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«Les eSports sont très sous-développés en Suisse»

Jeu vidéo

«L’e-sport est malheureusement très sous-développé en Suisse»

Avant la finale des Mondiaux « League of Legends », la streameuse francophone Justiie décrypte la place de la communauté féminine et de la Suisse dans le jeu vidéo.

Christophe Pinol

Publié aujourd’hui à 19h00

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Bref:
  • La finale de la Coupe du monde « League of Legends » (« LoL ») sera retransmise dans les cinémas suisses.
  • La streameuse francophone Justine Cirilli explique les enjeux de cet événement mondial.
  • L’absence de femmes dans les équipes « LoL » reste problématique.
  • Un espace sécurisé pour les joueurs a été créé sur la plateforme Discord.

Pour les 120 millions de joueurs mensuels du jeu « League of Legends » (« LoL »), la finale des Mondiaux, les championnats du monde, samedi 2 novembre, représente l’apothéose de la compétition professionnelle. Les cinémas Pathé (Flon à Lausanne et Balexert à Genève) diffuseront à 15 heures, en direct de l’O2 Arena de Londres (où 20 000 spectateurs sont attendus), le match qui verra s’affronter les Sud-Coréens du T1. , tenants du titre, et les Chinois de Bilibili Games.

Justine Cirilli, 21 ans, genevoise, alias Justiie sur les réseaux sociaux, termine actuellement sa licence en histoire économique et économie politique. Joueuse et streameuse dévouée, mais aussi commentatrice de match, elle nous éclaire sur les enjeux de ce rendez-vous incontournable, en profite pour repositionner l’e-sport suisse à l’échelle mondiale mais se concentre surtout sur les difficultés pour les joueurs de s’intégrer dans ce monde. .

Comment est née votre passion pour « League of Legends » ?

Je devais avoir 12 ou 13 ans quand j’ai commencé à jouer, au départ pour avoir quelque chose à partager avec mon frère aîné qui jouait déjà. Mais je m’y consacre plus sérieusement depuis maintenant trois ans. Souvent une fois par jour, au pire tous les deux jours, facilement trois ou quatre heures à chaque fois. Ce qui me fascine, c’est le côté stratégique du jeu. On joue par équipes de cinq, dans des postes très différents, un peu comme au football, ce qui fait que ce n’est jamais répétitif.

Que représentent ces championnats du monde ?

C’est le tournoi de référence. La plus suivie, celle qui voit s’affronter les plus grandes équipes. Notamment ceux d’Asie, avec une nette domination de la Corée. Il est également impressionnant de constater le fossé qui sépare l’Asie de l’Europe. L’une des équipes finalistes, les Sud-Coréens du T1, a déjà remporté quatre fois ces Mondiaux. Alors que la meilleure équipe européenne, G2 Esports, n’a même pas atteint les quarts de finale cette année.

Comment expliquer cette domination ?

Par l’investissement phénoménal dont bénéficient les équipes asiatiques. Là-bas, les jeunes sont coachés très tôt et intègrent des structures où ils peuvent gagner leur vie et pratiquer beaucoup. Ils ont donc beaucoup plus d’expérience, tout comme leurs entraîneurs. Surtout, ils travaillent beaucoup sur leur synergie : un joueur peut être très bon individuellement et beaucoup moins en équipe. Les meilleurs d’entre eux s’échangent contre de gros chèques comme dans le football.

Et la Suisse dans tout ça ?

Le monde de l’e-sport y est malheureusement très sous-développé. On est loin des structures déployées en , où se retrouvent les bons acteurs francophones. « League of Legends » nécessite un énorme investissement, en temps et en argent, pour rester à jour. Et en l’absence de sponsors, c’est mission impossible. Depuis plusieurs années, l’équipe de Lausanne Esports dispose de locaux, de coachs et d’une vraie structure, mais elle est la seule. Le problème est que leurs résultats ne suivent pas : lors du dernier tournoi de l’association FER par exemple, l’équipe a perdu en finale contre une troupe de mercenaires, des joueurs suisses évoluant dans la grande division française qui avaient constitué une équipe rien que pour l’occasion, sans coach, sans jamais avoir joué ensemble. Ils ont empoché le prix en espèces et dissous l’équipe dans le processus.

Pathé diffusera donc la finale des Mondiaux. A quoi ça sert de le voir dans une salle de cinéma ?

Cela permet déjà de rencontrer des personnes qui partagent la même passion. Et puis le voir sur grand écran, en direct, au cœur d’un public conquis, c’est un peu comme y être. Les gens réagissent beaucoup au déroulement des matchs, vous discutez avec vos voisins de table, vous analysez les phases de jeu…

Qu’en est-il de la présence des femmes dans ces équipes ?

C’est simple : il n’y en a pas. Strictement aucun. Zéro. Pourtant, rien ne l’interdit. C’est même particulier à « LoL » car on retrouve des filles de très haut niveau dans les équipes « Valorant » par exemple. En France, une ligue féminine « LoL » a été créée il y a deux ans, avec leurs propres tournois…

Comment expliquer alors cette absence ?

Déjà, la génération féminine d’aujourd’hui n’a pas commencé à jouer assez tôt. Les jeux vidéo étaient encore très genrés jusqu’à récemment. Mais cela change. Surtout, les craintes sont nombreuses face à un monde où le cyberharcèlement est fréquent. Une femme douée en jeu se fera vite insulter en ligne, ou se faire dire que si elle a atteint ce niveau, c’est probablement parce qu’un homme l’a aidée…

On entend aussi souvent cette théorie selon laquelle une femme au sein d’une équipe crée automatiquement des conflits et de la jalousie, sous prétexte que certaines personnes veulent ensuite sortir avec elle. En streaming, on s’attaquera à leur façon de s’habiller, en les accusant d’être juste là pour attirer l’attention des hommes. Pire : sur Twitter, une collègue expliquait récemment qu’un de ses followers était allé la voir à l’une de ses conférences, lui avait proposé un rendez-vous et, face à son refus, était allé l’attendre à la gare, sachant qu’elle je passerais par là… C’est effrayant !

De quels moyens disposez-vous pour vous protéger de ce harcèlement ?

Avec un ami, Drum, nous avons créé un serveur communautaire féminin sur la plateforme Discord, The Summoners’ Fault (@LFDI_LOL), où nous offrons la possibilité aux femmes de jouer en toute tranquillité dans un espace sécurisé, puisque nous vérifions leur identité avant de les laisser accepter. . Nous sommes déjà 230. Mais je crois que l’environnement devient petit à petit plus sain. Parce que les joueurs parlent et on se rend compte de l’ampleur de ce comportement inapproprié. Nous avons même pas mal d’hommes qui nous ont écrit pour proposer des cours de coaching professionnel à notre communauté féminine. Reste à déterminer dans quelle mesure cette aide est franche et désintéressée. Mais nous y travaillons.

Des hommes dans un championnat, des femmes dans un autre, est-ce vraiment la solution pour intégrer ces dernières dans le milieu ?

En fait, je ne pense pas que ce soit idéal. Malheureusement, pour permettre aux talents féminins de se développer, il faut créer un lieu où elles se sentent en sécurité. Libre à eux ensuite, une fois comblés, de rejoindre les équipes mixtes.

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