Décès d’Amadou-Mahtar Mbow, premier Secrétaire général africain de l’UNESCO

Décès d’Amadou-Mahtar Mbow, premier Secrétaire général africain de l’UNESCO
Décès d’Amadou-Mahtar Mbow, premier Secrétaire général africain de l’UNESCO

« SSoyez fidèles à l’Afrique. Soyez aussi citoyens du (qui) est un. L’évolution nous a fait devenir unis. Cette solidarité implique que la justice soit appliquée à tous et que les inégalités disparaissent. C’était mon combat à l’Unesco. » Ces mots, pleins de sagesse, d’Amadou Mahtar Mbow ont une résonance particulière alors que le monde traverse des bouleversements géopolitiques. Reconnaissable à son regard acéré devenu gris acier au fil des années et à son port hautain, Amadou Mahtar Mbow n’a cessé d’éveiller les consciences. Il est décédé dans la nuit de lundi à mardi à Dakar, à l’âge de 103 ans, a annoncé l’Agence de presse sénégalaise (APS).

Au Sénégal, anonymes, personnalités et religieux saluent la mémoire d’un fils illustre du pays et son héritage. Depuis New York, où il se trouve pour l’Assemblée générale des Nations Unies, le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye a réagi sur X : « C’est avec une profonde émotion que j’ai appris le décès du professeur Amadou Makhtar Mbow, ancien secrétaire général de l’UNESCO et grand défenseur du multilatéralisme. C’est l’un des patriarches de la nation sénégalaise qui s’en est allé, laissant un héritage inestimable, marqué par son combat pour une justice éducative et culturelle mondiale. »

Le Premier ministre Ousmane Sonko a également rendu hommage à la mémoire d’un « grand intellectuel et homme de culture » qui a « consacré sa vie à (sa) nation et à l’Afrique ». Amadou Mahtar Mbow, qui a dirigé l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) de 1974 à 1987, était une figure emblématique dont l’héritage intellectuel est non seulement contesté au Sénégal, mais bien au-delà, car sa longue trajectoire prend racine dans chaque partie du monde qu’il a parcourue.

Premier engagement sous pavillon français

Car il faut souligner qu’avant même de devenir le premier Africain à avoir dirigé une institution du système des Nations Unies, Amadou Mahtar Mbow, né le 20 mars 1921 à Dakar, a d’abord participé comme volontaire à la Seconde Guerre mondiale sous le drapeau français, pays dont il avait déjà la nationalité. Il avait alors 19 ans et s’engageait dans l’armée de l’air française. Une décision qui marqua à jamais son long parcours. En effet, il n’était pas acquis à cette époque pour cet ancien élève talibé qui a grandi dans le contexte colonial de s’engager pour défendre le drapeau du pays colonisateur. D’autant plus qu’Amadou Mahtar Mbow a grandi à Louga, ville au carrefour des routes caravanières commerciales transsahariennes et centre névralgique de l’administration coloniale française. Comment cet homme qui aspirait à libérer son pays du joug colonial a-t-il réussi à s’engager pour défendre ce même oppresseur contre la menace nazie ? Amadou Mahtar Mbow, imprégné des valeurs de justice et de paix, avait en effet déjà commencé à réfléchir aux questions d’injustice – à sa propre trajectoire et, au-delà, à la place du continent africain dans le concert des nations. S’engager produirait chez lui une véritable prise de conscience et constituerait le point de départ de sa construction intellectuelle.

Un voyage au coeur de l’histoire

Démobilisé à la fin de la guerre, il entreprend des études d’histoire et de géographie à la Sorbonne à Paris. Là, son militantisme étudiant et ses écrits, au sein de l’Association des étudiants coloniaux, qu’il préside, puis de la Fédération des étudiants noirs africains de (FEANF), dont il est l’un des principaux fondateurs, font de lui l’un des fervents défenseurs de l’indépendance de son pays. Résolument dans l’action, Amadou Mahtar Mbow participe activement à la constitution de l’État sénégalais. Durant cette période, Amadou Mahtar Mbow est convaincu que l’éducation dite de base doit être au centre de l’apprentissage de la vie. Il s’engage alors comme enseignant, en Mauritanie et dans le Sénégal profond au cœur de la ruralité, mais ces deux pays sont encore soumis au pouvoir colonial. C’est dans ce contexte qu’il « s’est efforcé d’éveiller chez ses étudiants la conscience de l’histoire du monde et de celle de l’Afrique en particulier, ainsi que des responsabilités qui incombent aux élites modernes dans leurs sociétés », décrivaient les historiens à l’occasion de son centenaire en 2021. « Il s’est également efforcé de susciter chez eux le goût de l’effort et la volonté de réussir. »

Ministre de l’Éducation nationale, de la Culture, de la Jeunesse et des Sports de 1957 à 1958 dans le gouvernement sénégalais issu de la loi-cadre – qui a créé les États autonomes en Afrique occidentale française (AOF) –, il fut l’opposant du président sénégalais Léopold Sédar Senghor pendant huit ans après l’indépendance, avant de devenir son ministre de l’Éducation nationale entre 1968 et 1970. Amadou Mahtar Mbow « est un homme de pensée et d’action. Il a su répondre aux fortes attentes de ses contemporains pour un monde plus juste et plus équitable », a déclaré de lui l’ancien président sénégalais Macky Sall. Pour l’ancien président du Mali et ancien chef de la Commission de l’Union africaine Alpha Oumar Konaré, Amadou Mahtar Mbow était « un grand Africain, un citoyen africain, un citoyen du monde ».

Plaidoyer pour le multilatéralisme

Pour mémoire, son passage à l’Unesco comme représentant de ce qu’on appelait alors le Tiers-Monde en pleine guerre froide a aussi été marqué par le soutien apporté « aux mouvements de libération nationale, sa protection des artistes et de l’environnement, et surtout sa ferme mobilisation pour la sauvegarde des biens des peuples : leur entretien et leur inscription au patrimoine de l’humanité et leur restitution à leurs pays d’origine », ont rappelé les organisateurs d’une conférence consacrée à ce grand témoin de l’histoire en 2020 à Dakar. « Notre destin ne s’écrit dans aucune fatalité », aime à rappeler Amadou Mahtar Mbow, qui s’est notamment illustré comme premier directeur issu du Tiers-Monde dans la défense de l’histoire générale de l’Afrique, la restauration du patrimoine mondial, comme l’Acropole d’Athènes. Il a aussi contribué à libérer certains prisonniers politiques d’Amérique latine. La deuxième université publique de Dakar porte son nom.

Depuis mardi matin, les hommages affluent du monde entier pour saluer la mémoire d’un « baobab », un sage. « Premier Africain à diriger une organisation internationale, humaniste convaincu, intellectuel complet, il a profondément marqué notre institution en défendant avec force la nécessité de solidarité et d’égale dignité entre les peuples et les cultures », a déclaré à l’AFP l’actuelle directrice générale de l’Unesco, Audrey Azoulay.

 
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