quand les troubles mentaux gagnent du terrain

Pauvreté, sans-abrisme, consommation de drogues, les causes d’un état mental perturbé peuvent être multiples et cette situation a un impact direct sur le nombre de personnes atteintes de troubles mentaux. Et évidemment, ce nombre continue d’augmenter dans le secteur Maskinongé.

Quiconque a suivi l’enquête publique du coroner sur la mort du sergent Breau et d’Isaac Brouillard-Lessard est bien conscient de cette évolution. Plusieurs policiers de la Sûreté du Québec du poste de Louiseville ont indiqué qu’ils traitaient davantage d’appels pour des dossiers de santé mentale au cours des dernières années.

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Le sergent Maureen Breau a perdu la vie il y a un an dans l’exercice de ses fonctions.

La situation n’est évidemment pas exclusive à ce territoire. Mais dans un petit territoire comme Louiseville, théâtre du drame, des personnes aux comportements inhabituels passent inaperçues et suscitent une certaine inquiétude au sein de la population.

« Il y a une augmentation d’année en année des dossiers ouverts avec le code d’activité E425, état mental perturbé. Pour l’ensemble de la MRC de Maskinongé, en 2021, nous avons eu 131 dossiers rédigés pour le E425, 158 en 2022 et 180 en 2023. Je n’inclus que les cas du E425, état mental perturbé. Cela n’inclut pas les tentatives de suicide, l’assistance au public ou quoi que ce soit d’autre.

— Julie Grimard, sergent et chef du commissariat de la SQ de Louiseville, lors de son témoignage donné à l’enquête publique sur les décès de Maureen Breau et Isaac Brouillard-Lessard

Le Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec constate une hausse des demandes de services en santé mentale sur l’ensemble de son territoire. En 2023, les équipes de crise ont dû faire face à une augmentation de 1 000 interventions sur le terrain par rapport à avant la pandémie.

Pour le seul secteur Maskinongé, 432 demandes de services en santé mentale ont été faites en 2023. Ce nombre était de 412 en 2022 et de 337 en 2021. Cela représente une augmentation de plus de 28 % de 2021 à 2023.

Cela fera bientôt 26 ans que Patrice Duhaime arpentait les rues de Louiseville comme travailleur de rue. Son constat est clair : il y a de plus en plus de personnes aux prises avec un problème de santé mentale.

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Patrice Duhaime est directeur des travaux communautaires de rue pour la MRC de Maskinongé. (Stéphane Lessard/Le Nouvelliste)

« Il ne faut pas oublier que la santé mentale est vaste. Cela peut aller d’une personne vivant une période de dépression à la schizophrénie en passant par la psychose toxique. Mais c’est évident que ça augmente», commente le directeur des travaux communautaires de rue de la MRC de Maskinongé. [T.Rue.C.].

Depuis 2018, Sandra Plante exploite un salon de manucure situé au rez-de-chaussée de l’immeuble où Maureen Breau a été assassinée par Isaac Brouillard-Lessard avant que ce dernier ne soit abattu par deux policiers. Elle se dit tout à fait d’accord avec le constat des policiers et de M. Duhaime : le nombre de personnes atteintes de troubles mentaux est plus grand.

« Je les vois passer devant mon commerce. C’est incroyable depuis deux bonnes années. Plus les choses vont mal, plus on voit les gens se parler à eux-mêmes. J’en ai un qui passe ses journées devant mon entreprise à crier et à hurler. Il jure, il dit des choses incompréhensibles, c’est n’importe quoi. Parfois, il vient dans mon entreprise. Il dit beaucoup de bêtises et me souhaite une bonne journée !

— Sandra Plante, propriétaire du bar à ongles Sari

Selon Mme Plante, cet individu et tous les autres ne constituent aucunement une menace pour les gens. La grande majorité des personnes souffrant de troubles mentaux ne sont pas violentes. Mais elle craint l’imprévisibilité de cet homme, tout comme certains de ses clients.

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Sandra Plante, propriétaire du bar à ongles Sari à Louiseville. (Stéphane Lessard/Le Nouvelliste)

C’est ce qui l’a poussée à demander à la Ville de Louiseville de retirer le banc public situé devant son commerce, étant donné que l’individu y passait une bonne partie de ses journées. La Ville a retiré le banc le 15 mars.

« Les clients pensent qu’il s’agit d’une bombe à retardement. J’accompagnais les clients jusqu’à leur voiture», explique Mme Plante, précisant toutefois que la situation n’a pas eu d’impact négatif sur son entreprise.

Yvon Deshaies confirme avoir donné l’ordre de retirer le banc public afin que l’entreprise puisse retrouver un peu de tranquillité. Des concitoyens l’appellent au bureau municipal pour lui faire part de leur peur de marcher le soir, témoigne-t-il.

>>>Le maire de Louiseville, Yvon Deshaies, a témoigné à l'enquête publique de la coroner Géhane Kamel sur les décès du sergent Maureen Breau et d'Isaac Brouillard-Lessard.>>>

Le maire de Louiseville, Yvon Deshaies, a témoigné à l’enquête publique de la coroner Géhane Kamel sur les décès du sergent Maureen Breau et d’Isaac Brouillard-Lessard. (Stéphane Lessard/Archives, Le Nouvelliste)

« Ils ont peur de telle ou telle personne. Il crie. La police va le voir, il est très calme. Mais dès que la police est partie, il se remet à crier. Qu’est-ce qu’on fait ?… Le samedi, j’ai des gens avec [des problèmes de] santé mentale qui viennent parler à mon bureau. Nous prenons un café. Ils crient, ils me posent des questions et à un moment, pouf ! Ils s’en vont ! Que dois-je faire? Appeler la police? Et bien non. Ça leur fait du bien… Ce n’est pas normal. C’est toi emploi d’un maire ?

