Viola Amherd, conseillère fédérale chargée de la Défense.Image : Watson
Avec Donald Trump de nouveau à la tête des États-Unis et Elon Musk dans son équipe, l’espace connaît un soudain regain d’intérêt à travers le monde. Et l’armée suisse veut elle aussi faire sa place dans les étoiles.
Othmar von Matt / ch médias
À première vue, le smartphone ressemble à un Samsung tout à fait ordinaire : plat, carré, avec un cerclage noir et cinq lentilles au dos. Il y a aussi un stylet. Mais à y regarder de plus près, la machine laisse perplexe. On découvre une boîte email sécurisée, un navigateur sécurisé, des SMS sécurisés, un système d’exploitation Android privé, une intelligence artificielle propre appelée Lasa et même un App Store séparé.
Le smartphone Guardian peut également se connecter à un réseau satellite.Image : Ruag MRO
Derrière cet ordinateur portable se trouve Ruag MRO, l’entreprise d’armement et prestataire technique de l’armée suisse. Elle l’a développé en étroite collaboration avec Wisekey, une entreprise genevoise spécialisée dans la cybersécurité.
«Contrôle total sur les appareils »
Guardian, c’est son nom, s’inspire d’un modèle produit en série et équipé du système d’exploitation Android. Il a subi un traitement approfondi pour le sécuriser. Selon la porte-parole de Ruag, Kirsten Hammerich :
“Nous avons supprimé tous les éléments qui ne peuvent pas être vérifiés, n’impliquent pas d’exigences de productivité, n’établissent pas de connexion avec des tiers ou n’envoient pas de données à des tiers.”
Si un client demande une fonctionnalité particulière, il l’obtiendra via des alternatives autogérées. « afin de garantir un contrôle total sur les appareils ». Personne ne devrait pouvoir pirater le smartphone, conçu pour répondre au classement « confidentiel » de l’armée.
Pour l’instant, Guardian reste en phase de prototype et de test. Selon le calendrier de l’entreprise, il deviendra le cœur de la communication sécurisée pour l’armée, la police, les autorités, les gardes-frontières, les pompiers, les services de santé, la protection civile et les autorités en Suisse.
L’armée suisse prévoit aller dans l’espace
Le nouvel appareil peut non seulement se connecter à la 5G, mais également à un réseau de satellites. “Guardian est un élément constitutif d’un éventuel concept mondial de communications par satellite.”
Les satellites, désormais un point crucial pour l’armée suisse. Elle envisage en effet d’aller dans l’espace et travaille sur un document de base qui devrait être publié prochainement. Sur le plan opérationnel, elle souhaite créer un commandement « Espace », analogue au commandement « Cyber ».
Pour cela, les satellites sont essentiels. La ministre de la Défense Viola Amherd le sait, tout comme l’ensemble du Conseil fédéral. Le rapport Capacités de Défense et Coopération datant de fin janvier 2024 ne dit rien d’autre :
“Aujourd’hui, presque tous les systèmes militaires complexes de positionnement, de synchronisation temporelle, de communication, de reconnaissance ou de prévision météorologique dépendent des satellites.”
Ceux-ci ont grandi et diminué « à toute vitesse ». Conséquence : ils deviennent accessibles aux petits pays comme la Suisse – « parce que les prix baissent ».
Des coûts en chute libre
On assiste effectivement à une démocratisation de ces systèmes. Alors que le développement d’un modèle coûtait encore 20 millions il y a quelques années, il ne coûte aujourd’hui que 300 000 francs, explique Carlos Creus Moreira, fondateur et PDG de Wisekey. L’entreprise fabrique également depuis trois ans des satellites à travers Wisesat et la société espagnole Fossa. Dans deux ans, cela descendra même à 60’000 francsselon lui. Il ajoute :
« Avec des conteneurs dix fois plus grands, le projet de fusée Starship peut transporter beaucoup plus de satellites. Cela réduit les coûts »
Cette démocratisation profite à la Confédération. En coulisses, Ruag MRO, l’armée, l’Office fédéral de l’armement (Armasuisse) et – en étroite collaboration – l’entreprise privée Wisekey travaillent actuellement sur le sujet.
Le satellite développé par Wisesat et Fossa pour le compte de Wisekey et de l’armée suisse. Il sera lancé en orbite terrestre basse par SpaceX le 16 janvier en Californie.Image : Wisekey
En ligne de mire : la création d’une constellation de satellites souverains. C’est ce qui ressort de la brochure publiée en septembre par Ruag sur le système national de communication mobile de sécurité MSK. Il doit remplacer Polycom d’ici 2030, un réseau radio à bout de souffle. Il couvre l’ensemble du territoire.
