Avant de s’offrir le luxe d’écouter le monde et d’être à nouveau à l’écoute pour créer quelque chose de nouveau, Alexandra Stréliski présente trois autres concerts à la Salle Wilfrid-Pelletier. Notre journaliste a rencontré notre réalisateur invité à Paris l’automne dernier pour évoquer le rôle de l’artiste et les nuances nécessaires dans un monde dominé par des opinions sans ménagement « apprivoisées ».
Il pleut à Paris, ce qui donne à la place de la République un air aussi mélancolique qu’une comptine composée par Alexandra Stréliski. La pianiste québécoise m’a donné rendez-vous non loin de là, dans un café situé à deux ou trois pâtés de maisons de l’Alhambra, la salle où elle s’est produite en novembre dernier.
Ne nous laissant pas intimider par le temps maussade, nous nous sommes assis en terrasse. Qui est couvert, mais pas étanche. Des gouttes d’eau persistantes le transpercent et tombent sur mon téléphone qui enregistre l’interview, et surtout dans mon café. Pas dans le sien. « Au moins, ce ne sont pas des crottes d’oiseaux », rigole la chanteuse, bien plus drôle et joyeuse que ne le laisse penser sa musique.
Alexandra Stréliski est à Paris depuis quelques jours. Le week-end précédent, elle jouait du piano dans le spectacle de ses amis du Cirque Le Roux, présenté ce soir-là au grand magasin Le Bon Marché. C’est elle qui composait la musique. La musicienne vit dans la capitale française depuis longtemps : elle y a passé une partie de son enfance – son père est français.
« La cour de récréation de mon école primaire, c’était pratiquement le Champ-de-Mars », raconte-t-elle. De sa jeunesse française, elle se souvient surtout des visites à la boulangerie, des crêpes et des chouquettes, pâtisseries légères à base de pâte à choux décorées de perles de sucre. « Et le lapin dans le métro qui dit : faites attention à vos doigts », dit-elle en souriant.
Ayant grandi entre deux cultures, la pianiste avait le sentiment d’avoir deux personnalités. « Mon accent a fait ça six fois », assure-t-elle en mimant un effet yo-yo avec sa main. Cette séparation la rattrape lorsqu’elle commence à se produire en France. «Je me suis encore demandé qui j’étais et surtout qui j’étais en France», raconte le musicien.
En tant qu’artiste, vous vous présentez avec votre identité et je veux être aussi authentique que possible. Mon défi n’était pas de m’adapter [en jouant en France]pour rester connecté à la personne que je suis en tant que Québécois.
Alexandra Streliski
“Je ne suis pas Madame Zen”
En dehors de la scène, Alexandra Stréliski est à l’opposé de sa musique : drôle, entraînante, souriante, fébrile. «Je fais tout vite, vite, vite. Je ne suis pas une femme zen », dit-elle. On le sent habité par mille et une choses. La compositrice s’intéresse à l’art et à l’entrepreneuriat, n’aime pas beaucoup les réseaux sociaux, mais se dit très curieuse des gens. Elle a des idées sur de nombreux sujets et se pose beaucoup de questions, même si elle a choisi de ne pas mettre de mots sur sa musique. La seule chose qu’elle n’aime vraiment pas, ce sont « les opinions partout ». « La vie est faite de nuances », estime-t-elle. Il n’y a rien de clair, sauf peut-être des choses comme : ne tuer personne. »
Sa vérité, on le comprend, n’est pas plus « vraie » que celle d’un autre à ses yeux. Elle estime qu’il existe des artistes faits pour faire bouger les gens, d’autres pour les faire rire (et parfois réfléchir en même temps), mais elle est très consciente de faire partie des artistes dont le rôle est de connecter les gens à leurs émotions.
Nous sommes l’artiste que nous sommes. Je ne suis pas en conflit. J’aborde les émotions, c’est ce qui m’intéresse.