— Yvon Deshaies, maire de Louiseville

Interviewée au lendemain du drame du 27 mars 2023, Christine Pépin affirmait observer sur le terrain plus de cas de santé mentale que cinq ans auparavant.

Depuis, douze mois se sont écoulés. Son avis est le même.

« C’est sûr qu’il y a de plus en plus de cas de santé mentale », affirme sans détour Mme Pépin, présidente de l’Avenue Libre du Bassin de Maskinongé, un organisme offrant des services d’intervention aux personnes. aux prises avec des troubles mentaux.

Selon la directrice générale de l’organisme, Annie Lessard, l’Avenue Libre accueille de plus en plus de nouveaux usagers dans la trentaine, soit une clientèle plus jeune.

« Les gens sont plus vulnérables. La paupérisation, la difficulté d’accéder aux soins, la pandémie qui n’a rien arrangé, voilà un ensemble de facteurs. La santé mentale de la population ne s’est pas améliorée.

— Annie Lessard, directrice générale de l’Avenue Libre du Bassin de Maskinongé

Pour Patrice Duhaime, certaines personnes ont vécu avec beaucoup de difficulté les mesures d’isolement imposées pendant la pandémie. Il souligne également que la pauvreté est un facteur pouvant conduire à un problème de santé mentale.

« Il est difficile de savoir pourquoi il y a une augmentation. Mais je pense qu’il y a un lien avec la pauvreté, c’est sûr. La pauvreté cause beaucoup de problèmes.

Solutions

Le niveau de formation des personnes impliquées a été longuement discuté lors de l’enquête publique par la coroner Géhane Kamel. Selon Annie Lessard, c’est un aspect sur lequel il faut travailler, tout comme l’accès aux services et l’amélioration de la communication entre les intervenants.

« Nous devons mieux financer les ressources en santé mentale. Il existe de nombreux organismes communautaires qui œuvrent pour les personnes ayant des problèmes de santé mentale et pour leur entourage », soutient le DG de l’Avenue Libre.

En tant que travailleur de rue, Patrice Duhaime est en première ligne d’intervention. Il estime qu’en tant que société, un jour ou l’autre, nous devrons nous remettre davantage en question pour améliorer les choses.

« Nous sommes à une époque où nous éteignons les incendies. C’est correct. Dans le travail de rue, nous éteignons les incendies. Les gens sont autorisés à ventiler le trop-plein. Mais nous avons du chemin à parcourir. Il faut avoir le réflexe dans notre société de voir le problème à sa Source, sinon on mettra pansements sur les plaies. Les problèmes de santé mentale ont toujours existé. Comment se fait-il qu’il y ait une augmentation ? Le monde est-il en train de basculer ? Nous ne devons pas avoir peur des réponses que nous pourrions trouver.

M. Duhaime donne en exemple le mode de vie axé sur la performance. Rien que dans notre entourage, nous pouvons trouver des personnes qui vivent ou ont vécu un burn-out professionnel.

« Les gens doivent-ils travailler davantage parce qu’ils sont plus pauvres ? Parce qu’ils sont accros au travail ? À cause d’objectifs de performance ? Il y a des gens qui ont des modes de vie qui ne favorisent pas le bien-être. Les gens sont stressés, préoccupés par toutes sortes de choses et pas très en forme mentalement.

— Patrice Duhaime, directeur des travaux communautaires de rue pour la MRC de Maskinongé

« Il y a une fragilité, poursuit l’intervenant de rue. « Vivre un rythme de vie qui n’est pas très bon, mais qu’on semble favoriser avec la grande cabane. Le gars est endetté. Les problèmes de jeu sont en augmentation. Et on voit de plus en plus de personnes s’inquiéter pour leurs proches qui ont un problème de santé mentale. Cela fait partie du quotidien. »

Un cadrage plus serré

Yvon Deshaies maintient sa position depuis le début de cette triste histoire. Il souhaite un meilleur soutien aux personnes souffrant de problèmes mentaux, en particulier celles relevant de la Commission d’examen des troubles mentaux. [CETM].

Isaac Brouillard-Lessard a été déclaré non criminellement responsable de troubles mentaux à cinq reprises, insiste-t-il avec la vigueur qu’on lui connaît.

“Cinq fois! Et il était toujours libre. Il y a un manque. On blâme parfois la police. Non! C’est au sommet. Les psychiatres qui l’ont laissé partir, une psychiatre qui disait avoir peur de lui… Un instant, allumez-vous ! Ils l’ont perdu de vue.

Le CIUSSS régional a refusé la demande d’entrevue de Rédacteur de nouvellesdisant appuyer sa décision par respect pour l’approche du Bureau du coroner concernant les décès de Maureen Breau et d’Isaac Brouillard-Lessard.

Toutefois, le CIUSSS rappelle que le réseau offre au sein du réseau local de services de Maskinongé différents services pour les dossiers psychosociaux. [anxiété, rupture amoureuse, idées suicidaires] et pour la dépendance. Services spécifiques en santé mentale, soutien d’intensité variable [SIV] et un soutien intensif dans la communauté [SIM] sont disponibles, tout comme le service pour les personnes souffrant d’un trouble de l’alimentation.

Une équipe de crise sur le terrain est disponible en tout temps, tout comme une travailleuse sociale qui vient de se joindre au poste de Louiseville de la Sûreté du Québec.

 
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