘oui, nous allons le publier’. Mais dans le numéro de septembre, ce n’est pas là. Du coup, il y a eu une nouvelle revue qui a été créée à l’époque, qui s’appelait Politique Hebdo, que dirigeait M. Noirot et je leur ai proposé. Ils le prennent et ce qui se passe début octobre est publié en même temps. Je reçois un coup de téléphone furieux de Claude Lanzmann… J’informe Havel que son texte n’a pas seulement été publié en , mais même deux fois ! »

« L’homme de la dissidence à la BBC »

Comment avons-nous fait pour informer Havel, à l’époque, de la publication de son texte ? Quels canaux de communication utiliser ?

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Jacques Rupnik dans le film documentaire “L’Autre Europe”|Photo : YouTube

« Il y avait très souvent des coursiers, des gens qui allaient à Prague, par exemple des citoyens français qui se portaient volontaires pour apporter de la littérature publiée en Occident, de la littérature tchèque par exemple ou des revues tchèques publiées en Occident et qui les amenaient à Prague. Il y avait ici un réseau de distribution dont Jiřina Šiklová était la cheville ouvrière – elle est décédée récemment, donc je pense à elle. »

« Il y avait ce réseau et il y avait aussi d’autres réseaux. On peut le dire aujourd’hui : certains services diplomatiques ont été impliqués. Non pas les services français, mais certains autres pays, par exemple les services de la RFA à l’époque et autres. »

« Voilà, Václav Havel est avant tout une connaissance lointaine. Bien sûr, j’ai ensuite suivi ses écrits avec beaucoup plus d’attention. Et puis, lorsque j’ai travaillé pendant 6 ans à la BBC, mes commentaires et mes analyses étaient également diffusés par le service tchèque de la BBC. J’écrivais en anglais mais il était traduit en tchèque et donc les gens me connaissaient. Vilém Prečan, qui était archiviste de la dissidence et samizdat tchèque, a dit de moi « c’est notre homme à la BBC », un peu comme notre homme à La Havane. J’étais donc l’homme de la dissidence à la BBC. »

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Václav Havel et Jacques Rupnik en 2001|Photo : Miroslav Rendl, Lidové noviny/Profimedia

Vous êtes devenu le conseiller de Václav Havel après son élection à la présidence de la République. Pensez-vous que cela a changé votre vie ?

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Václav Havel dans le film documentaire “L’Autre Europe” de Jacques Rupnik, 1988|Photo : YouTube

« Oui, je peux le dire maintenant, je n’aurais pas dit ça à l’époque mais avec le recul si je me disais quels sont les moments qui ont vraiment compté et qui sont les personnes qui ont compté dans ma vie – à part les amis proches – alors bien sûr. À cause de cette affinité qui s’est créée à distance. Il savait que je m’occupais de certaines choses qui lui étaient proches. Nous nous sommes rencontrés en janvier 1988 pour la réalisation d’un film documentaire puis nous nous sommes revus le soir de son élection au siège du Forum civique. Nous n’étions que des amis des dissidents. Et voilà, il ouvre la fenêtre. Il y avait du monde dehors, une ambiance extraordinaire. On ferme la fenêtre, on trinque et il me dit ‘je peux compter sur toi ?’. Que répondez-vous à ce moment-là ? Vous êtes prêt à tout laisser derrière vous et à faire ce qui doit être fait ! Voilà, c’était l’ambiance du moment mais lui seul pouvait attendre ça, car justement il n’exigeait rien. Il comptait sur ce genre d’affinité informelle. C’est très fort, ça s’appelle l’amitié. »

 
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