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“Mon fils est la chose la plus précieuse que j’ai au monde”

PORTRAIT – Qu’on lui donne des airs de Villeret ou une carrure à la Ventura, il joue force et douceur avec une égale précision. On le retrouve dans la saison 3 deHippocrate.

Karim Leklou a les yeux vert kaki qui s’illuminent dès qu’il évoque une scène d’un film qu’il a adoré. “Ces scènes qui font chavirer le coeur”, disait-il en ce matin parisien d’octobre, avec un visage noyé dans une innocence qui rappelle Totò, l’adorable gamin de Cinéma Paradiso. Assis sur le canapé d’un appartement du XVIIIe sièclee quartier, l’acteur se révèle à travers ses expressions. Pendant qu’il parle, on aperçoit une petite ride au milieu de son front et le creux de ses cernes, héritage d’une vie vécue pleinement.

Puis, après une minute de silence, vient cette phrase éloquente : « Le métier d’acteur est gourmand », nous dit-il. “C’est vrai, il y a quelque chose d’ogresque chez Karim”, assure l’actrice Laetitia Dosch. Un besoin autodidacte de se nourrir d’histoire, de culture et de scènes de la vie réelle pour les injecter dans ses personnages. A travers le cinéma, auquel il consacre sa vie, Karim tente avec force, cœur et finesse de rendre le monde meilleur. L’actrice lui a donné la réponse dans Le roman de Jimdes frères Larrieu (sorti en août dernier).

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Une humanité profonde

Dès ses premières apparitions, dans Un prophète (2009), de Jacques Audiard, ou chez les cinéastes émergents des années 2010, comme Rebecca Zlotowski ou Élie Wajeman, Karim Leklou suscite un sentiment de renouveau. « Karim a la force de Jean Gabin. Il peut dégager de la violence ou une grande douceur, mais il y a toujours une profonde humanité au fond de son regard. Cela crée une empathie immédiate avec le spectateur », témoigne Clément Cogitore, qui l’a réalisé dans Goutte d’or (2020). Dans le rôle principal, Karim Leklou incarne Ramsès, un médium un peu véreux originaire du quartier de la Goutte-d’Or. Un personnage plein de contrastes entre franchise et douceur, imposture et intelligence.

“On l’a beaucoup vu dans le cinéma naturaliste, mais il peut se déployer dans des registres très différents”, ajoute le réalisateur. En près de quinze ans de carrière, Karim Leklou est devenu l’un des acteurs les plus appréciés des Français. Un dealer de banlieue castré par sa mère à Le monde est à toipar Romain Gavras, flic Bac Nord, de Cédric Jimenez, poilu amnésique dans C’est mon homme, de Guillaume Bureau, ou détenu libéré pendant quarante-huit heures en Temps mortd’Ève Duchemin, ses personnages possèdent souvent la classe des héros discrets.

L’art de la nuance

Aujourd’hui, Karim Leklou, 42 ans, est à l’affiche de la troisième saison deHippocrate (Canal+), la série nerveuse de Thomas Lilti. Aux côtés de Louise Bourgoin, l’acteur est Arben Bascha, médecin franco-albanais, à la fois héros et imposteur. “Thomas Lilti nous interroge sur la notion de service public, sur la frustration des professionnels qui tentent de sauver des vies sans en avoir les moyens.” Dans cette crise, l’armée médicale finit par s’auto-organiser pour soigner les patients dans des cadres qui dépassent la légalité. “Mon personnage est plein de nuances, entre sa passion pour la médecine et ses défauts”, ajoute-t-il.

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Au cinéma, l’acteur côtoie Adèle Exarchopoulos, François Civil et Élodie Bouchez dans L’Amour ouf, de Gilles Lellouche. Au cœur de cette fresque d’amour, plongé dans les années 1980, il incarne un père qui voit son fils s’éloigner, et lui-même perd le droit chemin. “C’est un homme humilié, au chômage, qui tente de survivre”, estime Karim Leklou. L’acteur aime la façon dont le film met en lumière des destins qui défient le déterminisme social : « Toutes les philosophies du monde évoquent un concept capable d’émouvoir même les plus endurcis d’entre nous : la liberté, donc la capacité de changer. Pour moi, c’est le message de ce film.
Il cite Steinbeck, Melville, Marx et Kafka dans des raisonnements qui avancent à grande vitesse. Karim a grandi dans un deux pièces dans un HLM à Saint-Cyr-l’École, dans les Yvelines. Ses parents ont divorcé quand il avait 7 ans.

