« Les arbres n’atteignent pas le ciel », rappelait volontiers l’économiste John Keynes. Mais lorsqu’il s’agit des prix du matériel agricole, la hausse ne semble jamais s’arrêter. « Choquant, violent, historique… » Jean-Christophe Régnier, président de la commission économique d’Axema, le syndicat des constructeurs et importateurs de machinisme agricole, n’a pas de mots assez forts pour qualifier la hausse des prix depuis le début de la crise sanitaire. en 2020.
Selon l’Insee, qui établit chaque mois l’Ipampa (indice des prix moyens à la production agricole), le prix moyen du matériel agricole a augmenté de 28,6 % entre janvier 2017 et avril 2024. Cette hausse a été d’un peu moins de 10 % entre 2010 et 2017, période marqué par des hausses de prix jugées anormalement élevées en raison de la mise en place de nombreuses normes anti-pollution.
Les tracteurs fortement impactés
Même si l’épidémie est généralisée, certains équipements sont plus impactés que d’autres. Selon l’Insee, les pulvérisateurs sont les moins touchés, même si le prix de l’appareil de référence a tout de même augmenté de 24,9 % entre janvier 2017 et avril 2024. Sur cette période, la hausse a atteint 28,2 %. sur le matériel de récolte et près de 30 % sur les tracteurs (29,7 %). Les plus touchés sont les véhicules agricoles, notamment les remorques et les bétaillères avec une hausse de près de 36 %.
Et encore, selon Axema, l’indice INSEE, qui représente le prix effectivement payé par les agriculteurs, subit une hausse un peu moins marquée que l’indice de production, qui est celui du prix à la sortie de l’usine du constructeur. Alors que jusqu’en 2020, les deux indices étaient quasiment identiques, le syndicat note un écart d’environ 5 points en 2022. Un écart attribué à la valorisation importante de l’opportunité, qui réduit le solde payé par les agriculteurs lors de l’achat de nouveaux équipements.
Calme du côté des matières premières
La cause de cette hausse des prix réside essentiellement dans les matières premières. David Targy, chef du pôle économique d’Axema, pointe la succession de crises avec le Covid en 2020 puis la guerre en Ukraine et la politique zéro Covid en Chine, qui ont créé un choc sur ces matières premières.
“Les prix de l’acier et de l’inox, principaux composants des matériaux, ont bondi de façon spectaculaire fin 2021, puis de nouveau en 2022”, explique l’économiste. En quelques semaines, le prix de l’acier est passé de 900 €/t à 1 800 €/t en avril 2022. Durant la même période, l’acier inoxydable est passé de 2 415 €/t à 3 750 €/t. Les prix ont grimpé en flèche lorsque la demande de matériel agricole était la plus forte. »
À cette hausse spectaculaire, il faut ajouter l’explosion des prix de l’énergie, notamment du gaz et de l’électricité. Les difficultés du secteur du fret ont également pesé sur les importations, notamment de composants électroniques. Cependant, au cours de l’année écoulée, les matières premières ont progressivement retrouvé leurs prix d’avant Covid et les taux de fret sont tombés à un niveau acceptable. Une situation encourageante qui n’a toutefois pas d’impact sur les prix du matériel agricole. Car les matières premières et l’énergie ne sont pas les seules à impacter les prix pratiqués.
Evolution des prix des matières premières autour de la période Covid | |||||
2019 | 2020 | 2021 | 2022 | 2023 | |
Acier (tôle) €/t | 555 | 508 | 889 | 1186 | 900 |
Acier inoxydable (bobine 304) €/t | 14h30 | 1381 | 1947 | 2873 | 2700 |
Aluminium €/t | 1598 | 1489 | 2095 | 2556 | 2162 |
Cuivre €/t | 5358 | 5388 | 7875 | 8337 | 8175 |
Gaz €/MWh | 14.3 | 10.4 | 49,9 | 146 | 93 |
Électricité €/MWh | 49 | 48 | 99 | 374 | 107 |
Fret maritime €/conteneur | 1212 | 1644 | 6441 | 5994 | 1384 |
Moins de réductions
Pris entre le marteau et l’enclume, les concessionnaires ont de moins en moins de marge de manœuvre pour pratiquer les rabais traditionnels. L’état de leurs trésoreries a également été au cœur des débats lors du congrès du Sedima (syndicat des distributeurs de matériel agricole) en mars dernier.
« Après la crise sanitaire, les délais de livraison se sont envolés, atteignant parfois 18 mois pour certains matériels. Pour éviter de revivre ces problèmes de livraison, les concessionnaires ont augmenté leurs stocks, notamment de tracteurs. Mais avec la baisse des ventes et la flambée des prix des équipements, notre trésorerie est durement impactée », a résumé Loïc Morel, l’ancien président de la Sedima.
La situation est d’autant plus critique que, dans le même temps, les taux d’intérêt ont fortement augmenté, augmentant le coût des équipements en stock. La trésorerie de la concession étant anormalement mobilisée sur les stocks de tracteurs et de véhicules automoteurs, elle n’est plus disponible pour d’autres matériels. “Cette filière vertueuse pour tous, avec des réductions pour les opérations de contre-saison sur le matériel de fenaison, de semis et de travail du sol, va disparaître si la situation des stocks ne s’améliore pas”, prévient le syndicat.
Solution de repli traditionnelle, le matériel d’occasion n’est plus une alternative car soit récent et trop cher, soit vétuste. Les machines âgées de 8 à 12 ans ont quasiment disparu des parcs des concessions. De plus, les prix des pièces et interventions en atelier ont augmenté de 28 % en trois ans, ce qui n’incite pas à conserver des machines dépréciées.
Des taux d’intérêt très élevés
Dans le même temps, la hausse des taux d’intérêt pèse sur la capacité d’investissement des agriculteurs. Fin 2023, les taux d’intérêt des contrats d’achat d’équipements comme Agilor, Actimat et leurs équivalents dans d’autres établissements bancaires atteignaient 4,3% pour un prêt sur sept ans.
Un tel niveau de taux d’emprunt n’a pas été atteint depuis très longtemps. En décembre 2021, pour un contrat identique, le taux n’était que de 0,85 %. Il a donc quadruplé en un peu plus d’un an. Ceux qui sont contraints de renouveler leurs équipements se tournent, lorsqu’ils sont disponibles, vers le financement des constructeurs.
Toujours plus sophistiqué
L’évolution de la technologie joue également un rôle dans la flambée des prix. Ainsi, sur le terrain, les agriculteurs constatent souvent des augmentations bien supérieures à 30 % sur certains équipements. Il y a d’abord celles qui sont provoquées par l’évolution des normes. Une double conduite de frein pneumatique coûte beaucoup plus cher qu’une simple conduite hydraulique.
Mais on assiste aussi à une évolution dans les spécifications de base des équipements, notamment dans le domaine du désherbage mécanique où les herses de désherbage et de désherbage de 2024 n’ont plus rien à voir avec celles de 2015. Dans ce contexte, constructeurs et revendeurs craignent que les prix franchissent le seuil d’acceptabilité par les agriculteurs.
Et pourtant, après une moissonneuse-batteuse en 2019, c’est désormais un tracteur (le John Deere 9RX830) qui vient de franchir la barre symbolique du million d’euros. L’histoire ne dit pas dans quelles conditions il peut être amorti et si la trésorerie de l’exploitation survivra à ce prix stratosphérique.