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le délicat exercice des nécrologies

« Sombre », « torturé », « imprévisible »… Autant de termes utilisés dans les journaux pour décrire l’acteur françaisçais Niels Arestrup avrilà l’annonce de son décès le 1er décembre. Dans toutes les nécrologies publiées, les journalistes saluent ses rôles, sa filmographie remarquable (Un prophète, Au revoir là-haut), ses trois Césars et son MolièD. Mais tout le n’a pas la même approche accusations de violences envers ses partenaires à l’écran ou sur scène. Dès les années 1970, plusieurs actrices, dont Miou-Miou, Isabelle Adjani et Myriam Boyer (qui a obtenu des dommages et intérêts), ont révélé avoir été giflées par l’acteur. Concernant le premier, il a même raconté avoir « intestinsle tympan ».

Fabien Randanne, journaliste au service culture de 20 minutesétait de service le jour de la mort de l’acteur. Alors que les dimanches sont généralement calmes dans les rédactions, il a dû décider seul comment gérer l’actualité.crologie suite à l’« urgence » envoyé par l’Agence Presse (AFP), à 10h54 « Quand j’ai vu l’alerte de l’AFP, je me suis tout de suite dit : “Il me semble que cet acteur a des histoires”, mais je ne me souvenais plus vraiment des détails. »il confie. Une chose est sûre : ces affaires doivent être évoquées car elles font partie du personnage. « Il s’agit d’informations purement factuelles. Je rends hommage à porterépoque remarquable, puis je décris ce que nous savons »explique le journaliste de 20 minutesqui a consacré la moitié de article sur le fils aux accusations.

« #MeToo nous encourage à privilégier l’enquête plutôt que la fascination »

Le Figaro évoque la violence dans sa nécrologie publié le même jour. Plus de détails seront donnés le lendemain, dans un article consacré aux réactions – notamment celle d’Isabelle Adjani – provoquées par sa disparition : « Mort de Niels Arestrup : hommages mais aussi critiques sur son comportement envers les femmes ».

Didier Péron, chef du service culture à Libérationchoisit également de répondre aux accusations de violences dans article sur le fils intitulé “Mort de Niels Arestrup : intense jusqu’à l’excès”, s’appuyant d’abord sur la dépêche de l’AFP puis sur des archives ajoutées dans la journée. Le journal revient également a portrait de 2021 de Niels Arestrup, publié dans le célèbre « Der » du journal intitulé « Arestrup dégriffé ». Avec le recul, Didier Péron y voit une erreur : « La situation y a été discutéeet, plus de façon ambiguëë. [C]et des papiers […] était trop léger. » Parce que, insiste-t-il, « journalistiquement, artistiquement, socialement, #MeToo nous incite à privilégier l’investigation plutôt que la fascination ».

Le même jour, Libération partage également sur Instagram la nécrologie rédigée par Didier Péron. Mais, dans cette publication, la violence n’est pas évoquée. Dans les commentaires, les internautes s’indignent. Luc Le Vaillant – journaliste en charge de « Der » – prend soin de répondre à chaque commentaire. « Lisez l’intégralité de l’image. Tout cela est mentionné. »

« Ni plainte, ni procès »

D’autres – rares – journaux choisissent au contraire d’ignorer les accusations de violences, comme Valeurs actuelles ou Le JDD. Parmi ceux qui ont ignoré le sujet, un manager explique ne pas se sentir « légitime » pour répondre à nos questions sur les nécrologies, un exercice auquel il n’est pas habitué.

D’autres évoquent les accusations, sans trop s’étendre. C’est le cas de téléramapar exemple, ou même Monde. «Nous appliquons un traitement journalistique basé sur ce que l’on sait de la personnalité, des éventuelles plaintes et des éventuels procès. C’est un article factuel sur la vie de cette personne.souligne Guillaume Fraissard, chef du service culture à Monde. Toutefois, dans le cas de Niels Arestrupsi le quotidien en décide “pour ne pas obscurcir les faits”, “il n’y a ni plainte ni procès”. Le dosage ne sera donc pas le même que pour la future nécrologie d’Harvey Weinstein, célèbre producteur reconnu coupable de viol par la justice.

