« Nous nous rendrons compte que le coût du nouveau nucléaire est insupportable pour les finances publiques »

Dans son livre « Nucléaire contre énergies renouvelables », Michel Allé appelle à un retour à la raison dans le débat énergétique. Pour lui, les faits plaident en faveur d’une accélération des énergies renouvelables, de l’efficacité énergétique et de l’extension de l’énergie nucléaire existante. La nouvelle énergie nucléaire n’est pas encore mature.

A travers ses fonctions de directeur financier de Brussels Airport (2001-2005) et de la SNCB (2005-2015), Michel Allé a eu le temps de voir la question énergétique prendre progressivement du terrain dans les préoccupations des entreprises. Aujourd’hui administrateur chez D’Ieteren et Elia, c’est avec sa casquette académique qu’il présente son livre « Le nucléaire contre les énergies renouvelables », publié par l’Académie Royale de Belgique.

Parallèlement à sa carrière de manager, Michel Allé a longtemps enseigné l’économie à la Solvay Brussels School et à l’École Polytechnique de l’ULB. Aujourd’hui professeur honoraire, il appelle à «mettre fin à la guerre des religions entre partisans du nucléaire et des énergies renouvelables« . Une fracture qu’il juge « archaïque », qui pollue depuis trop longtemps le débat public et biaise les décisions politiques.

Pour réussir la transition énergétique, vous arrivez à la conclusion que la priorité est d’accélérer les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique tout en développant autant que possible le nucléaire. Est-ce correct?

C’est un bon résumé. Avec la tertiarisation, le poids de l’industrie dans l’économie mondiale est moins important que par le passé. Et si l’on ajoute à ce constat le progrès technologique, on constate que l’efficacité énergétique progresse de plus en plus vite. Le deuxième pilier de la transition est la décarbonation de l’énergie. Et aujourd’hui, cela concerne principalement les nouvelles énergies renouvelables : l’éolien, le solaire et accessoirement la biomasse.

Leurs caractéristiques sont d’être relativement simples technologiquement et rapides à mettre en œuvre. Ils sont également devenus peu coûteux, tant en termes d’investissement que de production. L’énergie nucléaire, en revanche, est une industrie très complexe et coûteuse dont les coûts n’ont cessé d’augmenter. Je pense que même si nous faisions de gros efforts maintenant, nous ne serions pas en mesure de déployer massivement l’énergie nucléaire avant 2040.. Enfin, il est essentiel que nous changions de comportement sinon nous y serons contraints par les événements. La sobriété n’est pas une punition. Les punis sont ceux qui souffrent déjà du changement climatique.


« Le coût actuel de l’énergie nucléaire est disproportionné par rapport au coût des énergies renouvelables. »

Pourtant, l’énergie nucléaire fait son grand retour dans les politiques énergétiques. Comment éviter de tomber dans le « quoi qu’il en coûte », comme vous l’écrivez, face au réchauffement climatique, à la désindustrialisation, à la souveraineté, auxquels le nucléaire veut apporter une réponse ?

Il est nécessaire de différencier les nouvelles capacités nucléaires de celles existantes. Concernant le nucléaire existant, je pense qu’il faut prolonger la durée de vie des unités efficaces, à condition que cela se fasse à un coût raisonnable et avec toutes les garanties en termes de sûreté et de sécurité. La bonne décision est à la fois d’accélérer les énergies renouvelables et d’étendre raisonnablement l’énergie nucléaire.

Quant au nucléaire du futur, nous devons analyser notre conscience. Son coût actuel est disproportionné par rapport au coût des énergies renouvelables. Les délais de construction sont également plus longs que prévu. Cela concerne tous les sites EPR en Europe mais pas seulement. Aux États-Unis, le réacteur AP1000 de Westinghouse a connu les mêmes problèmes de budget et de délais. Même en Chine, où les permis sont sans doute plus faciles à obtenir, où l’organisation est plus militaire et où les économies d’échelle sont permises par de grands programmes, les coûts sont plus élevés que prévu.


