Depuis plusieurs années, la vague padel s’étend dans toute la France. En Corse, la popularité de ce sport de raquette ne cesse de croître. Au point de peut-être bientôt dépasser celui du Tennis ? Éléments de réponse dans certains endroits de l’île.
Agence
Du quotidien aux grands enjeux, découvrez les enjeux qui composent la société locale, comme la justice, l’éducation, la santé ou la famille.
France Télévisions utilise votre adresse email pour vous adresser la newsletter « Entreprise ». Vous pouvez vous désinscrire à tout moment via le lien présent en bas de cette newsletter. Notre politique de confidentialité
« Si nous ne faisons rien au niveau mondial, tous les clubs de tennis seront transformés en clubs de padel. Si nous ne faisons rien, globalement ou collectivement, le padel convertira tous les clubs de tennis, car c’est moins cher.
Ces propos sont ceux de Novak Djokovic. Il en avait été question en juillet dernier lors d’une conférence de presse en marge du célèbre tournoi de Wimbledon.
Le tennisman serbe, ancien numéro un mondial et actuel quatrième joueur au classement ATP, avait alors fait part de son inquiétude pour l’avenir de son sport face à l’essor du padel. Discipline qui se joue en double sur un terrain – appelé piste – de 10 mètres de large et 20 mètres de long, le tout entouré de verre trempé.
Les commentaires de Djokovic démontrent la popularité de ce sport dans le monde entier. Créé au Mexique il y a plus de 50 ans, le padel comptait, selon la fédération internationale, 12 millions de pratiquants sur la planète en 2014. Ils sont aujourd’hui plus de 30 millions, dont plus de 300 000. « identifié » en France selon la Fédération française de tennis (FFT) à laquelle la discipline est liée depuis 2014.
Même la Corse n’échappe pas au phénomène. Les amateurs de petites raquettes sans cordage et de courts de verre sont de plus en plus nombreux sur l’île.. “M.même si le padel fait partie de notre fédération Depuis une dizaine d’années, ça connaît ici une vraie croissance depuis deux ou trois ans.les particuliers de Philippe Medoriprésident de la ligue des courses de tennis. En chiffres, cette discipline représente aujourd’hui environ 10 % des 5 730 adhérents de la Ligue de Corse. Il y a aussi des gens qui y jouent et qui n’ont pas de licence spécifique au padel. C’est donc un sport qui se développe bien. Nous sommes en train de le structurer.”
En France, la FFT compte 1 170 719 adhérents. Parmi eux, 221 896 possèdent une licence multi-racket. 70 000 d’entre eux n’ont que celui spécifique au padel. Un chiffre qui a presque doublé en un an.
« Ludique, accessible, facile d’approche, moins exigeant que le tennis ». Sur l’île le constat est incessant : le padel est populaire et attractif. Extrêmement. Le nombre de parcelles sorties de terre ces derniers mois en est la preuve. Notamment dans les complexes multisports comme le C5 à Bastia, le Fun à Ajaccio ou le G4 à Propriano. Plusieurs pistes ont également vu le jour au niveau des clubs de tennis, reconnaissables à leur surface bleue à côté des courts en dur et en terre battue.
« Depuis un an et demiexpose Philippe Medori, nous avons presque triplé le nombre de pistes en Corse. Les demandes proviennent du secteur privé, des clubs associatifs qui construisent des courts de paddle attenants à leurs installations de tennis. Il existe également des communautés qui peuvent potentiellement générer des emplois et donc trouver des ressources supplémentaires. Tout cela était aussi dynamisée par le plan Macron avec la création de 5 000 aires de jeux en France financées en partie par l’État. Beaucoup en ont profité pour obtenir un cofinancement.
Autre fait qui témoigne de la popularité de la discipline : en Corse le nombre de clubs a doublé en un an, passant de cinq à dix selon les championnats. À ce jour, il existe entre 35 et 40 pistes de paddle dans toute la région. En 2017, l’île n’en comptait que deux. A titre de comparaison, selon les données du LCT, 135 courts de tennis sont répartis entre les 33 clubs de l’île.
