« Le mépris de classe est très violent et humiliant. Et ça, pour une fois, c’est quelque chose que j’ai vécu” – .

« Le mépris de classe est très violent et humiliant. Et ça, pour une fois, c’est quelque chose que j’ai vécu” – .
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En octobre dernier, Paloma Sermon-Daï a remporté le Bayard d’or au Festival du film francophone de Namur avec Il pleut dans la maison. Un joli doublé après le Bayard d’or obtenu, trois ans plus tôt, pour son magnifique documentaire Petit samedi. Entourée de ses deux étonnants comédiens amateurs, Purdey et Makenzy Lombet, qui incarnent à l’écran des personnages inspirés par eux-mêmes (voir ci-dessous), la cinéaste condruzienne de 30 ans était très souriante au Foyer du Théâtre de Namur. « C’est un grand plaisir d’être ici ! C’est une grande émotion, car c’est un peu notre projection de familles. C’est un peu notre fête foraine. Parfois, en France, les gens me disent qu’ils ne comprennent pas certains mots. Au moins ici, on est chez nous, on est compris ! », sourit Paloma Sermon-Daï, confiant qu’elle travaille déjà à l’écriture d’une nouvelle fiction, qu’elle espère plus ambitieuse en termes de budget et de mise en scène. Et où il sera sans doute encore question de relations familiales…

Un deuxième Bayard d’Or pour Paloma Sermon-Daï au Festival de Namur

Petit samedi était un documentaire qui utilisait des effets fictifs. Ici, c’est un peu le contraire, non ?

Oui, j’aime l’hybridité. Après, ici, on est vraiment dans une fiction. On retrouve le documentaire davantage dans la façon dont on a travaillé. C’était vraiment une petite équipe, très familiale. On pourrait changer le plan de travail du jour au lendemain sans que cela pose de problème. Nous avions beaucoup de liberté.

Mais est-ce que tout a été écrit ?

Le premier jour de tournage, j’avais 60 pages, soit environ la moitié de ce qu’on a l’habitude de voir pour un long métrage de fiction. J’ai laissé place à l’improvisation. Tous les dialogues n’ont pas été écrits. Il y avait des séquences très résumées, parce que je savais qu’à ce moment-là, j’allais vouloir me libérer de cette obligation scénaristique. En revanche, nous ne sommes pas arrivés les mains dans les poches, car j’ai vraiment passé un an à préparer les rôles, en travaillant avec Purdey et Makenzy. Le film a été écrit caméra à la main, car j’ai alterné avec eux des petits ateliers d’improvisation et des périodes d’écriture.

Les acteurs ont leurs propres noms, sont en réalité frère et sœur. L’effet de réalité est très fort…

J’ai été vraiment inspiré par ce qu’ils sont pour les personnages. Mais pour l’histoire, je pense qu’on y met tous un peu de notre adolescence wallonne. Ils étaient encore un peu là, notamment pendant le tournage. Ce que je voulais vraiment capturer, c’était ce dernier été d’insouciance, ce dernier été de l’enfance, presque. On sent que ces deux personnages sont obligés de passer à l’âge adulte plus vite que prévu. Cela m’intéressait parce que je sentais qu’ils vivaient cela eux-mêmes. J’ai écrit ce film avec une grande nostalgie de mon adolescence : le trio qu’ils forment avec Donovan, ces moments d’ennui au bord du lac, où on tourne un peu en rond et on finit par faire des bêtises, parce qu’il n’y a pas grand chose d’autre à faire… Mais aussi cette sensation de plafond de verre dans le personnage de Purdey. J’ai grandi dans un environnement simple, qui n’avait rien à voir avec le cinéma. L’idée d’aller étudier à Bruxelles et d’exercer ce métier était très loin de moi. Ce n’était pas facile. Je me suis lancé dedans avec beaucoup de naïveté et c’est tant mieux, car, du coup, je ne me suis plus posé de questions et je me suis lancé. Mais c’est vrai qu’on ne démarre pas tous avec les mêmes chances. Quand j’ai commencé mes études, je n’avais aucune confiance en moi. J’avais l’impression d’arriver avec moins de culture que les autres, moins de bagages, moins d’éducation, moins cinéphile, moins de tout en fait. C’est ce qui est beau dans le personnage de Purdey. On sent que c’est quelqu’un qui a tout son potentiel, mais qui est un peu freiné par la vie, par les obligations qu’elle s’impose…

