« Mon fiancé est la personne qui me connaît le mieux »

Elle a beau cacher son visage dans ses mains quand on lui rappelle que Robert Zemeckis la surnommait la « Française Meryl Streep », Camille Cottin est, comme son illustre consœur, l’une des rares actrices capables de tout jouer avec la même apparente aisance. Passer avec une grâce identique du personnage froissé par la vie à la star de la haute couture sur le tapis rouge ? Même pas peur ! Son statut actuel en est la meilleure preuve : dans le très réussi « Quelques jours pas plus » (en salles le 3 avril), elle est avocate volant au secours des réfugiés, en mai, elle incarnera la maîtresse de cérémonie pour le 77e Festival du cinéma. Cannes, sans oublier son rôle d’ambassadrice de Dior et Tiffany & Co. Le jour de notre rencontre, elle est en jean, élancée et souriante, sans autre maquillage que ses yeux, deux lacs verts qui semblent vous fixer au fond. âme. A 45 ans, on lui en donnerait une trentaine, d’autant qu’elle traverse les entretiens avec une concentration palpable, comme une étudiante soucieuse d’être précise, juste et complète dans ses réponses. Est-ce parce qu’elle a dû attendre quinze ans avant que sa carrière ne décolle ? Camille Cottin a gardé la fraîcheur d’une débutante, émerveillée d’entendre qu’on l’admire, ravie de parler des autres, pas du tout blasée. Cette femme est un cadeau, et pas seulement pour le journaliste assis en face d’elle.

ELLE. « Quelques jours pas plus », le premier long métrage de Julie Navarro, est un pari audacieux : traiter du sujet des réfugiés sur fond de comédie romantique, c’est gonflé…

Camille Cottin. C’est ce que j’ai aimé ! Il s’agit en fait à la fois d’un drame social et d’une comédie, mais aussi d’un « buddy movie », car l’amitié qui naît entre Arthur (Benjamin Biolay) et Daoud (Amrullah Safi), le jeune Afghan qu’il accepte d’accueillir « quelques jours plus rien » est l’un des fils conducteurs de l’histoire. Je connaissais déjà Julie Navarro, qui est également directrice de casting, et j’ai aimé le ton, à la fois juste et sans jugement, qu’elle a choisi pour aborder un sujet qu’elle connaît d’autant mieux qu’elle est elle-même impliquée dans plusieurs causes.

ELLE. Est-ce qu’une de vos sœurs, Avril Besson, vous a convaincu de faire ce film ?

CC. Elle accueille en effet depuis longtemps des réfugiés chez elle, via l’association Utopia 56, qui place des familles chez des bénévoles le temps d’une nuit, le temps qu’elles reprennent leur souffle. Je me souviens de certains soirs, très tard, au téléphone, Avril me disait « je raccroche, j’ai une maman et ses enfants qui arrivent ». J’ai une grande admiration pour elle et je lui ai tout de suite fait lire le scénario : son enthousiasme m’a rassuré dans ce choix.

ELLE. Votre personnage, Mathilde, a quitté son métier d’avocate pour travailler dans une association…

CC Pour le comprendre, j’ai rencontré des avocats spécialisés en droit d’asile, ainsi que des dirigeants d’associations comme Vestiaire Solidarités Saint-Bernard. Leur ténacité force le respect ! Sur le plateau, il y avait des comédiens et aussi de « vraies » personnes, des réfugiés ou des bénévoles comme Judith Comolet et Lola Benoit, qui se sont révélées être des actrices fantastiques et m’ont beaucoup aidé à construire mon personnage.

ELLE. Lorsqu’elle rencontre Arthur, Mathilde semble au bord de la rupture…

CC Il y a quelque chose, elle a l’impression de mettre des pansements sur des hémorragies ! J’aime qu’on découvre cet univers à travers le regard d’Arthur-Benjamin Biolay, brillant mélange de nonchalance et d’humanité dans le film : il incarne le spectateur extérieur, qui deviendra malgré lui un héros… enfin « grâce » à Mathilde et bien sûr à Daoud. Daoud est un véritable cuisinier dans la vie et il a fui l’Afghanistan après l’arrivée des talibans. Lorsque Julie Navarro l’a choisi, il ne parlait pas du tout français. C’était très émouvant de jouer avec lui, il est impressionnant.

ELLE. Face à l’injustice, vous sentez-vous plus en colère ou dépassé ?

CC Aujourd’hui, je suis complètement dévasté. Le contexte politique est désastreux, notre impuissance est accablante. Quant à la colère… c’est une émotion que j’ai appris à mieux contrôler avec le temps. Je sais désormais retarder : quand je sens que ça empire, j’attends vingt-quatre heures avant de verbaliser ce que je ressens. Mes propos sont alors plus justes, plus précis. J’ai aussi un petit exercice pour « redescendre » : j’appuie sur mon plexus solaire et je respire profondément trois fois.

ELLE. Et il fonctionne ?