A Mezzavia, aux portes d’Ajaccio, trois pistes de paddle sont désormais proposées à la location. “Un intérieur climatisé et deux autres extérieurs avec toit amovible. précise Antoine Fanchi, président du club, avant de faire ce constat :
« Dans notre établissement, les joueurs de tennis se sont tournés presque exclusivement vers le padel. Mais d’un autre côté, le tennis ne perd pas de licenciés, du moins dans notre club, car il a attiré d’autres nouveaux joueurs qui ont compensé les personnes parties exclusivement au padel. Et puis il y a aussi les joueurs qui jouent au tennis et tu remi Nombreux sont ceux qui pratiquent les deux. En résumé, sur nos 602 licenciés, un premier tiers fait les deux, un deuxième tiers ne fait que du padel. Quant au dernier tiers, il ne représente que les licenciés de tennis.
“Un sport qui ne développe pas l’éducation des enfants est un sport qui va mourir.”
Antonio FanchiTC Mezzavia
Quelques kilomètres plus loin, à Porticcio, Philippe Lopez fait également construire trois pistes au Terra Bella Country Club :
« Nous en aurons cinq d’ici la fin de l’année, précise celui qui préside depuis vingt ans la structure située sur la rive sud du golfe d’Ajaccio. Il ne me reste que deux courts de tennis. Je m’engage clairement à 90% dans le padel et à 10% dans le tennis. À la maison, les trois quarts des gens jouent uniquement au paddle. Je suis évidemment affilié à la Fédération mais j’investis mon propre argent, donc la question de rentabilité est complètement différente par rapport aux autres structures municipales.
Cette baisse d’engouement pour le tennis dans son club s’explique aussi par la quasi-absence de cours.
“Ayant pas de bons professeurs, j’enseigne presque plus, il le regrette. Mais aujourd’hui, ce qui dépend de la survie d’un club de tennis, c’est son école de tennis avec des enfants. Ni les pratiquants ni les membres adultes n’étaient déjà en déclin. C’est pourquoi la Fédération française a intégré le padel de manière rapide et efficace. Si vous possédez une grande école de tennis, vous pouvez vous dire que vous maintiendrez l’exploitation du tennis et les courts qui y sont associés. Quand on est dans ma situation, avec un enseignement quasi inexistant, si on pense en termes de rentabilité il n’y a même pas de discussion.”
Ses réflexions sur l’apprentissage sont partagées par Antoine Fanchi du Tennis Club Mezzavia :
“Un sport qui ne développe pas l’éducation des enfants est un sport qui va mourir. Il ne peut en être autrement. Nous l’avons expérimenté un peu à la maison avec du potiron. La discipline avait gagné en popularité mais, à un moment donné, l’école n’existait plus. La citrouille ne s’est donc pas développée sur l’île.
De nombreux joueurs de tennis aiment le padel et, forcément, le tennis va souffrir dans les années à venir.
Antonio RioliTC Costa Verte
Au TC Costa Verde, dans la plaine orientale, si les inscriptions ont augmenté”C’est grâce aux gens qui jouent au padel”Le président Antoine Rioli le déclare sans détour. Depuis début juillet, le club municipal qu’il dirige s’est également doté de deux courts de paddle.
Au départ, Murianincu pensait que cette discipline, très populaire en Espagne, ne serait qu’une mode passagère en France.
« Clairement, j’avais tort. C’est bien plus qu’un effet de mode. S’il y a du monde dans le club c’est grâce au padel.” Cela garantit également la pérennité de certaines installations de tennis.
“Aujourd’hui, il ne faut pas se faire d’illusions, souligne le président de la LCT, Philippe Medori, il y a aussi un intérêt économique. Beaucoup moins importante en termes de location est l’occupation des courts de tennis, alors que le padel permet des revenus économiques importants en louant les pistes. Nous avons donc des structures privées qui ont émergé dans un premier temps ; ils se sont tous réunis. En Corse nous avons l’avantage de ne pas avoir de personnes qui pratiquent le padel en dehors de la Fédération. Toutes les installations sont affiliées à la Fédération.