mouette

J’ai écrit ce film avec une grande nostalgie de mon adolescence.

A 17 ans, Purdey est en effet obligé de prendre la place de leur mère, alcoolique et absente…

C’est quelque chose que j’ai pas mal observé en grandissant en Wallonie. Ce n’est pas parce que c’est une famille précaire que ça se passe comme ça. Cela peut arriver dans tous les domaines. Purdey est plus âgée que Makenzy, mais il y a aussi le fait qu’elle est une fille. Souvent, la fille aînée de la fratrie a un peu l’obligation d’assumer ce rôle de mère et de faire plus de sacrifices que les autres…

Dans “Il pleut dans la maison”, Paloma Sermon-Daï dépeint les tensions dans le couple Purdey et Youss, qui ne voit pas d’un bon oeil que sa copine travaille comme femme de ménage… ©Cinéart

Avec une grande précision, Il pleut dans la maison dépeint la précarité en Wallonie. Pensez-vous qu’on ne le montre pas assez au cinéma ?

Je trouve qu’on la voit parfois avec beaucoup de clichés, soit de manière trop sombre, soit dans des parodies un peu ridicules. Je voulais être à la bonne hauteur par rapport à eux. Je ne fais pas un film misérabiliste, mais je ne l’édulcore pas non plus. Oui, ils sont dans une période précaire. La maison fuit, l’argent manque… Mais en même temps, ça reste un film solaire, qui fait rire. Je voulais vraiment trouver cet équilibre entre les mots durs et les moments de légèreté.

mouette

Je voulais être à la bonne hauteur par rapport à eux.

Le film met également en scène des moments de lutte des classes, notamment entre Purdey et son petit ami, issu de la petite bourgeoisie…. Ces frictions vous ont-elles intéressé ?

Ce que j’ai aimé dans ces affrontements, c’est qu’ils peuvent être extrêmement violents. Le mépris de classe est très violent et humiliant. Et ça, pour une fois, c’est quelque chose que j’ai vécu. Quand je suis arrivé à l’école, il y avait un peu ce cliché wallon, que j’ai beaucoup ressenti. Quand on arrive avec un accent et pas forcément avec les mêmes références, on a tendance à penser que l’on est un peu bête. Les personnages de Makenzy et Purdey subissent cette gifle en même temps. Purdey par son petit ami, qui est gêné d’être avec une fille qui fait le ménage. Et Makenzy face à ce petit bourgeois bruxellois, qui semble avoir avec lui une conversation tout à fait banale mais qui, quand on la décortique, est très violente…

Au contraire, selon vous, il n’y a absolument aucun mépris de classe envers vos personnages, toujours dignes à l’écran…

C’était très important. C’est aussi une question de légitimité. Je dois pouvoir me regarder dans le miroir après. Je ne voulais pas du tout les mettre dans une situation où ils auraient le sentiment qu’ils me donnaient des choses dont j’aurais profité pour me moquer d’eux ou pour sortir les violons et faire un drame ultra-dramatique. Durant cette année de collaboration avec eux, nous avons trouvé le bon angle. Et nous avons pris certaines décisions ensemble. Ils ont aussi eu leur mot à dire sur la façon dont je les ai filmés, sur ce qu’on leur a montré.