CC Un peu ! [Rires.] Mais, au fond, je ne pense pas que la colère soit forcément négative, c’est plutôt la façon dont on l’exprime qui peut poser problème.

ELLE. À votre avis, qui vous connaît le mieux ?

CC Sans hésitation, mon homme ! Désolé… mon fiancé, c’est plus doux. Après presque vingt ans de vie commune et deux enfants, il sait d’un seul regard ce que je ressens ou comment j’interprète les choses. En même temps, il y aura toujours une part de l’autre qui nous échappe et qui est si précieuse. Nous nous connaissons sans nous appartenir.

ELLE. Vos enfants ont aujourd’hui 13 et 8 ans, comment perçoivent-ils votre travail ?

CC En grandissant, ils s’y intéressent davantage, on en parle un peu plus souvent. Après avoir vu « Toni en famille » [dans lequel elle joue une mère au foyer qui élève cinq ados, ndlr], mon fils m’a dit : “Ça me donne envie d’être plus gentil avec toi !” » [Rires.] Et l’autre jour, ma fille de 8 ans est rentrée toute excitée : « Maman, je t’ai vu sur une affiche ! Tu étais complètement blanc ! Oui, oui, je suis sûr que c’était toi, ça s’appelle “L’Empire” [film de Bruno Dumont sorti fin février] ! » Maintenant, ils me posent davantage de questions. Et j’aime discuter avec eux du film ou de la préparation du rôle. Mon travail peut m’éloigner de chez moi, je pense qu’il est important de partager les raisons de mon départ. Mais cela ne les impressionne pas beaucoup, ils posent deux questions et passent à autre chose.

ELLE. Et vous, quels sont les acteurs qui vous ont le plus impressionné ?

CC Il y en a tellement! Entre comédiens, il y a quelque chose de collégial, on se regarde tous avec attention, et le plus souvent avec tendresse. Nous sommes une équipe et j’adore ça. Forcément, travailler avec Marion Cotillard, Matt Damon ou encore Helen Mirren est magique. Mais, récemment, l’actrice qui m’a laissé sans voix est la petite Lilou Siauvaud, ma fille dans « Stillwater ». Et bien sûr Amrullah Safi, qui m’a bouleversé du premier au dernier jour de tournage.

ELLE. Vous passez du drame à la comédie, parfois les deux à la fois… Certains rôles vous effraient a priori ?

CC C’est assez rare que je me dise « ça va être facile ». Je n’arrive pas sur un tournage en découvrant le grand jour pour privilégier la fraîcheur, ce qui est une démarche tout à fait possible. Je viens du théâtre, où le temps de répétition est toujours long. Avoir travaillé en amont me permet de retrouver une forme de liberté. J’adore faire des tests, essayer plein de choses, faire des suggestions au réalisateur, au risque de me tromper un peu !

ELLE. Vous avez dit un jour que vous vous sentiez comme un « athlète émotionnel »…

CC J’ai évoqué une phrase que j’aime beaucoup d’Antonin Artaud, parlant de l’acteur de théâtre, qu’il définit comme un athlète de cœur. Mais je crois que j’ai mal compris ! [Rires.] Il disait que passer d’une émotion à une autre était une sorte de performance qui s’appuie sur le corps, je l’ai interprété comme le fait que c’est à travers le corps que les émotions peuvent passer.

ELLE. Jouer un monstre vous tenterait-il ?

CC Cela dépend du contexte. Simone Signoret a déclaré qu’elle préférait jouer un nazi dans un film qui les dénonce plutôt qu’une bonne mère dans un film de propagande SS ! Sandra Hüller a refusé ces rôles jusqu’au jour où Jonathan Glazer lui a proposé « La Zone d’intérêt »… Impossible de dire non à un film aussi fort, mais, pour garder ses distances, elle explique qu’elle n’a rien donné d’elle-même à son personnage. Aucune émotion, aucune lumière, rien. Et c’est super ! J’ai déjà joué des monstres : la mère dans « Les Éblouis » de Sarah Suco, et dernièrement un chasseur d’esclaves, dans « Ni chaînes ni maîtres ». [en salle en septembre]. La question de l’humanité donnée à son personnage est complexe.

ELLE. Plus que pour les personnages de comédie ?

CC Pas nécessairement. Nous avons aussi une responsabilité envers le public : pour moi, le rire est une forme de tendresse en réponse à l’absurdité de l’existence. Il peut y avoir quelque chose de tragique dans les comédies, les personnages sont parfois persuadés de vivre une tragédie.

ELLE. Que pouvons-nous vous souhaiter pour l’avenir ?

CC. A part mettre fin aux guerres, aux dictatures et à la montée de l’extrême droite ? J’aimerais vraiment… Je n’ai pas moins ri ! Oui, ça y est, continuer à rire, et aussi danser de temps en temps, c’est ce qu’on peut se souhaiter, collectivement… avoir de l’espoir.

“Quelques jours pas plus”, de Julie Navarro. En salles le 3 avril.

 
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