Au début de l’entretien, il ne souhaite pas comparaître ni donner son nom. « Des amis ont été la cible de messages haineux après s’être exprimés dans les médias », explique-t-il. Puis la conversation a lieu, une heure et demie, et avec elle, la confiance. Olivier Jaoui accepte finalement d’être cité nommément. Formateur à Paris, 63 ans, il a cofondé l’association Vies Brisées, créée au lendemain du 7 octobre, pour regrouper les familles françaises de victimes décédées ou retenues en otages. Cinq membres de sa famille ont été fauchés, dans un kibboutz situé non loin de Gaza, par l’attaque du Hamas.
Comment l’attentat du 7 octobre a-t-il affecté votre famille ?
Dans les années 1960, mon cousin est parti vivre en Israël pour développer le kibboutz Nir Oz, avec sa femme Carmela, qui aurait dû avoir 80 ans fin octobre 2023, mais elle a été mitraillée le 7 octobre, avec sa petite-fille. fille Noya. Leurs corps ont été retrouvés brûlés. Carmela et ma cousine ont eu deux filles, dont Hadas, qui a elle-même eu deux enfants, Erez, 12 ans, et Sahar, 16 ans, toutes deux kidnappées au kibboutz le 7 octobre. Elles ont été retenues en otage pendant cinquante-deux jours à Gaza. Leur père, Ofer Kalderon, également kidnappé, est toujours aux mains des terroristes palestiniens. Personne ne sait s’il est encore en vie. Tous sont franco-israéliens.
Comment décririez-vous Ofer Kalderon ?
C’est un ébéniste, très bricoleur. Au kibboutz, il est un peu bricoleur. Un garçon sympa, proche de la nature, qui fait beaucoup de vélo.
Pouvez-vous nous décrire le kibboutz Nir Oz, où vivent vos cousins ?
C’est, comme beaucoup de kibboutzim, un village agricole, à la vie très collective, où sont produits olives et agrumes, dans le sud d’Israël, tout près de la frontière avec la bande de Gaza. Il a été créé dans les années 1950 par des pionniers très à gauche. Ses habitants restent des gens de gauche, pas du tout religieux, avec un idéal de paix. Ils ont eu de nombreux contacts avec les Gazaouis, les aidant à se faire soigner dans les hôpitaux de Tel Aviv. 400 personnes vivaient à Nir Oz au moment du massacre. Le 7 octobre, le kibboutz est incendié. Nir Oz a été rayé de la carte. Un quart des habitants ont été assassinés, kidnappés ou grièvement blessés.
« Pour ceux qui, comme moi, sont de gauche, le 7 octobre marque une rupture »
Comment vont les deux adolescents, Erez et Sahar, retenus prisonniers pendant cinquante-deux jours ?
C’est difficile pour eux. Ils ont passé près de deux mois enfermés dans un tunnel, sans voir la lumière du jour. On leur a fait croire qu’Israël avait été détruit. Lorsqu’ils ont été kidnappés, ils ont vu la route jonchée de cadavres.
Où sont les chiffres des attentats du 7 octobre ?
1 200 Israéliens ont été tués ce jour-là. 250 personnes ont été capturées pour être retenues en otage. Une centaine sont toujours détenus à Gaza, dont une trentaine sont considérés comme morts par l’armée israélienne. Des centaines de femmes ont été violées. Le 7 octobre fut un terrible pogrom.
Que répondez-vous à ceux qui opposent ce bilan aux 40 000 victimes des bombardements à Gaza ?
Ce que vivent les habitants de Gaza est une horreur. Mais n’oublions pas la chronologie : il s’agit d’une réponse militaire au massacre perpétré le 7 octobre par le Hamas, groupe qui, comme le Hezbollah, a pour objectifs la destruction d’Israël et l’assassinat du plus grand nombre de Juifs possible. La réponse d’Israël répond à une doctrine militaire qui peut être considérée comme discutable, mais qui stipule que lorsque nous recevons un coup, nous devons renvoyer un coup beaucoup plus fort pour éviter que cela ne se reproduise. Israël est un très petit territoire. Sa défense est existentielle, l’Etat est en jeu pour sa survie. Si Israël perd une guerre, c’est fini.
La fille d’Ofer, Sahar, continue d’appeler Benjamin Netanyahu à faire davantage pour libérer les derniers otages vivants. Comment jugez-vous sa politique ?
La libération des otages ne semble malheureusement plus être sa priorité. Il semble particulièrement préoccupé par sa survie politique… Je ne me reconnais pas dans son gouvernement, ma famille en Israël a une profonde aversion pour Netanyahu. Mais au-delà de Netanyahu, il faut mesurer l’extrême complexité de la situation pour Israël, attaqué de toutes parts. Au sud par le Hamas, au nord par le Hezbollah, par les rebelles Houthis du Yémen, avec l’Iran en arrière-plan…
« Je me sens inquiet de la montée de l’antisémitisme, combatif et terriblement triste »
Quels effets le 7 octobre et la guerre qui a suivi ont-ils eu sur les Juifs vivant en France ?
Un traumatisme évidemment, une montée de la peur face à la recrudescence des actes antisémites et à la diffusion de propos antisémites, notamment à l’école. Beaucoup d’entre nous doivent prendre plus de précautions chaque jour et s’inquiètent pour nos enfants. Le 7 octobre a également été marqué par un net regain d’associations. Face à la gravité de la situation, on voit de nombreux trentenaires, jusqu’ici peu engagés, éloignés d’Israël, fonder les collectifs, Nous vivrons, Les Amis de Nir Oz… Enfin, pour ceux qui, comme moi, sont sur le gauche, le 7 octobre marque une rupture. J’ai voté pour le PS toute ma vie, mais c’est fini, les ambiguïtés de sa direction avec une gauche radicale, qui nous traite de « génocidaires » et fait des compromis avec l’antisémitisme, me dégoûtent.
Dans quel état d’esprit abordez-vous cette commémoration ?
Je me sens inquiet de la montée de l’antisémitisme, combatif et terriblement triste. Je pense à mes cousines Carmela, Noya, Ofer. Nous vivons hantés, depuis un an, par le massacre du 7 octobre.