Envie d’un film solaire, Paloma Sermon-Daï a tourné son film en été, dans un lieu incontournable du tourisme wallon, le lac de l’Eau d’Heure, près de Cerfontaine. ©Cinéart

Les acteurs : Purdey et Makenzy Lombet

Si un tel côté familial émergeIl pleut dans la maisonc’est que Paloma Sermon-Daï filme ici sa nièce Purdey Lombet (la fille de son demi-frère, qui fut au centre de Petit samedi) et son demi-frère, Makenzy, que la réalisatrice avait déjà filmé dans son court métrage Makenzy en 2016.

«Quand j’ai commencé à écrire, je n’y avais pas pensé. Je pensais faire un casting sauvage. Je savais que je voulais un frère et une sœur, que je voulais parler de l’absence de parent et de ce passage forcé à l’âge adulte. Ce sont mes producteurs qui m’ont dit que ça ressemblait quand même beaucoup Makenzy. Et une fois qu’ils se sont lancés dans le jeu de cartes, ils ont évidemment beaucoup nourri les personnages… »explique le réalisateur.

« Petit samedi » : un portrait de famille qui crie vérité

Pour gagner leur confiance et les mettre à l’aise devant la caméra, Paloma Sermon-Daï a beaucoup filmé la sœur et le frère, notamment durant l’année de travail préparatoire qui a précédé le tournage. « Mais la plus grande force du film, c’est d’avoir réussi à former autour de moi une équipe qui a compris qu’il fallait être une famille. J’ai vraiment le sentiment qu’on est partis en vacances avec l’équipe. Nous étions tous logés là-bas ; nous avons passé 24 jours ensemble, avec une équipe assez jeune. Je pense qu’ils avaient l’impression que personne ne les jugeait, que nous nous souciions tous d’eux. Vous pouvez le sentir. Même si on parle de choses difficiles, il reste quand même des moments de légèreté et des aperçus de cette vie d’adolescent.

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Je voulais vraiment faire un film fidèle à leur génération et à leur monde.

Le plus compliqué pour Purdey et Makenzy était le fait qu’ils soient en réalité frère et sœur. « Ils s’aiment beaucoup, mais ils sont un peu comme des chats et des chiens. Par exemple, ils n’étaient pas du tout habitués à se regarder dans les yeux, à s’asseoir à table et à avoir une conversation sérieuse. Pour eux, cela se faisait plutôt par SMS ou par téléphone. C’est principalement ce que j’ai commencé à travailler avec eux : leur apprendre à se parler. Et finalement, ils avaient plein de choses à se dire. Je voulais vraiment faire un film fidèle à leur génération et à leur monde. J’ai tout observé, surtout leur façon de parler… Les dialogues, je voulais que ce soit eux. C’est aussi pour ça qu’on a gardé leurs prénoms, parce que je ne voulais pas les restreindre. Je savais que nous aurions des improvisations entre frères et sœurs, où ils ne pourraient s’empêcher de crier : Makenzy ! Purdey ! »confie le cinéaste.

Une première scène forte

Il pleut dans la maison ouvre sur une première scène magistrale. Un long plan séquence fixe, où les personnages se dirigent vers la caméra, surchargés par les courses qu’ils viennent de faire chez Lidl. “C’est l’un des seuls plans fixes du filmcommente Paloma Sermon-Daï. C’est une scène qui en dit long. On voit ces deux ados en claquettes sous le cagnard, sur le béton, au milieu des champs, porter ces trucs qui ont l’air super lourds et on sent que c’est habituel. Il raconte tout un monde de ruralité, ce que c’est d’être loin des magasins, de ne pas forcément avoir un bus qui vous ramène directement chez vous et de devoir quand même rapporter vos surgelés… D’un seul coup, on dit beaucoup de choses et nous présentons leur complicité, car évidemment, ils se disputent… »

Purdey et Makenzy Lombet sont à l’affiche de « Il pleut dans la maison » de Paloma Sermon-Daï. ©Quai 10
 
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