L’été que vient de passer Lauriane Rougeau aurait pu être celui de n’importe quel joueur de hockey professionnel. On n’en dira pas autant de son retour automnal.
Publié à 1h38
Mis à jour à 6h00
Après avoir disputé les séries éliminatoires dans l’uniforme des Sceptres de Toronto malgré une fracture au poignet à deux endroits, elle a subi une intervention chirurgicale et a suivi à la lettre son plan de réadaptation. De retour au pays pour l’entre-saison, le Montréalais a repris l’entraînement à Verdun, au Centre 21.02, avec des joueurs de la région.
Même si elle n’a pas encore signé de nouveau contrat, la défenseure a été invitée à participer au camp d’entraînement des Sceptres en novembre.
Rien à signaler donc… apparemment. Car discrètement, presque secrètement, Rougeau réfléchissait à son avenir sur la patinoire. Seules quelques personnes – pas même ses parents – savaient qu’elle envisageait sérieusement de raccrocher ses patins.
Elle a eu une longue discussion avec Gina Kingsbury, directrice générale à Toronto. Elle l’informe qu’un poste de gestionnaire des opérations hockey avait été créé au sein de l’organisation. Le joueur lui a demandé de ne pas le remplir tout de suite. La réponse n’a pas tardé.
«Je l’ai appelée en septembre pour lui dire que j’arrivais comme employé et non plus comme joueur», raconte Rougeau au téléphone.
À 34 ans, et après une carrière internationale qui l’a conduite deux fois aux Jeux Olympiques et cinq fois aux Championnats du monde, elle a décidé qu’il était temps de passer à autre chose.
Déjà, l’an dernier, elle avait dû attendre la fin du camp à Toronto avant de signer un contrat d’un an, au salaire minimum prévu par la Ligue professionnelle de hockey féminin (LPHF). Elle a participé à tous les matchs de son club, mais son temps de jeu était celui d’une joueuse de soutien. D’autant plus qu’après une intervention chirurgicale majeure, elle a constaté qu’il serait « difficile de franchir la formation ».
«Je suis en paix avec ma décision», assure-t-elle. J’ai accompli tout ce que je voulais. Je suis allé aux Jeux olympiques, j’ai joué professionnellement… Je suis prêt à passer à l’étape suivante. »
Sans regret
C’est « sans aucun regret » qu’elle tire sa révérence. «Je me suis bien amusée», confie-t-elle, malgré quelques «moments sombres».
Dans cette dernière catégorie, elle classe la fin inattendue de la Ligue canadienne, en 2019, à l’époque où elle était alignée avec les Canadiennes de Montréal.
Les années qui suivirent furent marquées par l’incertitude, puisque des centaines de joueurs se retrouvèrent sans championnat. Il y a eu la tournée de l’Association des Joueurs Professionnels qui a duré trois ans, compliquée par la pandémie de COVID-19, mais cette période a été marquée par un fort sentiment d’insécurité. « On ne savait pas si on pouvait continuer à jouer, résume le défenseur.
Puis est finalement arrivé le LPHF. Rougeau y a tenté sa chance et a pu disputer toute la campagne inaugurale. C’était, constate-t-elle aujourd’hui, la cerise sur le gâteau.
« Bien sûr, il y a eu des hauts et des bas, mais je suis fière d’avoir continué et d’avoir participé à la première saison de championnat, confirme-t-elle.
On s’attendait cependant à un fort turnover de joueurs dans le circuit, avec l’arrivée de sang neuf issu des rangs universitaires. En 2023-2024, seuls six athlètes de la ligue étaient nés en 1990 ou avant. Parmi eux, Rougeau et Gigi Marvin (Boston) ont annoncé leur retraite, Johanna Fallman (New York) est rentrée en Suède, et on ne sait pas encore si Ann-Sophie Bettez (Montréal) jouera la prochaine saison, alors qu’elle se remet de opération majeure du genou.
Lauriane Rougeau s’est néanmoins retirée sans amertume et sans l’impression d’avoir été boudée en raison de son âge. «C’est la réalité du hockey», estime-t-elle. Il n’y a pas beaucoup d’équipes, même si elles parlent d’expansion. Après l’université, les joueurs ont encore plusieurs années devant eux. Je pense que l’âge va augmenter un peu au cours des prochaines saisons. Des filles comme Marie-Philip Poulin joueront encore longtemps ! J’étais à ce stade de ma vie. »
Lorsqu’elle revient sur sa carrière, elle cite spontanément les Jeux de Sotchi comme le moment le plus mémorable. Parce que le tournoi s’est terminé par une médaille d’or, mais aussi grâce à « la façon dont nous avons gagné ». «C’était mon rêve d’enfant», souligne-t-elle. Je peux dire que j’y suis parvenu. Je suis un olympien depuis toujours. »
Lorsqu’on l’interroge sur l’exploit individuel dont elle est la plus fière, elle n’hésite pas une seconde : le but qu’elle a marqué lors de la troisième prolongation en mars 2012 alors qu’elle jouait pour l’Université Cornell.
« Il y a un clip sur YouTube ! » », nous dit-elle d’emblée.
La séquence vaut effectivement le détour. En quart de finale du championnat national, contre l’Université de Boston, Rougeau a profité d’un jeu décousu à la ligne bleue de son club pour s’échapper avec le disque, couvrir toute la patinoire, confondre la défense et déjouer le gardien adverse d’un tir du revers. … en tombant. Tout cela sous les yeux de Marie-Philip Poulin, qui évoluait à l’époque pour BU.
“Je suis aussi capable de faire de la dentelle !” », ajoute celle qui, après avoir obtenu son diplôme de Cornell, était surtout reconnue pour sa responsabilité défensive.
Regardez la séquence
Apprentissage
Arrivée à Toronto début octobre, Lauriane Rougeau est déjà plongée dans les tâches liées à son nouvel emploi. Avec une collègue, elle est chargée de planifier en détail le quotidien des joueurs qui arriveront au camp d’entraînement dans quelques jours.
Elle voit cette mission comme une première étape dans une carrière de gestionnaire dans le hockey, un objectif qu’elle vise depuis longtemps. Titulaire d’un master en management du sport, elle ne cache pas son rêve d’être un jour nommée directrice générale d’une franchise professionnelle.
A court terme, elle souhaite avant tout « apprendre le plus possible ».
Observez les coachs, le directeur général, le côté administratif, la vente des billets. Je veux être une éponge. Je suis enthousiasmé par ce qui s’en vient.
Lauriane Rougeau
Elle a également trouvé un mentor en la personne de Gina Kingsbury, sa nouvelle patronne. Les deux hommes s’étaient brièvement croisés lorsque Rougeau était encore membre de l’équipe nationale, mais c’est réellement au cours de la dernière année qu’ils se sont liés d’amitié.
« C’est l’une des principales raisons pour lesquelles je suis venue à Toronto », dit-elle. C’est une excellente leader. Rassembler les gens et en tirer le meilleur est chez elle inné. »
Voici donc la nouvelle retraitée, plus occupée que jamais dans sa ville d’adoption. ” Dans [son] coeur», Montréal reste inébranlable. Mais pour l’instant, l’avenir semble très prometteur pour elle dans la Ville Reine.
Tranquillement, elle a connu une longue et fructueuse carrière sur la glace. Qui sait si, un jour ou l’autre, ses nouvelles fonctions ne la ramèneront pas dans la métropole en tant que leader ?