C’est un véritable coup de tonnerre dans le ciel politique belge. A Ranst, deux listes arrivées en tête aux élections communales du 13 octobre viennent de nouer une alliance avec le Vlaams Belang pour diriger cette commune située près d’Anvers. Ils ont ainsi brisé le « cordon sanitaire » qui bloquait depuis 1989 l’accès au pouvoir de l’extrême droite en la repoussant systématiquement dans l’opposition.
Le Vlaams Belang gouvernera donc Ranst en coalition avec les listes locales PIT et Vrij Ranst. Avec ses trois sièges, il constituera le plus petit parti de la nouvelle coalition, mais comprendra un échevin. “Nous sommes extrêmement heureux de pouvoir jouer ce rôle de pionnier avec le Vlaams Belang à Ranst”, a déclaré la chef de la branche locale du parti d’extrême droite Christel Engelen.
Un homme est pointé du doigt : Bart Goris, leader de la liste PIT (qui comprend des membres du parti chrétien-démocrate CD&V), a amené le loup dans le giron. Pour devenir le nouveau bourgmestre de Ranst, il décide de faire appel au Vlaams Belang. « Nous avons parlé avec tous les partis immédiatement après les élections. Nous avons rapidement trouvé des accords avec Vrij Ranst (libéral). En tant qu’acteurs locaux, nous avons établi des liens et commencé à chercher un troisième partenaire. »
La N-VA de Bart De Wever a fermé la porte
La suite laisse présager une sérieuse polémique. «En raison de divergences fondamentales, une coalition avec Groen (écologiste) n’était pas une option. Une coalition avec la N-VA a été formée, mais ils ont refusé de faire des compromis. Ils ont fermé la porte, après quoi j’ai commencé à parler avec le Vlaams Belang», explique Bart Goris. « J’ai senti une solution constructive, et cela nous a motivés. Nous regardons le programme local du Vlaams Belang et il présente des similitudes avec le nôtre. »
Si l’on en croit cette affirmation, la N-VA de Bart De Wever aurait tourné le dos aux listes démocrates, permettant indirectement à l’extrême droite d’entrer dans un conseil municipal.
Cette décision aura un impact national. Cela va certainement ternir l’image de la N-VA nationaliste flamande au moment où son président Bart De Wever négocie la formation du prochain gouvernement fédéral.
Les liens de la N-VA avec le Vlaams Belang ont suscité de nombreux débats dans le passé. L’ambition initiale des deux partis était de rendre la Flandre indépendante, et donc de mettre fin à l’actuelle Belgique. Bart De Wever s’est cependant progressivement distancié de ce projet en prônant un confédéralisme qui donnerait plus d’autonomie au nord, sans pour autant mettre l’État belge à la casse. Après avoir laissé souffler le chaud et le froid, il a fini par déclarer que, s’il était en vie, il n’y aurait pas d’alliance entre son parti et l’extrême droite.
Ce qui vient de se passer à Ranst ne renie en rien cette promesse, mais souligne la responsabilité de la N-VA dans la rupture du cordon sanitaire.
«Une journée mémorable pour le Vlaams Belang»
Le Belang jubile. Pour son président Tom Van Grieken, il s’agit d’un « jour mémorable pour le Vlaams Belang et important pour la démocratie ». Depuis son accession à la tête du VB, parti qui trouve ses racines dans la collaboration avec le nazisme, il ne cesse de le présenter comme une formation politique « normale », capable de gouverner.
“C’est un moment historique et émouvant dont je suis très fière”, a déclaré Christel Engelen, la représentante du Vlaams Belang à Ranst, sur la chaîne publique flamande VRT. « C’est ça la démocratie : nous sommes les trois partis qui ont gagné les élections. Il est très clair pour moi que nous sommes tous les trois sur la même longueur d’onde et que nous n’étions pas un plan C. »
Pour Engelen, le cordon sanitaire est absolument rompu. « Nous avons gagné en confiance ici et avons eu des discussions très constructives. Je me présente au nom du Vlaams Belang et nous resterons fidèles à notre parti pendant les six prochaines années, bien que sous le nom de faction Ons Ranst. Le président Tom Van Grieken m’a déjà appelé pour me féliciter. »
Le nouvel échevin entend être au service de « la sécurité et de la propreté ». Nous avons un centre pour demandeurs d’asile dans notre village et c’est une autorité fédérale. Mais nous voulons le garder sûr et propre. Nous ne voulons absolument pas d’urbanisation dans notre village, c’est pourquoi nous voulons arrêter les grands projets de construction. »
Deux communes aux mains de l’extrême droite
Le cordon sanitaire est le résultat d’un accord conclu en 1989 entre les partis flamands de ne pas coopérer et de gouverner avec le Vlaams Belang. Comme à Ranst, il s’agit de listes locales, certains estiment que le cordon n’a pas été rompu samedi au sens strict. Pour d’autres, il est clair au contraire que l’accord était valable à tous les niveaux du pouvoir.
L’Open VLD libéral a ainsi annoncé que les cartes de membres des élus de Vrij Ranst seraient retirées. «C’est contraire à nos statuts. Les membres de notre parti ne sont pas autorisés à travailler avec des personnes qui ne respectent pas les droits de l’homme en général », a déclaré Eva De Bleeker, présidente de l’Open VLD.
Le CD&V chrétien-démocrate a fait de même pour les trois élus de la liste PIT, la liste du maire « parjure » : « Notre parti révoquera immédiatement l’adhésion de ces élus. Nous n’accepterons jamais que des membres du CD&V collaborent avec le Vlaams Belang. Nos principes démocratiques sont plus importants que quelques positions.»
Le Vlaams Belang est désormais au pouvoir dans deux communes flamandes. A Ranst, et à Ninove où Guy D’haeseleer et sa liste locale Forza Ninove l’ont emporté le 13 octobre. Mais ici, le cordon sanitaire n’a pas été brisé car aucun parti démocrate ne s’est allié à l’extrême droite. Et pour cause : le Vlaams a obtenu la majorité absolue aux urnes.