Cette affiliation à la FFT nous permet d’organiser des compétitions et de proposer des stages. A l’inverse, les structures non affiliées ne peuvent assurer que de la location et du divertissement.
L’aspect économique, évoqué par Novak Djokovic, semble donc important. Pour construire une piste de paddle, il faut payer « Entre 50 000 e 60 000 euros, avec la radiographie», précise le président Medori.
“Un court de tennis équivaut à trois courts de paddleprolongé Philippe López. La rentabilité est alors multipliée par 3. »
« Économiquement, qui peut se passer du padel ? demande Antoine Rioli du TC Costa Verde. Beaucoup des augmentations de licence que nous avons en Corse sont des licences padel. De nombreux joueurs de tennis aiment le padel et, forcément, le tennis va souffrir dans les années à venir, croyez-le. Il va prendre le dessus sur le tennis, c’est sûr. Et encore, dans notre club, pour le moment nous n’avons toujours pas d’école de padel. Je crains que le jour où nous commencerons à faire cela, nous ne donnerons malheureusement plus beaucoup de cours de tennis d’ici dix ans.
« S’il y a du « cannibalisme » au padel dans le tennis, l’attaquant Antoine Fanchi du Mezzavia TCcela viendra principalement du fait que le padel a été, je dirais, aspiré par une frange économico-spéculative. Ce n’est pas péjoratif, chacun fait ce qu’il veut. Il y a des gens qui ne sont là que pour vendre du temps, qui n’ont pas de club autour d’eux et n’organisent pas de compétition agréée car ils ne sont pas affiliés et n’ont pas cet esprit de club. Le danger est là. Surtout si les clubs de tennis qui disposent de courts de padel ne réagissent pas et ne font pas la promotion de ce sport. Il y aura un danger pour le tennis là-bas.
Face à cet engouement, la France pourrait peut-être, à terme, se retrouver dans la même situation que l’Espagne, où le nombre de licenciés de padel dépasse désormais celui des joueurs de tennis.
“Aujourd’hui tous les sports de raquette progressent, c’est ça le côté positif, tempéraments, avec chiffres à l’appui, Philippe Medori, le président de la Ligue Corse. Mais c’est vrai que la courbe est bien plus importante au padel. Je ne suis pas trop inquiet. Des pays débordés, comme les pays hispaniques d’Amérique du Sud et l’Espagne, ont raté le train du système fédéral. En France aujourd’hui, pour organiser un tournoi, il faut avoir des licences. Il faut jouer le jeu associatif et être un peu corporate pour pouvoir s’impliquer dans le padel.
Après Porticcio, Philippe Lopez suggère”ne le fais pas contraste entre les deux disciplines. Il voit ET «une certaine complémentarité»:
“Moi qui « vis » le tennis et le padel en parallèle, ça me choque un peu qu’on oppose presque ces deux disciplines, regrette le président du Terra Bella Country Club. On a l’impression qu’on se dit, soit l’un joue, soit l’autre. Cependant, je trouve que le padel peut être un moyen d’éducation et d’initiation pour convaincre les gens, s’ils le souhaitent, de devenir, à un moment donné, pas mal au tennis. On le voit avec les enfants : quand on les met sur un terrain de padel, ils jouent avec les fenêtres – alors que dans les clubs de tennis il n’y a plus de mur –, ils arrivent à renvoyer la balle, et ils apprennent à jouer à la volée. Si vous les mettez sur un court de tennis, ils sauront le faire et ils s’amuseront…”
Peut-être une des solutions pour que, dans les clubs, les deux sports continuent d’attirer les pratiquants côte à côte. Et pour qu’à terme, les courts de tennis ne soient pas définitivement remplacés par des courts de paddle. Comme Novak Djokovic l’avait prédit…