« La vie d’un livreur est encore pire que dans « L’Histoire de Souleymane » »

« La vie d’un livreur est encore pire que dans « L’Histoire de Souleymane » »
« La vie d’un livreur est encore pire que dans « L’Histoire de Souleymane » »

« Les gens qui commandent des repas via des livreurs se rendent-ils compte de toute la souffrance qu’ils leur causent en exigeant des plats chauds, apportés rapidement et livrés avec le sourire ? », demande Jonathan L’Utile Chevallier, coordinateur de la Maison des livreurs, à Bordeaux. Il vient de voir « L’Histoire de Souleymane », un film de Boris Lojkine présenté en avant-première lundi 23 septembre, en ouverture du festival du film justice et droits de l’homme à Utopia.

« L’Histoire de Souleymane » sortira en salles le 9 octobre mais il a déjà marqué les esprits au dernier Festival de Cannes. Localement, il a été primé aux Vendanges du 7ᵉ art à Pauillac, et a marqué le début de la saison Unipops à Pessac. Cette plongée en quarante-huit heures dans la vie d’un livreur à vélo à Paris est filmée sans tabous. Il montre comment des Africains en situation irrégulière sont exploités par d’autres Africains « à gages », qui leur permettent de travailler sous leur identité en échange de la moitié de leurs revenus, comment ils doivent griller des feux rouges pour assurer leurs livraisons à temps, comment des compatriotes leur faire apprendre par cœur des histoires fictives censées les aider à bénéficier du droit d’asile. «Nous avons tous vécu ce que nous voyons dans ce film», déclare Khalifa Koeta.

“Nous sommes le sous-prolétariat”

Cet Ivoirien, qui travaille désormais pour une association caritative, a été livreur pendant plusieurs années. C’est pour cette raison qu’il a créé Amal, une Association de mobilisation et d’accompagnement des livreurs. Il confirme leur exploitation par les loueurs de comptes : « Ils ne remboursent pas forcément l’argent qu’ils doivent rembourser, ou juste une toute petite somme. Parfois, ils augmentent le contrat de 120 euros à 150 euros. Même si nous n’avons pas gagné cette somme. Nous sommes le sous-prolétariat. Nous ne pouvons rien faire. Ce n’est pas nous qui avons le compte. »

« Un livreur a reçu un coup de poing parce qu’il ne voulait pas monter les escaliers jusqu’au domicile du client, un adolescent. Il s’est laissé énerver de peur que son compte soit désactivé »

Et ce compte avec des services de livraison comme Uber Eats ou Deliveroo peut être bloqué en un clic, critique Jonathan L’Utile Chevallier : « Il suffit qu’un client ou un restaurateur porte plainte. Le livreur n’est pas entendu. Il n’a pas la possibilité de savoir pourquoi il a été bloqué, quand et par qui. C’est ultra-violent. Les livreurs vivent dans la peur constante de perdre ce qui leur permet de travailler. »

Les relations avec les restaurateurs, en effet, sont évoquées de manière très réaliste dans le film, raconte Khalifa Koeta : « Certains vous lancent la commande ou vous interdisent d’aller aux toilettes, mais d’autres sont très gentils, ils proposent des boissons. » Quant aux clients, ils peuvent même se montrer violents. « Un livreur a reçu un coup de poing parce qu’il ne voulait pas monter les escaliers jusqu’au domicile du client, un adolescent. Il s’est laissé énerver de peur que son compte soit désactivé. C’est ce qu’on voit aussi dans le film : Souleymane est blessé par son chargé de clientèle. Il est assez fort pour se battre, mais il ne riposte pas parce qu’il a besoin du décompte. »

Ce qui n’est pas montré

Et puis il y a tout ce que le film ne montre pas. Conditions d’hébergement : « Ce que nous avons trouvé, ce n’est pas un centre d’accueil propre mais des squats, sans eau ni électricité, dans le froid, parmi les cafards. » « Médecins du monde mène un programme dans ces squats avec des kinés, des médecins, des actions de prévention, explique Jonathan L’Utile Chevallier. Mais la situation est encore pire pour ceux qui sont sans abri. Nous accompagnons les livreurs afghans ou pakistanais qui dorment en gare ou à Bordeaux-Lac. »

Situations familiales : « Beaucoup ont une femme et des enfants. Ils font vivre trois ou quatre personnes avec un salaire dérisoire. Sans compter la pression des autres parents, restés au pays, qui leur demandaient d’envoyer de l’argent. Pour eux, quand on est en Europe, on est riche. Et les images qui circulent sur les réseaux sociaux amplifient cette croyance. »

“Les livreurs ne mangent pas même s’ils passent toute la journée à livrer de la nourriture”

Faim : « Dans une journée, ils ne mangent souvent qu’une barquette de riz à 5 euros qu’ils achètent ensemble. Ils ne se nourrissent pas même s’ils passent toute la journée à livrer de la nourriture. Je vois des gens qui dépérissent après quatre ou cinq ans de métier. »

Problèmes de santé : « À force de supporter à longueur de journée les frottements de la selle de vélo, tout en s’abstenant d’uriner, beaucoup ont des douleurs, des hémorroïdes, des problèmes sexuels », explique Adeline Grippon, coordinatrice régionale de Médecins du monde. Ou bien ils se déshydratent en ne buvant pas, précisément pour ne pas vouloir uriner. »

« Nous perdons notre dignité », déplore Khalifa Koeta. Nous faisons des efforts d’intégration. Nous voulons apprendre un métier. Mais toute notre vie et celle de nos familles dépendent d’un simple document, qui dépend du bon vouloir de la préfecture. À un moment donné, j’ai vraiment regretté d’être venu en France. »

 
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