Son père, Mustapha, commerçant immigré d’origine algérienne, dort dans le salon pour lui donner la chambre. «C’était un homme extraordinaire avec une carrière extraordinaire. Prolétaire certainement. Mais assoiffé de culture », affirme modestement Karim. À 4 heures du matin, alors qu’il se rendait au travail, son père lisait chaque jour dix pages d’un livre.

A la maison, il écoutait Jimi Hendrix et partageait sa passion du cinéma avec son fils unique : «Faites la bonne chose, Écharpe, Danse avec les loups… nous avons tellement regardé ensemble. De sa mère bretonne, réceptionniste et passionnée de Gainsbourg et de Jean Ferrat, Karim dit avoir hérité de son sens du respect et de sa discrétion. Aujourd’hui père d’un jeune enfant, il ne partagera qu’une seule phrase à ce sujet : « Mon fils, il est la chose la plus précieuse que j’ai au monde. »

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Capacité de métamorphose

Enfant, Karim n’imaginait pas d’avenir précis. Après un BTS commercial, il enchaîne les petits boulots, vendant des lignes téléphoniques à Télécom où, par ennui, il fabrique des répliques de Écharpe aux clients. Encouragé par une émission diffusée sur Paris Première dans les années 2000, il décide de s’inscrire au Cours Florent. « Au début, je ne me sentais pas légitime. Ensuite, quelque chose s’est débloqué : j’ai compris qu’il ne fallait pas être séduisant, mais viscéral. Pour l’un de ses premiers castings – Le Prophète, par Audiard -, Karim a répété toute une journée chez McDonald’s, avec Taha Lemaïzi, un ami rencontré au cours Florent et avec qui il étudie encore ses rôles : « On a répété cinq lignes cent fois, dans tous les tons. C’était fou.

«Je ne ressemble pas à John Wayne. Mon visage est plutôt ordinaire », rit-il. On passe ensuite en revue les descriptions médiatiques de son physique : un air de « cocker », d’« agneau tendre » ou de « chien battu », « tantôt inquiet, tantôt inquiétant ». « Des airs de Villeret complets », ou encore « une construction à la Ventura ». Karim Leklou écoute avec le sourire, sans cacher la fierté d’avoir su surmonter les obstacles. Par son jeu, il a réussi à transformer ses faiblesses en force. « Sa capacité de métamorphose est impressionnante », témoigne Cédric Jimenez, qui l’a dirigé dans Bac Nord.

Pour ce long-métrage, Karim a perdu 20 kilos. «Mais pour Temps mortd’Ève Duchemin, où je joue un toxicomane, j’en ai pris 30 ! », raconte-t-il joyeusement. Pour Pour la Franceoù il jouait le rôle d’un boulanger, il apprit à faire des baguettes et à jouer un chirurgien cardiaque dans Réparer le vivant, il a assisté à des opérations à cœur ouvert à la Salpêtrière pendant deux semaines. Dernier rôle en date : celui d’un officier d’origine polonaise dans De Gaulle, d’Antonin Baudry, dont il vient de terminer le tournage et pour lequel il s’est plongé dans les relations internationales pendant la Seconde Guerre mondiale.

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Acteur associé

Karim Leklou ne suit aucune méthode de jeu. Au fil de ses interprétations, on retrouve l’humilité et la modestie des grands comédiens. Loué pour sa curiosité par tous les réalisateurs, il est l’un des rares acteurs à retenir tous les noms des directeurs de la photographie, directeurs de la photographie, costumiers, maquilleurs et accessoiristes avec lesquels il a travaillé. Et connaît les qualités de chacun. Citant par exemple « la manière dont Laurent Tangy, chef opérateur sur Bac Nordcapte la nervosité du mouvement », « la précision démontrée par Sylvain Verdet, directeur de la photographie sur Goutte d’ordans sa manière d’utiliser les lumières de la ville pour sculpter des images.

Il fait également l’éloge de Thomas Grimm-Landsberg, ingénieur du son sur C’est mon homme, ainsi que « le travail des costumières », Charlotte Richard (Vincent doit mourir), Judith de Luze (Le roman de Jim) et Joana Georges Rossi (Pour la France). Nous l’écouterons citer les noms d’une trentaine de personnes pendant plus d’une heure de conversation informelle. « Il ne faut jamais oublier que malgré ses stars, le cinéma est avant tout un métier collectif », répète-t-il à la porte avant de disparaître.

Hippocratesaison 3, de Thomas Lilti, à partir du 11 novembre sur Canal+.

 
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