Alexandra Streliski
Sa musique n’a pas besoin d’explications ni de sous-titres pour aller droit au cœur. Des quinze spectateurs approchés lors de son concert présenté à l’Alhambra de Paris en novembre, aucun n’est resté figé devant son jeu de piano habité et délicat. « Il se passe des choses en moi quand je l’écoute, je ne sais pas quoi », raconte Adélie, venue à l’invitation de son amie Anne-Lise.
-Nicole, invitée par une amie québécoise vivant à Paris, en ressortait les yeux mouillés, à peine capable de murmurer que le concert avait été « fantastique ». Charlotte, venue sans rien connaître d’Alexandra Stréliski ni de sa musique (son ami Florian avait hérité des billets achetés par un de ses collègues), s’est dite positivement « perturbée ». «C’était super méditatif», suggère-t-elle. J’ai refait toutes mes séances de psychiatrie. En deux heures, tous les sujets ont été abordés ! »
La pianiste a conscience de susciter les émotions de son public, ce qui la place parfois dans des situations délicates. Elle croit cependant que sa musique n’est que le véhicule par lequel l’auditeur trouve le chemin de ses propres émotions. Ce qui l’émeut encore, 15 ans après son premier disque.
Voir des centaines ou des milliers d’humains avec de l’amour dans les yeux à chaque concert est une bénédiction !
Alexandra Streliski
Mesurer le succès
« Le succès, pour moi, c’est d’avoir une communauté de gens qui vous suivent et viennent voir vos spectacles », explique le pianiste. Elle pense à Klô Pelgag, qui suscite l’intérêt en Asie. Nous parlons de Simple Plan, qui joue partout dans le monde depuis 20 ans. Elle cite également Fredz, un jeune rappeur québécois qui a percé en France grâce à ses chansons et à son utilisation habile des réseaux sociaux, selon elle.
Alexandra Stréliski n’est pas en reste : lors de sa tournée actuelle, elle aura rempli six fois la salle Wilfrid-Pelletier, sept fois le Grand Théâtre de Québec, la Maison symphonique deux fois et joué en tête d’affiche sur les plaines d’Abraham. En novembre, elle remplit l’Alhambra de Paris, une salle d’environ 600 places. Ailleurs, en Europe, elle se produit régulièrement dans des salles de 200 à 300 places. A Rotterdam, où elle vit à temps partiel avec son amant, elle attire encore plus de monde.
Pas mal pour un compositeur qui s’est lancé dans la réalisation de disques non pas pour faire le tour du monde, mais dans l’espoir de se faire remarquer des réalisateurs et de réaliser des musiques de films !
Alexandra Stréliski avoue avoir longtemps lutté contre le syndrome de l’imposteur. “Je l’ai eu sur le tapis en Allemagne devant toute la communauté de la musique classique”, explique-t-elle en faisant référence au gala Opus Klassik où elle s’est produite en octobre dernier, à Berlin, après avoir remporté le prix. meilleur album néoclassique. «Cela devient parfois actif, mais devant mon public, ce sentiment s’estompe», dit-elle. On finit par avoir confiance en nos moyens. »
Après s’être longuement produit en solo, le musicien a savouré le plaisir d’être accompagné pour la tournée qui s’achève. “Il y a une partie de tout ça que je dois affronter seule”, explique-t-elle, mais elle a apprécié le fait de pouvoir partager les joies de la route et de la scène avec deux musiciennes, les sœurs Julia et Natalia Kotarba, respectivement sur violoncelle et violon.
«Je suis une personne collective», assure-t-elle. Je veux jouer avec le plus de monde possible ! » Son vœu est exaucé ces jours-ci à la Place des Arts, où elle met le point final à sa tournée Néo-Romance entouré de 16 musiciens. Elle rêve aussi d’écrire pour de grands ensembles.
Avant de commencer, elle fera une pause. Alexandra Stréliski ne fait pas partie de ces artistes qui savent créer dans le mouvement incessant des tournées. Elle doit arrêter. «Je veux m’offrir le luxe de voir ce qui se passe. »
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