Le Parisien a repris une dépêche de l’AFP évoquant une carrière “Entaché également par des accusations de violences contre des actrices lors des tournages ou des répétitions, entre autres par Isabelle Adjani ou Myriam Boyer”, précisant que“Aucune plainte n’a jamais été déposée contre lui.” Un deuxième papierpublié le même jour et consacré aux réactions à sa mort, évoque la gifle infligée à Isabelle Adjani et donne la parole à cette dernière.

« Un pied sur le frein »

Journaliste à La CroixSabine Gignouxpeu habitué à la section cinéma, dit « n’ayant pas été très à l’aise » dans l’exercice de cette nécrologie, à rédiger entre plusieurs urgences dominicales. « Avec le rédacteur en chef, nous avons longuement discuté de la rigueur avec laquelle nous devrions traiter le sujet. Par exemple, nous nous sommes demandés si nous devions inclure un article supplémentaire dans le journal papier du lendemain.nous dit la journaliste qui ne se voyait pas faire l’impasse sur les affaires. « Mais j’avais toujours un pied sur le frein. Ce sont souvent des histoires de parole contre parole. »

Le titre « Une forte présence sur scène et à l’écran » a également fait l’objet de discussions. Pour Sabine Gignoux, cette formulation évoquait indirectement la violence. “On voit à la fois la présence sur scène, mais aussi entre les lignes, l’envers du personnage”souligne-t-elle. Avant d’ajouter : «C’était peut-être trop allusif. »

Le stress des suivants

Peu de rédactions ont déjà établi des règles claires concernant le mouvement #MeToo. « Peut-être que ce serait un peu plus facile à faire. A Libérationnous avons toujours évité les grandes déclarations définitives qui consistent à suggérer que nous ne répéterions pas les erreurs ou les lacunes du passé.recalls Didier Péron.

Le choix du traitement à réserver aux accusations de violences – qu’elles soient sexuelles ou sexistes – à l’occasion du décès d’une personnalité se fait principalement au cas par cas, nous disent plusieurs journalistes interrogés. L’exemple de Niels Arestrup est facile à trancher : bien qu’il soit un grand acteur, sa notoriété dans le cinéma français reste limitée. “Je me demandais si nous ne devions pas aller au-delà d’une simple nécrologie et consacrer un article à ses cas de violence, remembers Fabien Randanne. Mais la notoriété de Niels Arestrup n’est pas si importante donc j’ai décidé de ne pas multiplier les angles. »

Couvrir la disparition de Gérard Depardieu ou de Roman Polanski – tous deux accusés de viol – est plus inquiétant. “If, in ten minutes, Gérard Depardieu dies… çça va être compliqué, anticipates Didier Péron. Avec toutes les plaintes contre lui et la carrière gigantesque qu’il a eue, on risque de se retrouver dans une situation délicate. » Certains journalistes craignent de devoir faire face au décès d’une personne coupable ou accusée de VSBG : “Il y a des cas où on se bouche un peu le nez”» avoue l’un d’eux qui n’a pas souhaité nous en dire plus.

Cependant, pour Fabien Randanne comme pour Didier Péron, ce sujet doit être abordé au sein de la rédaction car il est lié au mouvement #MeToo. « La question de la naissancecrologie en est un aspect, plus cela reste relativement marginal par rapport au cœur du problème »se souvient le journaliste de Libération. Pour son collègue de 20 minutesla décision de résoudre ce problème doit être prise collectivement. « C’est comme la reconnaissance du terme « féminicide » dans les médias. Cela contribue à une meilleure prise en compte des violences sexistes et sexuelles. »

 
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