« Les seules sources qui peuvent aujourd’hui fournir de l’énergie électrique bien en dessous de 100 euros le MWh sont les nouvelles énergies renouvelables. »

Pour vous, le nouveau nucléaire ne tient pas la route économiquement ?

La condition pour que le nucléaire en Europe soit massivement subventionné par les Etats. Pour construire ses six nouveaux EPR, la France envisage des subventions de 50 % et EDF demande au gouvernement de couvrir en partie les risques de surcoûts. Il s’agit de rester lucide. La non-compétitivité économique du nucléaire fait que la subvention est une condition sine qua non à de nouveaux projets. Doit-il vraiment être une priorité dans nos dépenses publiques ? Je pense qu’il faut accorder une plus grande priorité aux formes d’énergie qui ne nécessitent plus ou très peu de subventions.

Vous calculez que les nouveaux projets nucléaires ne pourront pas proposer d’électricité en dessous de 100 euros le MWh. L’industrie plaide cependant sa cause. A-t-elle tort ?

Ces attentes sont complètement irréalistes. L’industrie a raison d’exiger un prix de l’électricité compétitif, mais les seules sources qui peuvent aujourd’hui fournir une énergie électrique bien en dessous de 100 euros le MWh – je dirais plutôt autour de 50 à 60 euros – sont les nouvelles énergies renouvelables. Et ceux qui prétendent que l’énergie nucléaire pourrait le faire, et sans aucune subvention, ne racontent pas l’histoire.


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©Kristof Vadino

Qu’en est-il des petits réacteurs modulaires (SMR) ?

Le réalisme oblige à dire que la maturité technologique n’est pas au rendez-vous et qu’il faudra attendre une bonne dizaine d’années avant que ce soit le cas. Et puis, entre maturité technologique et maturité économique, il y aura encore un fameux chemin. Ce sont des solutions pour 2040. Cela dit, il faut sans doute poursuivre la recherche. Il y a beaucoup de projets pour la prochaine génération (la quatrième, NDLR), ce qui est intéressant. Peut-être que d’ici 2040, des technologies et un secteur industriel complémentaires aux énergies renouvelables émergeront.qui dominera alors le marché de la production électrique.


« Il faut espérer que les décisions futures seront fondées sur des calculs honnêtes et transparents des coûts du système. »

Dans votre livre, vous démontrez que les énergies renouvelables n’ont réussi qu’à s’accumuler sur d’autres sources, et non à réduire les combustibles fossiles. Comment aller là?

Jusqu’à présent, toutes les énergies se sont accumulées les unes sur les autres. Certes, il y a eu ici un déclin du charbon, mais il a progressé en même temps en Chine et en Inde. À ce jour, l’utilisation mondiale de combustibles fossiles a continué d’augmenter et les émissions de CO2 avec.

La bonne nouvelle est que cette augmentation est devenue très faible, ce qui implique que ce sont désormais les énergies décarbonées qui sont désormais responsables de l’essentiel de cette augmentation. Et je suis modérément optimiste quant à leur capacité à repousser le charbon, le pétrole et le gaz, car la véritable explosion des nouvelles énergies renouvelables est survenue après 2015. Tout s’est passé très rapidement. Et aujourd’hui, le coût est si bas que de nombreux investissements dans les nouvelles énergies renouvelables n’ont pas besoin de subventions..

Les « ayatollahs pro-nucléaire », comme vous les appelez, vous répondront que les investissements nécessaires pour accueillir les énergies renouvelables sont au moins aussi importants que ceux du nouveau nucléaire… Comment, là aussi, éviter le « quoi qu’il en coûte » ?

Les ayatollahs oublient que, lorsque nous avons construit Doel et Tihange, nous avons aussi investi massivement dans le réseau électrique. Ce qu’il faut, c’est une analyse des coûts du système énergétique dans son ensemble.. Il est essentiel de savoir combien investir pour la production, mais aussi pour le transport et la distribution, ainsi que pour le stockage. Il faut espérer que les décisions futures seront fondées sur des calculs honnêtes et transparents des coûts du système..

