Lancée le 15 septembre 2014, Netflix a réussi à s'imposer en France avec une facilité déconcertante, se hissant en tête des abonnements à la télévision payante, loin devant Canal+. Dix ans après son arrivée dans l'Hexagone, comment la plateforme a changé le visage de l'audiovisuel.
Que faisiez-vous le 15 septembre 2014 ? A cette date, il y a dix ans, le géant du streaming Netflix se lançait enfin en France. Un lancement attendu, né du fantasme d'une plateforme unique réunissant films et séries populaires dans leur intégralité, derrière un abonnement low cost (8,99 euros par mois).
Déjà bien implantée aux États-Unis, l'entreprise est arrivée en Europe avec de grandes ambitions pour révolutionner notre façon de consommer la télévision : fini les programmes linéaires, bienvenue à binge-watchingcette consommation effrénée de programmes à la demande.
Netflix, c'est la promesse de centaines de séries et de milliers de films avec des exclusivités et des nouveautés. En arrière-plan, beaucoup s'inquiètent de l'avenir de la télévision et du cinéma traditionnels alors qu'un catalogue gigantesque est à portée de smartphone.
Sauf que la réalité, au lancement français, est un peu différente. A l'image des irréductibles Gaulois, l'Hexagone possède la chronologie des médias, qui oblige les différents diffuseurs à attendre un certain temps entre la sortie en salle d'un film et son arrivée sur les plateformes. Une exception tricolore qui freine quelque peu les ambitions du géant américain.
À son arrivée, le catalogue de Netflix était donc déjà assez pauvre, avec des films vieux de trois ans. Ce qui n'a pas empêché son succès immédiat et incessant.
L'échec de Canal+
À l’époque, Canal+ avait tenté de couper l’herbe sous le pied du géant du streaming en proposant un modèle similaire. Trois ans avant Netflix, la chaîne cryptée avait lancé Canalplay Infinity. Pour seulement 7,99 euros par mois, l’offre Canalplay Infinity met à disposition un catalogue de plus de 10 000 œuvres. En bref… la promesse de Netflix.
Pourtant, Canal+ traverse une crise : la montée en puissance des chaînes de la TNT, la multiplication des bouquets TV intégrés aux offres box et la perte des droits du football au profit de la nouvelle chaîne BeIN Sport font chuter le nombre d'abonnés traditionnels.
Pas de bon augure pour Canalplay Infinity, qui ne parvient pas à toucher un nombre suffisant d'abonnés malgré une communication agressive : le cinéma et la télévision ne sont pas prêts à laisser un répit à Canal+, qui doit payer très cher les droits de certains programmes pour s'assurer une fenêtre de diffusion suffisamment large.
Un an avant l’arrivée de Netflix en France, en 2013, c’est la déception : Canalplay Infinity ne dépasse pas les 300 000 abonnés. Le groupe reconnaît alors l’échec de sa stratégie et va réorienter ses investissements vers sa chaîne premium, sur laquelle il diffusera Château de cartesNetflix a fait un carton outre-Atlantique, avant de devenir quelques mois plus tard l'un des principaux partenaires de la plateforme.
Peut-être mieux équipé financièrement et précédé d'un engouement général, Netflix arrive donc triomphalement avec sa spécificité : tous les épisodes sont disponibles sans attente. binge-watching est né.
Netflix sous pression
Il n’en demeure pas moins que l’arrivée de Netflix et de ses séries américaines menace l’exception culturelle française. Sommées de s’impliquer un peu plus dans le financement de la production hexagonale, une directive et une loi vont ainsi contraindre toutes les plateformes SVOD à mettre la main à la poche pour créer de la fiction française.
Si les débuts ont été compliqués, par exemple avec Marseillemal reçue par la critique, Netflix s'est depuis largement rattrapée. En dix ans, l'entreprise a investi 250 millions d'euros dans la production de séries, comme Lupin et En placede films, comme Anti-gang et Balle perdueet des documentaires, tels que The Tour de France.
Elle a également pris sous son aile des projets qui n’ont pas trouvé preneur – comme le carton Sous la Seineassurant, au passage, un succès parfois international et pas seulement francophone.
Parce que les créations françaises s'exportent : MarseilleMalgré ses défauts, il a ainsi connu une certaine popularité dans plusieurs pays d’Amérique du Sud. Lupin est l'un des programmes français les plus populaires de l'histoire de la plateforme. Les stars françaises, d'abord réticentes à utiliser la plateforme, n'ont désormais plus de complexes, même si le Festival de Cannes résiste toujours à l'ogre américain.
Enfin, l’arrivée de Netflix va également bousculer la sacro-sainte chronologie des médias et forcer les régulateurs à raccourcir les délais de diffusion. Netflix obtient également le droit de diffuser les films 15 mois après leur sortie en salle… contre 17 pour ses nouveaux concurrents Amazon Prime ou Disney+.
Ces concurrents, justement, vont venir bousculer le leadership de Netflix, qui va connaître une forme de perte de vitesse, au niveau mondial. Mais le géant a une idée : l'an dernier, il a annoncé l'arrivée d'un nouveau forfait, peu coûteux et ponctué de publicités. Un succès, les abonnements repartent à la hausse.
Reste à savoir si la plateforme adoptera une nouvelle fonctionnalité apparue chez la concurrence : la diffusion d'un épisode par semaine. Si cela devait se produire, Netflix reprendrait enfin, dix ans après son arrivée en France, un modèle bien connu. Celui de la télévision.
