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“On ne bombarde pas les gens de commentaires, il y a ‘Télérama’ pour ça”

DANS LES ARCHIVES – L’année de l’élection de Mitterrand, le journaliste Gilbert Salachas a rencontré la troupe du Splendid – sauf Michel Blanc, absent, et Josiane Balasko, excusée. Retour sur un moment intemporel, mais plein de dérision.

Archive Télérama

Par Gilbert Dirt

Publié le 4 octobre 2024 à 17h00

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BBien installés, plus ou moins affalés selon la nature de leur siège, les cinq représentants de l’équipe du Splendid (plus une « guest star » : Anémone) chahutent, plaisantent, plaisantent, bavardent, parlent et rient en même temps et se cachent derrière l’écran de l’humour moqueur pour faire semblant de ne pas se prendre au sérieux.
Present: Marie-Anne Chazel, Christian Clavier, Gérard Jugnot, Thierry Lhermitte, Bruno Moynot.
Absente excusée : Josiane Balasko.
Absent: Michel Blanc.

Les membres de la tribu parlent à tour de rôle des circonstances de leurs débuts. Au départ, ils formaient un groupe d’amis, écoliers dans un lycée de Neuilly. Leur goût pour le théâtre et l’impossibilité de le faire par la voie classique les amènent à écrire leurs propres textes et à organiser des spectacles amateurs. Ils installent un café-théâtre (plâtres, ciment, menuiserie, électricité, toiture et même laque de Chine) puis un deuxième. Le public venait, riait, revenait. Ils sont tous actionnaires d’une sorte de coopérative amicale.

Gérard Jugnot : « Comme les sociétaires de la Comédie-Française, sauf que, chez nous, il n’y a pas de doyen. »

Marie-Anne Chazel : « Et que nous sommes tous payés de la même manière, contrairement à ce qui se pratique en France. »

Pour l’élaboration des pièces, le même esprit communautaire et égalitaire anime la petite troupe. Ils sont écrits par trois, six ou sept, mais sont signés collectivement. Les membres du Splendid aiment se comparer à un pudding ou à une galette de riz, les plus cyniques, à une association de carriéristes.

Gérard Jugnot : « Nous avons toujours voulu poursuivre deux métiers à la fois, l’individuel et le collectif… »

— Vous vous entendez bien. Êtes-vous heureux ensemble ?
Marie-Anne Chazel : « Oh, j’ai bien poursuivi un ami mais cela s’est terminé, à l’amiable, par un chèque. Rien de bien dramatique… »

Bref, des intérêts communs et des affinités électives unissent les membres du clan. Ils réussissent en groupe. De temps en temps, ils accueillent avec magnanimité un corps étranger, de préférence féminin : autrefois, Dominique Lavanant, aujourd’hui, Anémone.

Anémone : « J’ai pris la liberté d’assister à cette interview pour garder mes yeux et mes oreilles frais. J’écoute et j’apprends. Mais je sais que bientôt je devrai partir dans la nuit sombre et glaciale… »

Le numéro est très pertinent. Comme à la radio ou à la télévision, la petite équipe s’ébat et slalome entre les questions.
Anémone, encore une fois, intervient et, de sa voix traînante, acide et irrésistible, désamorce la tentation de la gravité.
Elle ironise : « Vous comprenez, ils sont tous écorchés vifs. Ils sont si modestes qu’ils ont honte d’admettre qu’ils sont capables de réfléchir sérieusement. Ils ont peur des moqueries des autres. »

Jugnot saisit l’occasion pour soulever le (sérieux) débat : « Un groupe ne peut pas exprimer ce que pense chacun de ses membres. Nous ne pouvons nous rassembler que sur un ensemble de choses qui nous sont communes, un même sens de l’humour. Individuellement, nous pouvons vous dire beaucoup de choses. Je peux vous parler du Cambodge. Mais si je vous disais : « J’aime la poésie », mes camarades se rouleraient par terre…
— C’est vrai, tu aimes la poésie ?
— Non, pas tellement. »

Christian Clavier sort de son rêve intérieur pour prononcer à son tour des paroles empreintes d’une grande sagesse : « Ce n’est pas toujours très intéressant de savoir ce que pensent les acteurs : de la vie, de la mort et du reste. C’est souvent ennuyeux et pompeux. Dire des choses comme : « Le rire est fondamental » est prétentieux et stupide. Et ce n’est pas notre rôle de bombarder les gens de commentaires. »

Gérard Jugnot: “There is Télérama pour ça… »

Bien sûr, faire rire est parfois une manière de cacher son anxiété.

Gérard Jugnot

Vous pouvez encore vous exprimer sur votre métier, sur le spectacle, sur la comédie, sinon sur Dieu et les fins ultimes de l’homme. À propos Bronzé et Les gens bronzés vont au skipar exemple, certains vous ont reproché une certaine vulgarité. D’autres y voient une critique de la vulgarité. Vous avez une opinion là-dessus, n’est-ce pas ?
Gérard Jugnot : « C’est moins à nous qu’à vous de répondre. Bien sûr, ce n’est pas anodin de faire rire les gens ; bien sûr, c’est parfois une façon de cacher l’anxiété. Mais nous n’avons pas besoin d’expliquer tout cela. C’est comme de la vulgarité… Comme le dit Lhermitte, qui est un grand penseur : tout le monde voit midi à sa porte. Pour moi, l’exemple suprême de vulgarité n’est pas le gros mot. Coluche n’est pas vulgaire, il est grossier et l’impolitesse est saine. Il n’y a rien de plus vulgaire que les présentateurs de télévision… »
X : « Moi, c’est Michèle Morgan que je trouve vulgaire… »
Y : « Et Karen Cheryl… »
De : « Dalida, Sheila… »

Thierry Lhermitte : « On ne peut pas se défendre des gens qui rient d’une situation que nous avons voulu satirique. Les GO de Bronzé étaient souvent appréciés au pied de la lettre par les spectateurs comme des gars sympas alors que, dans notre esprit, c’étaient des connards. »

Gérard Jugnot : « En revanche, en tant qu’acteurs, nous devons défendre nos personnages. Moi, je fais souvent les idiots, je m’efforce d’être plausible, authentique, humain, crédible. »

Marie-Anne Chazel : « Pourtant, on est tous heureux quand les personnages les plus négatifs, les plus antipathiques ont quelque chose de pathétique. »

Christian Clavier : « Nous inventons et jouons des personnages ridicules par pudeur, comme disait Anémone, pour ne pas admettre que nous avons nous aussi nos héros, notre échelle de valeurs. »

Marie-Anne Chazel : « C’est notre manière de nous protéger. »

Gérard Jugnot : « Le sérieux ne convient pas à tout le groupe. Nous opérons forcément sur notre plus grand dénominateur commun : la dérision. Aucun de nos personnages n’est positif : ils sont perdus ou idiots et nous essayons de les rendre attachants. »

Christian Clavier : « Nous pourrons peut-être faire un film qui convienne à tout le monde, y compris à la critique, le jour où nous trouverons un réalisateur qui saura à la fois s’entendre avec nous et prendre le pouvoir sur nous, sur notre bloc. »
Sur cette autre pensée forte, le brouhaha reprend…

Publié dans le Télérama N° 1620 du 28 janvier 1981.

 
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