Je pense qu’ils montreront que, bien sûr, les coûts de réseau augmenteront dans le coût total, mais ils mettront l’accent sur le rôle prépondérant de la flexibilité de la demande, qui ne coûte pas grand-chose. C’est là que réside le véritable changement de paradigme. Nous entrons dans un système électrique où la demande deviendra de plus en plus maîtrisable et l’offre de moins en moins, car plus variable avec l’émergence des énergies renouvelables. Mais nous savons déjà que cela fonctionne. Il n’y a pas de panne d’électricité.

Le 100% renouvelable est-il une stratégie crédible pour la Belgique ?

Je pense que lorsque nous serons confrontés aux prochaines grandes décisions, nous nous rendrons compte que le coût de la nouvelle énergie nucléaire est insupportable pour les finances publiques. Ce n’est qu’à ce moment-là que le débat prendra une autre tournure que celle dictée par les discussions théoriques que nous entendons aujourd’hui sur le nombre de centrales électriques à construire. Il faut avoir suffisamment d’ouverture d’esprit pour sortir des vieux schémas.


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Nucléaire versus énergies renouvelables – Pour mettre fin à la guerre des religions, Michel Allé, Editions de l’Académie royale de Belgique, 213 p., 9 euros.

L’atome à la fête ce jeudi à Bruxelles

Ce jeudi, Bruxelles deviendra la capitale nucléaire pour une sommet international organisé par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AEIA). Une vingtaine de chefs d’Etat, une trentaine de délégations nationales et plus de 300 représentations industrielles seront accueillis au pied de l’Atomium, symbole évident, par le Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld) pour une photo de famille, preuve du renouveau du secteur.

Même s’il ne fait guère de doute qu’il se réjouit à l’idée de ce coup de projecteur, le Premier ministre devra jongler entre la politique de son gouvernement sur l’atome – pour l’instant la prolongation pour dix ans de deux réacteurs et un programme de recherche pour les petits réacteurs du futur (SMR de quatrième génération) — et le programme de son parti, qui prône la construction de nouvelles centrales électriques.

De plus, contrairement au Sommet de la mer du Nord organisé l’année dernière à Ostende en l’honneur de l’énergie éolienne offshore, aucune déclaration commune des États n’est attendue. Au minimum, le sommet nucléaire cherchera à illustrer le changement d’opinion publique concernant le rôle de l’atome dans la lutte contre le réchauffement climatique.

Contre-soirée

En parallèle du sommet international, se tiendra au même moment un « contre-sommet », organisé par Bond Beter Leefmilieu en partenariat avec Canopea et Greenpeace. Baptisé «Pourquoi le nucléaire ne sauvera pas le climat», il abordera les nouvelles annonces et les récents programmes nationaux qui ont amorcé la renaissance de l’atome.

Ces dernières semaines, le « contre-sommet » a surtout retenu l’attention parce qu’il compte parmi ses intervenants Tinne Van der Straeten (Groen), ministre fédérale de l’Énergie. “La ministre sera présente aux deux événements pour présenter sa politique énergétique sans tabous», explique le cabinet. Loin de provoquer un incident diplomatique, la participation du ministre a surtout déclenché une micro polémique dans le microcosme nucléaire belge.

Expressions-clés

  • « Même si nous commencions à le faire maintenant, nous ne pourrons pas déployer massivement le nucléaire avant 2040
  • « La bonne décision est à la fois pour accélérer les énergies renouvelables et pour étendre raisonnablement l’énergie nucléaire
  • « La non-compétitivité économique du nucléaire signifie que la subvention est une condition sine qua non à de nouveaux projets
  • « Les seules sources qui peuvent aujourd’hui fournir de l’énergie électrique bbien en dessous de 100 euros par MWh sont les nouvelles énergies renouvelables
  • « Il faut espérer que les décisions futures seront fondées sur calculs des coûts du système énergétique fait de manière honnête et transparente »
 
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