Une enquête montre que Ruag et l’armée prévoient de placer un maximum de 40 petites embarcations en orbite terrestre basse. L’armée répondrait ainsi aux principaux besoins auxquels elle est confrontée : reconnaissance et surveillance, communication complémentaire par satellite à haut débit, géolocalisation continue et très détaillée. Les systèmes militaires et les armes de précision en dépendent en effet de plus en plus.
Selon son porte-parole, Ruag ne peut pas encore donner d’informations concrètes sur la question. Une chose est sûre cependant : Ruag et l’armée considèrent le projet MSK comme un tremplin idéal vers l’espace. Dans sa brochure, le constructeur évoque « un système satellite pour remplacer l’infrastructure terrestre de Polycom ». Cela s’avérerait « nettement moins cher, plus efficace et plus fiable ».
L’armée, de son côté, étudie « une capacité de télécommunications spatiales sur mesure pour remplacer les systèmes terrestres dans toutes les situations ». Des études et des tests sont en cours pour créer des bases de décision. Le Groupe de Défense écrit :
« Si ce travail aboutit à une voie réalisable, nous envisagerons de proposer au Parlement un premier développement capacitaire dans le message Armée 2026. »
Celui-ci teste les connexions directes entre les smartphones et les satellites en orbite terrestre basse. Les résultats paraîtront dans une étude qu’Armasuisse prépare en parallèle.
Différences de point de vue
Le Conseil fédéral entend consacrer 2,9 milliards de francs au projet MSK. « Reste à déterminer quelle part de cette somme reviendrait au secteur spatial »déclare la conseillère nationale du Centre Isabelle Chappuis (VD), très intéressée par la thématique. Selon elle, le rapport explicatif du Conseil fédéral sur le MSK prévoit également une collaboration avec des fournisseurs et éventuellement des communications spatiales militaires.
Toutefois, l’orientation à donner au projet serait débattue. L’Office fédéral de la protection de la population, compétent en la matière, confirme que la technologie satellitaire est certainement une option. Mais actuellement, c’est une variante sans satellites qui occupe le centre des discussions.
Il semblerait toutefois que les nombreux partis et organismes ayant participé à la consultation, qui a duré jusqu’au 24 octobre, ne partagent pas cette vision. Ils souhaitent l’intégration immédiate des communications par satellite.
Un duo ici changeur de jeu
La Vaudoise y est également favorable :
«La Suisse doit avancer avec son propre système, un véritable Swiss Stars System. Avec Donald Trump et Elon Musk à la Maison Blanche, nous pouvons nous attendre à ce que les activités spatiales mondiales deviennent très militaires à l’avenir.»
Isabelle Chappuis
Lors de son premier mandat en 2019, le républicain a créé la United States Space Force, la division spatiale des forces armées. Et Musk a installé les 6 697 satellites Starlink – de loin le plus grand réseau jamais créé.
«En tant que centre économique de premier plan, la Suisse doit disposer d’une constellation de satellites indépendante et souveraine»que ce soit pour les banques, l’industrie, la science ou l’armée, explique Carlos Moreira, fondateur de Wisekey.
« Si ces travaux débouchent sur une voie réalisable, nous envisagerons de proposer au Parlement un premier développement capacitaire dans le message sur l’armée 2026 »
Pas à son premier essai
Wisekey possède désormais sa propre constellation, créée de toutes pièces. Dix-sept satellites sont déjà en orbite et, à terme, le réseau devrait être au nombre de 105, comme le rapporte la RTS. Ils devraient orbiter autour de la Terre à une distance de 160 à 2 000 kilomètres. L’entreprise peut ainsi générer des images de la Suisse toutes les cinq minutes. Le convoi offre des applications sûres et bénéfiques pour les objets connectés dans l’agriculture ainsi que dans l’énergie et la logistique, explique Moreira. En revanche, il n’est actuellement pas possible de répondre aux besoins de l’armée.
Wisekey a néanmoins imaginé un satellite légèrement modifié qu’il soumettra à des tests militaires. Il est bleu et blanc et mesure 50 centimètres sur 20. Il est équipé de microprocesseurs de dernière génération capables de le défendre contre les attaques informatiques.
Son lancement est prévu le 16 janvier 2025 depuis la Californie. Les choses sérieuses peuvent alors commencer pour le smartphone Guardian – un test en temps réel avec un vrai satellite au-dessus de nos têtes.
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(Adaptation française : Valentine Zenker)
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