Le prix Nobel de chimie 2024 récompense les travaux de David Baker, professeur à l’université de Washington à Seattle, et ceux de Demis Hassabis et John Jumper, de DeepMind – une entité de Google connue du grand public pour le développement de logiciels informatiques. l’intelligence artificielle AlphaGo (qui a battu le champion du monde de go en 2017) puis AlphaFold.
En travaillant sur les protéines grâce à des outils informatiques, ces trois chercheurs ont permis de mieux comprendre ces molécules essentielles à la vie.
Le prix Nobel de chimie 2024 récompense deux avancées spectaculaires dans la science des protéines, des molécules qui jouent un rôle crucial dans les processus cellulaires. Ainsi, comprendre comment les protéines interagissent est essentiel pour dévoiler les mécanismes qui régissent la vie et pour faire la lumière sur la susceptibilité et la gravité des maladies à l’avenir, tout en facilitant le déchiffrement des liens entre les gènes, les maladies et les médicaments.
Les protéines sont des chaînes d’acides aminés qui se replient sur elles-mêmes. Ce qui est remarquable, c’est que la forme tridimensionnelle est codée dans la séquence d’acides aminés. Cela signifie que nous devrions être capables de prédire cette structure tridimensionnelle à partir de la seule séquence d’acides aminés. C’est tout l’intérêt du prédiction de la structure des protéines.
En revanche, une fois la structure connue, on peut se demander si on peut trouver une séquence qui la produit : c’est ce qu’on appelle le conception ou design de protéinesc’est-à-dire la création de protéines complètement nouvelles jamais vues dans la nature.
Ce prix Nobel met en lumière la puissance de la biologie computationnelle et les immenses possibilités qu’elle ouvre aux sciences de la vie dans les années à venir.
La contribution de David Baker : concevoir des protéines jamais vues dans la nature
Le problème de la conception des protéines a été résolu par David Baker en 2003, avec la création de protéines jamais observées auparavant. Son logiciel, Rosetta, permet de concevoir une séquence qui correspond à une structure donnée.
Depuis lors, David Baker a ouvert un nouveau monde de structures protéiques sans précédent. Pour lui, l’objectif était de comprendre comment « maîtriser » les structures protéiques grâce à la conception de protéines nouvelles et complexes, afin d’exploiter la nature à nos propres fins.
En combinant optimisation combinatoire, chimie et physique, Rosetta permet désormais aux scientifiques de concevoir des protéines aux formes et fonctions spectaculaires, jusqu’alors inconnues.
La contribution de Demis Hassabis et John Jumper : prédire la structure des protéines à partir de la séquence d’acides aminés
Demis Hassabis et John Jumper ont cherché à résoudre une question en suspens depuis des décennies : reconstruire une structure protéique à partir de sa séquence d’acides aminés. Ils ont réussi à déchiffrer le code protéique, permettant ainsi de prédire la structure de presque toutes les protéines naturelles non désordonnées.
En 2020, ils ont présenté AlphaFold2, qui a atteint une précision d’environ 90 % par rapport aux structures cristallographiques connues, en accord avec les erreurs expérimentales lors de la détermination de la structure.
Lire la suite : L’intelligence artificielle au défi de la conception de protéines : les acquis et les limites d’AlphaFold
Cette avancée spectaculaire ébranle le monde de la biologie : du jour au lendemain, la « bibliothèque de protéines » accessible aux chercheurs est passée de 200 000 structures cristallographiques à 200 millions de modèles AlphaFold2, quasiment identiques aux structures des cristaux !
Désormais, un biologiste, un virologue ou un médecin peut soumettre une séquence d’acides aminés à AlphaFold2 et obtenir instantanément sa structure tridimensionnelle. Cette visualisation précise de la position des atomes permet d’analyser les points vulnérables d’une protéine lors de ses interactions, ce qui peut être exploité pour concevoir des médicaments bloquant ces interactions. Elle permet également d’identifier les résidus sensibles aux mutations futures, ainsi que ceux impliqués dans les interactions avec de potentiels partenaires moléculaires.
Cela ouvre ainsi la voie à la découverte de facettes nouvelles, souvent inattendues, de la biologie d’un organisme, ainsi que des interactions entre différents organismes.
Un Nobel de chimie à la croisée de la biologie et de l’informatique
Ces deux avancées fondamentales pour la chimie et la biologie n’auraient pas été possibles sans la combinaison indispensable de plusieurs éléments : d’une part l’abondance des séquences protéiques disponibles dans nos bases de données et le grand nombre de structures cristallisées grâce aux travaux des biologistes expérimentaux, et d’autre part l’autre grâce aux progrès de l’intelligence artificielle qui permettent d’explorer d’immenses volumes de données et d’en déduire des informations complexes et de haute précision basées sur le deep learning et la technologie GPU.
Les prochaines étapes dans ce domaine complexe de la science des protéines consistent à déchiffrer leur fonction (c’est-à-dire comprendre ce qu’elles font lorsqu’elles interagissent), à explorer leur dynamique (c’est-à-dire la façon dont elles changent de forme au cours de ces interactions), à étudier comment les protéines non structurées – par exemple dont AlphaFold2 ne peut pas prédire la structure et qui représentent environ la moitié des protéines humaines – interagissent avec d’autres protéines ; et enfin, concevoir des protéines dotées de nouvelles fonctions, en cohérence avec les avancées que la biologie synthétique nous apportera dans les années à venir.
Ces quatre défis majeurs sont au cœur des recherches actuelles et leur résolution conduira à des avancées majeures en biologie.
A l’avenir, les deux avancées reconnues par le prix Nobel de chimie 2024 seront liées à ces nouvelles questions, permettant ainsi la reconstruction d’interactomes (réseaux d’interaction entre des milliers de molécules – dont des protéines – dans une cellule ou un tissu biologique) à grande échelle. échelle, qu’elle soit entièrement nouvelle ou naturelle, pour toute espèce, individu ou groupe d’organismes.
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